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La crise, c’est pas une raison pour perdre son esprit critique

Les conneries que tu partages sur Facebook, ça ne rend service à personne.

Par
Judith Lussier
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Depuis que tout le monde est devenu un média, nous avons pu observer le journalisme citoyen dans ce qu’il a de pire et de moins pire. Des théories du complot aux billets alarmistes en passant par d’autres rumeurs non fondées, beaucoup de choses se sont dites depuis le début de la crise (que nous nommerons désormais «la crise» et non «le conflit étudiant»). Beaucoup de crédibilité s’est également perdue.

La crédibilité, c’est quelque chose que l’on perd en partageant des infos non vérifiées, fausses, ou biaisées. C’est dommage, parce que souvent, les intentions de départ (faire tomber un premier ministre, dénoncer une situation injuste, ou questionner une façon de faire), sont bonnes. On me dit souvent «oui, mais monsieur madame tout le monde, c’est pas des journalistes». Je sais, mais je suis persuadée que l’esprit critique est à la portée de tous. Parce qu’au fond, les principes en sont assez simples. S’agit d’en connaître les règles et de les appliquer en tout temps. Je vous ai préparé une sorte de cours intensif, un petit guide de l’esprit critique, une base, quoi, pour ne pas avoir l’air trop nono sur Internet. Parce qu’au fond, partager une mauvaise info, ça ne sert aucune cause.

Fais passer le test à ton info

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Avant de partager quelque chose, demande-toi : «d’où vient cette info»? Quelle est la motivation de la personne qui l’a mise en ligne? L’information présente-t-elle les deux côtés de la médaille? Le média qui la diffuse est-il crédible? Bon, là, je sais qu’il y en a qui vont me dire que les grands médias ne sont pas crédibles. C’est vrai qu’il faut être vigilant face à toute source indirecte. Quand un grand journal diffuse un sondage, par exemple, il est primordial d’évaluer la méthodologie du sondage, parce que c’est vrai qu’on peut faire dire ce qu’on veut aux chiffres. Mais entre Dan Bigras et Radio-Canada, mettons, je ferais plus confiance à Radio-Canada.

Fais-toi l’avocat du diable

Quand j’étais petite et que je me faisais punir à l’école, ma mère écoutait toujours ma version des faits, puis appelait à l’école pour avoir la leur. Imaginez! Elle remettait en question les dires de sa propre fille et était capable d’accepter l’idée que c’était peut-être moi, sa progéniture chérie, qui était dans le tort, et non le prof qui était «juste un con». Même affaire ici avec la crise. Hier, je voyais passer le récit d’une étudiante qui s’est fait arrêter dans le métro «parce qu’elle lisait 1984». C’est peut-être vrai, mais ce n’est qu’une interprétation de ce qui s’est vraiment passé. Les policiers avaient peut-être une bonne raison de l’arrêter, ou peut-être se sont-ils mépris, je n’en sais rien. Ne pas partager ce billet, ça ne veut pas dire qu’on s’en lave les mains, ça ne veut pas dire qu’on est du bord des policiers, et ça ne veut pas dire qu’on ne pense pas qu’il y a de l’abus. Ça veut juste dire qu’on a besoin de plus que ça pour se faire une idée. Remarquez que dans son récit, l’étudiante parlait de «crise gouvernementale». C’est fort, pour quelqu’un qui lit un chef d’œuvre sur la propagande et la manipulation du langage.

Demande-toi si ça fait ton affaire

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Ça ferait peut-être ton affaire, que la fille se soit fait arrêter parce qu’elle lisait 1984, ou que le SPVM ait tenté de cacher un mort. Ça prouverait ton point que la police «c’est toute de la marde». Redouble de vigilance quand les infos que l’on diffuse renforcent ta vision des choses. Je sais que partager des informations sensationnalistes sans les avoir vérifées, c’est facile et c’est le fun, mais ton intégrité vaut plus que ça. Et être intègre, c’est pouvoir reconnaître à chacun sa version des faits, reconnaître qu’une chose soit possible même lorsqu’elle ne te convient pas.

