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La cyberpsychologie: un plus pour la santé mentale?
Dire que la dernière année et demie a été éprouvante sur le mental est un euphémisme aussi ridicule que de qualifier de plan vert et innovateur le troisième lien entre Lévis et Québec.
Sans surprise, près d’un jeune sur deux souffrirait d’anxiété généralisée ou de syndromes de dépression majeure. Bref, on est à bout et les ressources en santé mentale peinent à répondre aux besoins criants.
À l’heure où les listes d’attente continuent de s’allonger pour avoir accès à un professionnel de la santé mentale, la cyberpsychologie, plus précisément la thérapie à distance et la réalité virtuelle, se présente comme une alternative intéressante à ce casse-tête sociétal.
Dans le contexte, on a voulu comprendre ce que cette avenue de soins implique pour le futur de la santé mentale.
La pandémie, cette alliée de la technologie
«Ce qu’on entend par cyberpsychologie, c’est l’utilisation d’outils numériques pour traiter des patients. Que ça passe par la réalité virtuelle ou même les réseaux sociaux, résume sommairement Stéphane Bouchard, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en cyberpsychologie clinique et professeur à l’UQO.
«Ce qu’on entend par cyberpsychologie, c’est l’utilisation d’outils numériques pour traiter des patients. Que ça passe par la réalité virtuelle ou même les réseaux sociaux»
Bien avant l’arrivée des GAFA et de l’omniprésence de la technologie dans nos quotidiens, le spécialiste en cyberpsychologie faisait déjà des recherches sur le sujet. «Depuis 1995, je m’intéresse au potentiel de ces outils dans les enjeux en psychologie et depuis 1999, je me penche particulièrement sur la réalité virtuelle».
Le professeur explique que la Chaire pour laquelle il travaille se concentre principalement sur deux axes pour le moment: les thérapies à distance et le développement d’univers en réalité virtuelle à des fins thérapeutiques. Un troisième axe, le développement d’applications spécialisées, est également en branle.
S’il estime que les dernières années ont été fastes en termes d’avancements technologiques dans le domaine de la santé mentale, Stéphane Bouchard croit que la pandémie a carrément propulsé ces moyens de faire de la thérapie vers l’avant. «Au début, on pensait que la thérapie à distance ne fonctionnerait pas vraiment ou seulement pour un groupe restreint de personnes. Mais on a eu amplement l’occasion de voir que la téléthérapie est quelque chose qui se peut et qui fonctionne bien dans plusieurs situations», illustre le professeur de l’UQO, ajoutant qu’il n’a jamais eu autant de demandes d’entrevues sur le sujet que depuis Noël dernier.
«on pensait que la thérapie à distance ne fonctionnerait pas vraiment ou seulement pour un groupe restreint de personnes. Mais […] la téléthérapie […] fonctionne bien dans plusieurs situations»
Le chercheur donne en exemple le phénomène de la «téléprésence», où le patient oublie à un certain point qu’il est devant son écran en train de parler à quelqu’un dans un autre lieu complètement. «Le fait de voir la personne et de parler un à un donne un sens de proximité similaire à une rencontre en présentiel. C’est souvent très efficace comme méthode».
Pour ce qui est de la réalité virtuelle, les récentes évolutions technologiques ont permis des avancées qui étaient encore impensables il y a quelques années. «Avant, ça pouvait prendre des mois faire quelque chose qui maintenant nous prend quelques heures et on ne se concentre plus uniquement sur des phobies ou des thérapies de chocs post-traumatiques. On vise aussi à traiter des troubles anxieux plus “simples” comme l’anxiété sociale, puisque la technologie nous le permet maintenant», explique le chercheur.
En traitant l’information avec émotion en premier, le cerveau se fait «berner» par l’expérience de réalité virtuelle pendant quelques secondes, puis la logique reprend le dessus pour nous rappeler que ce que l’on voit n’est pas réel. Tout ça permet d’apprivoiser nos peurs différemment, selon Stéphane Bouchard, qui révèle travailler sur d’autres types d’enjeux liés à la santé mentale à l’aide de la réalité virtuelle comme les troubles alimentaires et le jeu pathologique.
Un futur sans psychologues en chair et en os?
À l’instar de tous ses collègues, la psychologue, conférencière et professeure associée à l’Université de Montréal Geneviève Beaulieu-Pelletier a dû revoir ses façons de faire avec la pandémie et donner ses sessions à travers un écran d’ordinateur. «Au début, certaines personnes étaient réticentes à l’idée et il y a eu des petits ajustements, mais en général, la transition s’est bien passée».
Si elle affirme qu’il y a plusieurs bénéfices à la thérapie à distance et aux traitements par réalité virtuelle, elle croit toutefois que les thérapies en présentiel ne devraient pas être écartées des options. «Le non verbal est super important lorsqu’on est psychologue pour montrer notre ouverture et notre écoute envers la personne. À travers un écran, c’est plus difficile de les communiquer et ça peut être ardu de connecter avec le patient. Aussi, pour le psychologue, ça peut être drainant d’être constamment devant un écran».
«Le non verbal est super important pour montrer notre ouverture et notre écoute envers la personne. À travers un écran, c’est plus difficile de les communiquer»
La conférencière souligne également que pour certains types de patients, comme des adolescents, des thérapies à distance représentent parfois un casse-tête supplémentaire.
«C’est souvent une période de la vie où ils sont plus anxieux du processus de thérapie comme tel. Ça arrive plus souvent qu’il y ait des malaises ou des silences. On sent qu’ils sont un peu moins à l’aise de se confier qu’en présentiel», estime la psychologue, qui compte néanmoins adopter un mode «hybride» à l’automne prochain, où ses patients pourront choisir entre des sessions virtuelles ou en personne.
«Un de nos buts, c’est de rendre plus accessible la technologie en santé mentale pour que ça devienne un outil que les professionnels vont pouvoir utiliser. Ce n’est pas de les remplacer par la technologie, au contraire. On veut faire partie de la solution pour leur faciliter la vie», rassure Stéphane Bouchard quand on lui demande si les lunettes de réalité virtuelle que sa Chaire crée prendront la place de professionnels humains.
Dans les prochains mois, le chercheur et son équipe vont continuer de sensibiliser les gens aux bienfaits de la thérapie à distance et de la réalité virtuelle. «Là, l’affaire, c’est que les gens vont avoir expérimenté des choses avec des logiciels de visioconférence qui sont super plates et ils vont être réticents à utiliser ces outils-là quand la vie “normale” va reprendre. Notre défi, ça va être de leur montrer qu’on peut bénéficier de ces plateformes à long terme».
À l’heure où les listes d’attente pour avoir accès à des services en santé mentale débordent, a-t-il espoir que tous les Québécois pourront en jouir un jour? «On dit souvent que la santé mentale est le parent pauvre du domaine de la santé et qu’on manque de ressources. On travaille fort pour que cette croyance populaire là soit du passé dans un futur rapproché».