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Il y a quelques semaines, nous avons reçu le témoignage suivant par courriel:
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Chère personne qui lira ce que j’écris,
Il y a 6 mois un article d’URBANIA m’a mis une claque que j’attendais depuis longtemps alors voilà, je tente un juste retour de karma. Si ce que je raconte là touche ne serait-ce qu’une personne à 10 % de ce que j’ai ressenti, j’estime que j’aurai fait mon devoir de bon samaritain.
Je m’appelle Elliot, j’ai 24 ans, j’habite à Paris. Et je suis Trans. Aka, depuis peu je prends de la testostérone pour devenir un homme, un vrai, avec un petit “h”, plein de poils partout, une voix grave, des gros muscles et tout ce qui va avec. Il y a quelques mois, j’ai décidé que jouer les poètes maudits à me mettre la tête à l’envers 364 jours par an pour oublier que la vie c’est de la marde ça allait bien comme ça, et qu’il était peut être temps d’avoir le courage d’essayer d’être heureux, pour changer.
Je voudrais commencer par dire que j’ai énormément de chance.
Entre mon premier, et unique (ok, j’ai un peu triché, mais chut) rendez-vous chez le psychiatre et ma première injection, il s’est écoulé un mois et deux jours. C’est, je pense, environ 24 fois moins que pour la plupart des gens qui entament une transition dans un pays occidental (sans parler de tous les gens qui se font descendre avant même d’avoir eu le temps de voir le moindre psychiatre).
En plus de ça, merci le pays des droits de l’Homme, c’est remboursé par la sécu. Pour couronner le tout, mon entourage a fait preuve d’une bienveillance et d’une ouverture d’esprit dont la plupart des gens, trans ou pas, n’oseraient même pas rêver. Mes parents (une fois le choc passé) m’ont réaffirmé leur amour inconditionnel et leur soutien, mes potes m’ont dit que ça ne changeait rien et qu’ils étaient fiers de moi, et mes collègues respectent ma décision et parlent de moi au masculin. Je n’ai pour l’instant été confronté à aucune forme de rejet et je pense que j’ai à peine conscience d’à quel point je suis privilégié. Je ne dis pas ça pour foutre la rage à qui que ce soit, mais pour témoigner du fait que oui, c’est possible.
Quand j’avais 4 ans (je m’en souviens parce que c’est l’année où j’ai eu le bateau pirate Playmobil pour mon anniversaire), le soir dans mon lit, je priais le petit Jésus de me transformer en garçon pendant la nuit. J’ai effectué ce rituel étonnamment longtemps étant donné que je n’ai jamais cru en Dieu. Et puis la puberté m’est tombée dessus comme un piano du 5e étage. J’ai passé 4 ans en apnée, enfermé dans ma tête et dans ma chambre, refusant l’inconcevable issue qui se profilait inexorablement à l’horizon : j’allais devenir une femme.
Je ne suis pas sorti indemne de l’adolescence, c’est sûr. Mais j’en suis sorti.
J’ai réussi à me rouvrir un peu aux autres, à dompter ce corps étranger pour le rendre fonctionnel, physiquement et socialement. Trouver le compromis le moins inconfortable, avoir l’air le plus normal possible, pour ne plus être seul enfermé dans ce corps-tombeau à me noyer de l’intérieur. Et tenter d’exister vraiment, d’embrasser à bras le corps ce que j’étais intérieurement, en dépit de mon corps, des codes sociaux, et des attentes. Mais à 23 ans, fonctionner en dépit de son corps, ça veut dire faire une croix sur beaucoup de choses, laisser une part énorme de l’expérience de côté.
Et de toute manière, la société a tellement à cœur de nous remettre dans notre petite case genrée, bien normée, à grand renfort de “Bonjour Madame”‘, de claquage de bises, de toilettes séparées, de dragueurs nocturnes et de questions indiscrètes, qu’ignorer son corps relève de l’exploit, et let’s be honest, du déni peu convaincant.
J’ai fini par prendre conscience que je ne faisais que sauver les apparences, prétendant ne pas voir le fossé que je creusais toujours, discrètement, entre moi et les autres.
Pour ne jamais risquer d’avoir à m’exposer, ne jamais laisser quiconque approcher mon intimité enfouie, claquemurée dans ma tête. Je me noyais dans mon rapport aux autres, trop de monde tout le temps, trop de soirées, trop d’alcool et autres substances diverses, pour fuir, pour ne jamais me retrouver seul avec moi même. Ne pas rentrer, ne pas dormir, ou pas seul, même s’il faut faire semblant, semblant d’avoir envie, semblant de ressentir du désir, du plaisir, alors que ce que je ressentais surtout, c’était un vide. Mon corps est vide d’intimité, il n’y a rien à prendre, ce n’est qu’un membre fantôme.
Alors voilà, il y a quelques semaines, j’ai décidé d’arrêter de niaiser. J’ai fait mon coming-out à mon entourage, les démarches nécessaires et ai commencé à prendre des hormones. J’ai commencé à aller au gym, à compter les clopes que je fume, j’ai réduit ma consommation d’alcool par 10 au bas mot, j’essaie de manger au moins 2 fois par jour et je passe beaucoup, beaucoup, de temps tout seul. Et je suis plus heureux que je ne l’ai été de toute ma vie.
Puisse cette lettre atterrir sur le chemin de quelqu’un d’aussi paumé que je ne l’étais.
Bien à vous,
Elliot
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Pour lire le texte auquel Elliot fait référence: Portraits de trans* (4).