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La crise de la quarantaine de Croc
Le parolier Pierre Huet pousse la porte du café La Brassée, en face du parc Molson. L’auteur de plusieurs classiques des catalogues de Beau Dommage, Offenbach, Paul Piché, pour ne nommer que ceux-là, n’est pas venu m’expliquer les dessous de l’écriture de Ginette (j’aimerais ça un jour parzemple), mais plutôt la genèse et le contexte de la résurrection d’un nouveau numéro de Croc, à l’occasion de son quarantième anniversaire.
À la barre durant une décennie du magazine disparu en 1995 (aucun lien avec la séparation de RBO ou la vente des Nordiques survenues à peu près en même temps), M. Huet vient de boucler cinq semaines éreintantes à confectionner cette édition spéciale.
«On l’a pas vu venir pantoute!», admet le Rosemontois, à propos du succès de l’opération, qui a déjà fait l’objet d’une quinzaine de reportages, en plus de partir en réimpression.
«Ce que je constate? Malgré le réchauffement climatique, la société québécoise est devenue plus frileuse», écrit justement Pierre Huet dans son «crocoditorial».
Il faut dire que les inconditionnels de Red Ketchup et de Gaboury ont été pris par surprise, puisqu’une aura de mystère — ou d’incertitude — entourait le projet. «Moi qui suis une grande gueule, j’ai réussi à ne pas me mettre les pieds dans la bouche», explique Pierre Huet, qui salue les efforts de la cofondatrice de Croc (avec le regretté Jacques Hurtubise), Hélène Fleury, pour avoir réussi à convaincre Québecor (TVA Publications) d’embarquer dans le projet. «Hélène est elle-même une employée de la boîte [NDLR : Échos Vedettes]. C’est finalement PKP lui-même qui a dit oui», explique Pierre Huet, qui admet que plusieurs ont au départ douté du bien-fondé de l’aventure.
Difficile de ne pas leur donner un peu raison, ne serait-ce que pour cette idée d’imprimer sur des arbres morts à l’époque de Greta Thunberg. C’est sans compter le ton baveux du magazine, à notre ère qu’il estime aseptisée. «Ce que je constate? Malgré le réchauffement climatique, la société québécoise est devenue plus frileuse», écrit justement Pierre Huet dans son «crocoditorial», pendant qu’une machine à gaufres fait un boucan d’enfer à quelques pieds de notre table.
- Huet avoue que cette frilosité ambiante l’agace. «Il y a maintenant une ligue pour protéger les gens qui ont trois doigts ou des petites oreilles», raille-t-il.
Pis? Pis?
Il faut dire que le Croc original fessait dans le tas, sans trop s’enfarger dans la rectitude. Les jokes de mononcles étaient à l’époque monnaie courante et RBO sévissait déjà impunément. Même les compagnies de cigarettes vantaient leur marchandise dans les pages du magazine, c’est dire.
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Quand ski et cigarette faisaient bon ménage.
Et que dire au juste de la cuvée 2019?
D’emblée, saluons leur irrévérence, nettement au-dessus de la moyenne (considérant que la moyenne est Piment fort version 2016-2017 ou un numéro d’ouverture dans un gala québécois).
De jeunes collaborateurs se sont greffés aux vieux, suivant le rythme des idées. «Je tenais à avoir des jeunes femmes dedans. Je me méfiais un peu de la «mononcabilité» et leur présence intimidait peut-être les vieux schnocks», précise Pierre Huet.
Le numéro comporte d’ailleurs beaucoup d’archives et c’est frappant de constater à quel point certaines blagues ne passeraient plus. À commencer par un texte sur les différences entre l’homme et la femme idéal(e) publié en 1980 et signé par Claude Meunier, dans lequel la femme parfaite n’a au final qu’à être un pétard muet…
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Source : Croc. Reproduit avec autorisation.
Parmi les nouveautés au goût du jour, saluons les contributions de Justine Philie sur les différences sexuelles et le bon vieux courrier en ouverture du magazine.
«Vous êtes pas contents quand je m’habille. Vous êtes pas contents quand je suis toute nue. Vous voulez quoi, estie? – Safia Nolin»
Sinon, il y a Maripier Morin en vedette dans le traditionnel photo-roman et la nouvelle collaboratrice Ariane Maynard-Turcotte (hilarante) qui trouve des solutions pour transformer des films d’ici en succès au box-office. «Les Québécois sont tannés de voir Élise Guilbault pleurer devant le fleuve!»
Avec Les voies dissidentes, l’animateur (et ancien collaborateur) Guy A. Lepage dévoile un côté moins connu de sa personnalité en racontant un fait divers punché et surprenant. «Il a une belle plume. Les gens l’oublient, mais Guy A. a déjà écrit», note Pierre Huet.
Le numéro comporte enfin des textes de Stéphane Laporte, un Paul de Michel Rabagliati, une parodie d’Un gars une fille version Martineau-Durocher (gracieuseté de Guillaume Lambert), sans oublier l’incontrôlable Red Ketchup qui fout la marde au Commmicon.
Encore! Encore!
Un plaisir nostalgique, certes, qu’on aimerait revivre, encore plus depuis la mort de Safarir — éternel rival de Croc — en 2016.
En entrevue à Radio-Canada il y a quelques jours, Hélène Fleury ne cachait pas son intention de récidiver si les ventes de l’édition anniversaire sont au rendez-vous (ce qui semble être le cas).
Mais est-ce que les lecteurs d’aujourd’hui – les plus jeunes surtout – sont prêts à payer pour de l’humour écrit? Là est la question, estime Pierre Huet, qui se console en se disant que l’héritage de Croc survit depuis quarante ans. «Croc, c’est comme des punaises de lits, on est resté de manière discrète», résume-t-il.
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Pierre Huet
Comme pour Passe-Partout, cette réédition aura au moins permis de faire connaître l’emblématique marque à de plus jeunes générations.
À commencer par Jasmine, ma collègue née deux mois après la mort du magazine, qui s’est exclamée «C’est quoi ça, Croc (prononcer Croque)?» en voyant la revue traîner sur mon bureau.
Paradoxal pour cette génération qui ose les bas blancs dans des sandales… Crocs.