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La culpabilité de coin de trottoir

Par
Catherine Ethier
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Il y a de ces matins où je quitte la couette avec cette vague impression en la coupe champignon que la journée pourrait peut-être bien se dérouler sans que je rote en commandant mon café ou que je monte dans le bus avec la confiance d’un tsar sans me douter que ma carte Opus est délicatement vide.

Ces journées où les choses vont rondement. Où les petits oiseaux de Cendrillon SE BATTENT pour finir ta tresse française.

Eh bien hier, je me dandinais avec assurance vers ce type de journée. Cette journée où tout va tellement ben que tu t’arrêtes, sans trop savoir pourquoi, au kiosque de courges du métro Mont-Royal en envisageant sérieusement créer un décor sophistico-cheap dans ton hall d’entrée. Comme ça. Même si t’habites seule et que personne verra jamais toute la créativité western de ton arrangement de pauvre.

C’est d’ailleurs près le sac turgescent de courges que je l’ai aperçue.

Parce qu’on les voit toujours de loin. Ces enthousiastes jeunes gens à dossards qui, recrutés chez New Look post « test d’acuité avec mention », savent repérer un brave citoyen à la jugulaire naïvement exposée en un battement de cils.

La garde au raz des chouclaques.
MOÉ.

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J’ai su que la petite fille m’enlignait le porte-crotte au moment même où nos regards se sont croisés. Parce que ça se passe toujours de la même façon : tu sors de l’épicerie en fouillant dans ta sacoche ou pire, tu montes doucement, TRÈS LENTEMENT l’escalier roulant en sachant très bien que quoi qu’il advienne, l’inévitable ne saura être évité : un manné, tu vas arriver en haut et tu devras dealer avec elle. Avec sa bonne cause, ses pupilles dilatées et sa débordante énergie de fille qui coud son costume d’Halloween depuis la Saint-Jean.

Et même si t’auras tout fait pour faire comme si tu l’avais pas vue, elle, ELLE T’A VUE. Et elle a certainement pas l’intention de te laisser passer sans que t’aies rempli son tabarli de formulaire qui t’engage à payer un compte de plus par mois à un organisme dont elle t’expliquera les vertus sans cligner des yeux. Toi, la ticaille, tu le sais pas mais tu t’apprêtes à sauver des rorquals.
À construire des écoles.
Ou à soutenir la prévention de la prévention de c’te maladie-là. Tu serais pas ben, han, si tu te réveillais toéssi demain matin avec une plaque mauve bord en bord de la face? Ça fait que DONNE.

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J’ai tout de même, au fil du périple, développé certains réflexes choisis dans l’art d’éviter ces rencontres quotidiennes de jeunes dossardés convaincus qu’ils sont les premiers de ta vie que tu croises et que tu vas t’asseoir à l’ombre de l’épervier pour siroter leur discours en prenant des notes dans le dedans de ton bras.

Ainsi, dès qu’ils se propulsent le bassin en ma direction (parce que ces gens qui travaillent pour de nobles causes semblent tous suivre, avant même d’intégrer leur discours nourri, un cours d’expression corporelle avec Geneviève Dorion-Coupal. Dans le saut de biche et le déplacement latéral qui fait peur, ils sont fortiches), mon cœur ne s’emballe plus comme jadis. Je dirais même que j’assure grave.

Saltimbanque sur le point de graduer du conservatoire de danse :
– Hey toi, la petite demoiselle avec des lunettes! (*feeling de fille de la première rangée qui a pas envie d’être interpellée par un Guy Nantel qui se cherche un sidekick pour son excellent gag cérébral et politique* Ton approche friendly de marde me donne pas envie de te faire un petit pain de main, fille. Mais je garde mon calme. Je sympathise avec ton mauvais choix de sideline).

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Polie, je lui déploie alors mon habile sourire gesticulaire mi-embêté de dont pas avoir le temps, mi-femme du monde qui a pas l’intention de s’arrêter une seule damnée seconde pour PARSONNE. En général, c’est un succès. Mais ma démarche de panthère allait connaître un raté.

Saltimbanque-qui-lâchera-pas-le-morceau ou la mort :
– As-tu un petit cinq minutes à m’accorder? J’aimerais vraim…

Moi, en proie à une pantomime de qualité, entre babailles et « no, thank you » :
– Je suis désolée, non merci, je ne suis pas intéressée (un heureux mélange de compassion, de reconnaissance pis d’argument pour lequel IL EST IMPOSSIBLE que tu contre-attaques. Je ne suis pas intéressée.

Je passe donc mon chemin et commence déjà à t’oublier. Mais une fois hors de portée, tu décides de te payer la traite :
– Si vous avez pas envie d’aider les enfants dans le besoin, c’est votre droit mademoiselle. Bonne journée, là!

TAPPEU.
Si j’ai envie de pas aider les enfants malades? J’avais ça dans le goût moi, à matin, d’être responsable de l’extrême onction du petit Josué qui aura pas eu de petit jus pour calmer sa peste noire. Je suis de même. Pis toi, ça te tente-tu de vivre un moment de type « poménarien qui fait ben sûr que le gros chien soit déjà ben loin avant de faire son jard en jappant mais qui s’attend pas à ce que le propriétaire vire de bord pour venir lui flatter le bijou »? Qu’est-ce tu dirais de ça, toi, si la petite kerisse avec des lunettes qui veut pas contribuer au bien-être de TOUS CES BAMBINS QUI NE VIVRONT PAS HANUKKA À CAUSE D’ELLE revirait de bord pour t’administrer un coup de poing dans les guilous (entre filles, on a le droit)? Elle avec, elle a fait de l’impro au cégep. Pis faire une petite scène, ça s’adonne qu’elle haguit pas ça.

Oh que t’as taquiné la mauvaise citoyenne, ma belle fille.

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Cette citoyenne parfaitement consciente qu’elle aura pas le guts de vivre le reste de sa journée sans penser au transit pulmonaire du petit Josué et qui va vite revirer vers le guichet comme tu créeras jamais à ça en prenant bien soin de revenir avec un vingt pis un cupcake, la queue entre les deux jambes, partagée entre culpabilité et cette occasion ratée de te faire pogner ton Waterloo.

Cette citoyenne qui a juré qu’on ne l’y reprendrait pas, la semaine passée.

La bise.