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La Coupe qui fracture le monde (du foot)

S’interroger sur les limites de notre responsabilité avec Hassoun Camara.

Par
Jean Bourbeau
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« Vous avez invité la planète entière à venir ici », lance le journaliste danois à la sécurité qatarie avant que celle-ci le menace de briser sa caméra.

Lever de rideau à l’image de sa préparation pour l’ubuesque Coupe du monde de la FIFA. Ce qui devait être l’événement sportif le plus rassembleur au monde tourne de plus en plus au fiasco pour le riche pays hôte.

Vous l’avez vu partout, les enjeux problématiques sont si nombreux qu’ils sont devenus indissociables à la compétition : violations des droits de l’homme, surmortalité sur les chantiers, dérive écoénergétique, entorses à la liberté d’expression, lois sociales restrictives et inégalitaires sur le plan des droits des femmes et des communautés LGBTQ+. Sans oublier des accusations répétées de corruption et d’espionnage.

La liste est à s’y perdre pour le pauvre partisan qui ne demande qu’un bon spectacle de ballon rond. D’autant plus que notre très cher pays y fait un retour triomphant depuis sa sortie au premier tour en 1986.

Mais le sport est politique. Surtout le foot.

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Ce n’est pas la première fois que la compétition rassemblant la crème des nations flirte avec la controverse politique. On peut penser à la Coupe de Mussolini en 1934, à celle de la dictature militaire argentine en 1978 et à la dernière édition, fierté de Vladimir Poutine en 2018.

Clamé à outrance depuis plusieurs mois, voire des années, le boycottage semble pour plusieurs l’unique solution pour exprimer son indignation? Un débat qui divise et enflamme les tribunes, surtout sur le continent européen. Tentons de mettre un peu de lumière sur cette situation complexe avec l’aide de l’ancienne étoile de l’Impact de Montréal, Hassoun Camara, en proposant quelques avenues de réflexion.

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Le Qatar

C’est bien connu, la tenue d’une compétition sportive d’envergure est une façon de légitimer le parti au pouvoir et d’exhiber un rapport de force sur l’échiquier mondial. Un flex sur la joute géopolitique. Le Qatar, petite nation péninsulaire avec une population comptant seulement 2,4 millions d’habitant.e.s, n’est pas une superpuissance sur le terrain, mais dans ses coulisses. Ses ambitions de modernité sont carburées par la cinquième économie gazière au monde et la volonté d’un régime ambitieux.

Pour le footballeur français retraité Hassoun Camara, aujourd’hui journaliste sportif, le choix du pays hôte était étonnant au moment même de sa victoire en 2010, contre les États-Unis d’Obama. « J’étais très surpris qu’on attribue un si gros événement au Qatar. Les six derniers mois, on a vu la gronde populaire croître, mais c’était un peu trop tard à mon avis. La population découvre soudainement la face obscure de la FIFA. Sa prédisposition pour l’argent. Il faut savoir que le Qatar investit beaucoup en Europe. Toutes ces relations créent des nœuds et des opportunités. C’est absolument inédit de bouger le calendrier sportif et de jouer au mois de novembre. »

«Accueillir une Coupe, c’est avant tout une stratégie de communication. […] Il faut en prendre conscience et voir ce qu’on peut faire pour le futur pour éviter d’autres fléaux.»

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À l’instar de la Russie ou de la Chine, le sport est un levier d’influence important pour le régime qatari, à une époque où plusieurs pays démocratiques ne sont plus intéressés à investir dans des événements aussi coûteux, trop soucieux de ne pas créer l’ire de sa population. Selon Hassoun Camara, « les compétitions semblent de plus en plus se rabattre sur des nations avec une volonté expansionniste et des pouvoirs peu préoccupés par leur empreinte écologique. Accueillir une Coupe, c’est avant tout une stratégie de communication. On se dirige vers ce genre de destination. L’Arabie Saoudite tente sa chance pour 2030. Il faut en prendre conscience pour éviter d’autres fléaux. »

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Le massacre de sa construction

Pour accueillir la Coupe, la capitale Doha et ses environs ont vu bourgeonner une infrastructure pharaonique au coût annoncé de 8 milliards de dollars.