Vérifie les informations avant de partager

Quand tu demandes à tes amis Facebook de passer à l’action, c’est super important, si tu ne veux pas perdre ta crédibilité, que les actions que tu demandes de poser soient cohérentes. Par exemple, avant de signer ou de partager une pétition, demande-toi si tu comprends bien tout ce qu’elle comporte, et si tout ce qu’elle comporte est légitime. Une pétition qui demande la démission de Jean Charest parce qu’on est écœurés des gaz de schiste, de la corruption et du scandale des commandites, ça n’est pas sérieux. Si tu partages ça, c’est grave. Alors que tu tentes de t’imposer en leader, tu ne fais que prouver que tu ne comprends pas tout à fait les enjeux. Ça vaut aussi pour les messages que tu copies-colles sur ton statut Facebook en pensant que «ça peut pas faire de tort».

Lis plusieurs journaux

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C’est correct, on le sait que les journaux ne sont pas complètement neutres. Le Devoir un p’tit peu plus à gauche, le Journal de Montréal un p’tit peu plus du côté du grand public, La Presse un p’tit peu plus du côté de Desmarais, et les journaux internationaux un p’tit peu plus dans le champ quand ils parlent de la réalité québécoise. Pour se faire une idée juste de la société dans laquelle on vit, il faut lire un p’tit peu de tout. Parce que même si ce qui se trouve dans le Journal de Montréal ne fait pas ton affaire, il s’agit d’un point de vue. Et plus tu auras accès à des points de vue différents, plus tu seras en mesure de te faire ta propre idée.

Vois les deux côtés de la médaille

Que la fille d’Amir Khadir se fasse arrêter, c’est peut-être un signe que la police est contrôlée par l’État, mais c’est peut-être aussi tout simplement parce que Yalda Machouf-Khadir a commis un acte répréhensible qui mérite d’être puni, et ce n’est pas parce qu’elle est la fille d’un député qu’elle devrait être au-dessus des lois. C’est pour démêler tout ça que le système judiciaire existe. Maintenant, si tu ne crois pas plus au système judiciaire qu’à la police (ce qui serait compréhensible après tout), fais ta propre enquête, ou aiguille un journaliste dont c’est le travail sur des éléments de cette histoire qui te paraissent suspects. Les journalistes adorent recevoir de telles informations, ça leur permet parfois de sortir des exclusivités. Et quand ils font ça, leur boss est content d’eux.

Réfléchis aux conséquences de tes gestes

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Si Gab Roy te propose de participer à un tatoo-o-thon durant lequel tu vas te faire tatouer un carré rouge sur la poitrine, pense à ton affaire : un tatouage, c’est permanent. Or, le but des manifestations est que les situations changent et que les symboles de contestation qui y sont attachés deviennent désuets. Idéalement, si tu crois à ta cause, tu devrais croire qu’un jour, vous aurez vaincu. Mais toi tu seras pris avec ton carré rouge et avec tout ce qu’il représente. Même si, à un moment donné, il finit par représenter des choses avec lesquels tu n’es plus d’accord. Même si, un jour, il est récupéré par un groupe nationaliste d’extrême droite. Je dis ça de même… Évidemment, ça vaut aussi pour des gestes comme mettre des bombes fumigènes dans le métro.

L’esprit critique, ça vaut pour les deux camps

C’est pas parce que t’es du côté de la droite et des économistes que t’as le droit de te laisser dominer par tes émotions ou de te servir d’un rêve pour semer la panique autour de toi.

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Là-dessus, je vous laisse sur une entrevue où Jean-René Dufort explique que même l’équipe d’Infoman doit être ultra rigoureuse.

Suivez @JudithLussier sur Twitter.