Attirés par des salaires séduisants, des milliers de travailleurs étrangers en provenance principalement du Kenya, du Népal, d’Inde, du Pakistan ou du Soudan, sont venus prêter main-forte à la construction des nouvelles routes, d’un nouvel aéroport, d’un réseau ferroviaire et de sept nouveaux stades. Rien de moins.

«Après la Coupe du monde, va-t-on encore se soucier du sort des ouvriers qui y ont migré? Je le souhaite.»

Les risques étaient toutefois considérables pour la main-d’œuvre attirée par cet Eldorado arabique : été brûlant, eau de piètre qualité, journées longues avec des incitatifs à faire des heures supplémentaires pour envoyer davantage d’argent au pays, entassement des ouvriers dans des logements surpeuplés et insalubres dans la zone industrielle. Sans oublier des passeports confisqués et surtout, un manque criant de formation.

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Le bilan est difficile à estimer, mais le quotidien britannique The Guardian évoque un nombre accablant de 6 500 décès. L’équivalent de jouer sur un cimetière.

Hassoun Camara s’avance sur le scandale en pointant du doigts les grands responsables. « Après la Coupe du monde, va-t-on encore se soucier du sort des ouvriers qui y ont migré? Je le souhaite. Manifester pour le respect des droits de l’homme doit encore avoir lieu une fois la compétition terminée, mais la faute des tragédies sur les chantiers revient à qui? Au Qatar et à la FIFA, selon moi. Le Qatar doit tirer des leçons de ce bilan. Le fera-t-elle? Difficile d’y répondre. »

Je partage l’avis du journaliste. Le Qatar doit devenir un précédent, l’anti-mode d’emploi pour l’élaboration d’une compétition éthique. Si, à chaque grand événement, l’œil mondial se braque le temps d’un instant aussi réprobateur que futile, vers où allons-nous?

Du pain et des jeux certes, mais à quel prix?

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Et le boycott?

Aussi délicate soit la question, est-ce que revient à nous, spectateurs et spectatrices, la responsabilité de boycotter la Coupe pour ne pas être complices des promesses rompues? Est-ce que regarder un match Sénégal-Équateur c’est participer passivement au financement de l’événement? Donc le cautionner?

«Boycotter, c’est également punir l’athlète qui n’a rien à voir dans ces prises de décision. La Coupe du monde, c’est le rêve de tous les jeunes footballeurs.»

« C’est une bonne question, répond Hassoun Camara. Mais le choix du Qatar et ses répercussions sont déjà en place. La compétition se déroulera qu’on le veuille ou non. En tant qu’athlète, on ne peut pas choisir le pays hôte. Boycotter, c’est également punir l’athlète qui n’a rien à voir dans ces prises de décision. La Coupe du monde, c’est le rêve de tous les jeunes footballeurs. Représenter son drapeau, sa culture. Ils ont tout de même le choix et la liberté de dénoncer les choses. Il ne faut pas sous-estimer les joueurs… même si le salaire mensuel de Mbappé au PSG est payé par le Qatar. »

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Campagnes de désinformation, envol aérien aux dix minutes, stades climatisés, dortoirs secs pour touristes, refus d’association de grandes vedettes pop. Quand est-il du choc des cultures, de l’hypocrisie de l’argent-roi ou de l’impérialisme occidental aveuglé par son propre reflet? Nous n’avons frôlé que la pointe de l’iceberg de cette Coupe aux mille facettes. Une chose est certaine, son universalisme est fragilisé. À l’aube du coup d’envoi, souhaitons-nous une bonne compétition, sans oublier le coût absurde de cette aventure Qatarstrophique.

C’est la moindre des choses.

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