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La chasse aux punaises de lit continue durant la pandémie

Les exterminateurs craignent une bombe à retardement.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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« C’est ici qu’on sépare les hommes des enfants! », lance Yves Charlebois, en entrant dans la chambre insalubre d’un grand logement de Villeray. Technicien en gestion parasitaire depuis 26 ans, l’homme de 57 ans balaye du regard la pièce. L’horreur. Des excréments et des cadavres de punaises de lits jonchent le sol, les murs sont tachés de coulisses, sans compter les nombreuses bestioles vivantes qui arpentent le plafond, l’oreiller, un casque d’écoute et le matelas sale et défoncé au milieu de ce taudis.

Le monde extérieur a beau avoir été mis sur pause durant plusieurs semaines, ici, les punaises de lit n’ont pas reçu le mémo. « Le pauvre homme doit se faire bouffer », soupire Yves des Entreprises Maheu Ltée, qui amorce le traitement à l’aide d’un produit chimique qui attaque le système nerveux des bestioles. Dans chaque pièce du grand logement réparti sur deux étages, Yves asperge d’abord le périmètre, les contours, puis il s’attaque finalement aux meubles.

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À l’aide d’une bonbonne remplie de produit, il arrose méticuleusement chaque pièce, mais c’est ici dans la chambre à coucher que les punaises semblent avoir élu domicile. Près de leur nourriture. « Vous n’avez pas fini? », s’impatiente d’ailleurs la nourriture en question, un homme frêle au visage hagard en train de fumer une cigarette sur le balcon pendant le traitement.

La consigne veut que les occupants patientent six heures après le traitement avant de réintégrer l’endroit, mais l’homme entrera se faire un café dans sa cuisine au toit perforé dès que nous sortirons.

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Yves secoue l’oreiller et asperge une à une les punaises qui s’en échappent. Il répète le même manège pour celles qui grouillent au plafond. « On n’est pas là pour elle, on la laisse tranquille », souligne l’exterminateur en croisant une araignée dans un recoin.

La scène est crève-coeur. Dans les pièces sombres et complètement délabrées, des photos de famille avec des gens souriants trainent ici et là, rappelant la vie d’avant, qui avait l’air heureuse.

Yves porte des gants, des sortes de pantoufles et un masque spécial pour se protéger des émanations de son produit chimique. Comme d’habitude en fait.

La pandémie ambiante ne change pas vraiment son quotidien fait de misère et d’excréments de punaises.

« C’est ben plate à dire, mais quand ça va mal, on a plus d’ouvrage», résume Yves.

Ou si, mais pour le pire, puisque les occupants de plusieurs logements infestés refusent de donner accès aux exterminateurs de peur d’être contaminés par eux ou parce qu’ils n’ont nulle part où aller durant le long traitement.

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Une bombe à retardement, croit Yves, puisque les insectes et autres indésirables n’arrêtent jamais de se reproduire. « C’est ben plate à dire, mais quand ça va mal, on a plus d’ouvrage», résume Yves, en pointant sa lampe de poche sur des tonnes d’oeufs de punaises coincés dans une craque de sofa.

Insecte et COVID-19: même combat

L’exterminateur Harold Leavey, le président des Entreprises Maheu Ltée, n’est pour sa part pas si surpris par la pandémie ambiante. Les voyages à travers le monde, la surpopulation, la propagation en attendant l’immunité: non vraiment Harold Leavey connaît la chanson. Et si le monde des insectes devenait une menace sanitaire, le coloré entomologiste qui accumule 40 ans de métier remplacerait certainement Horacio Arruda.

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Après tout, le protocole pour enrayer les problèmes parasitaires est pratiquement identique à celui préconisé pour contrer le COVID-19. « D’abord, on fait la détection (test COVID-19), ensuite on les isole (quarantaine), puis on applique le traitement (hospitalisation ou ultimement vaccin) et enfin on recommande le confinement sur une longue période pour éviter que ça reprenne», énumère le président, qui a pignon sur rue dans le quartier Rosemont.

Vraiment, on a beaucoup à apprendre des bibittes, assure M. Leavey, qui a tiré d’eux de belles leçons de sagesse. « Les insectes sont là depuis 400 millions d’années et sans leurs milliers de petits gestes anodins, on ne serait pas là aujourd’hui. Au final, on aura été qu’une parenthèse dans leur vie », souligne l’exterminateur, qui subit comme presque tous les entrepreneurs les contrecoups de la COVID-19.

«Les insectes sont là depuis 400 millions d’années et sans leurs milliers de petits gestes anodins, on ne serait pas là aujourd’hui. Au final, on aura été qu’une parenthèse dans leur vie.»

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À mes passages dans leurs locaux en matinée, j’ai pourtant l’impression que les choses bougent pour ce service essentiel. Plusieurs techniciens portant des masques et des gants se préparent à aller sur la route. Malgré l’apparente frénésie, Harold Leavey affirme avoir réduit drastiquement ses activités. « Avril et mai sont nos gros mois. Là, notre chiffre d’affaires doit être coupé de moitié », calcule-t-il dans son bureau à l’étage, devant une reproduction du tableau La persistance de la mémoire de Dali.

Mais au-delà des chiffres, il sait aussi que les propriétaires de logements et de commerces fermés qui hésitent à faire venir les exterminateurs dans le contexte actuel ne font que repousser un problème à plus tard. « Les punaises, c’est un problème à traiter rapidement. Sinon, le mâle copule de 50 à 150 fois par jour, autant avec les mâles et les femelles », souligne Harold Leavey , qui s’attend à des problèmes terribles dans des complexes locatifs de 50 à 100 unités. « C’est la même chose dans les restaurants fermés où il y a des problèmes de rats. Ils vont nous courir après quand on va y aller », illustre-t-il.

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Avec l’expérience, Harold Leavey sait très bien que les infestations parasitaires vont de pair avec la pauvreté et la misère humaine. Ses équipes sont dépêchées dans Hochelaga-Maisonneuve et Ville-Émard, pas à Westmount. « C’est ça qui me fait chier! », peste-t-il, avant d’excuser son langage. Il dénonce néanmoins le confinement à deux vitesses, et pas celui fait de festins et de files d’attente à la SAQ sur les réseaux sociaux. « On n’entend jamais parler des familles qui s’entassent à huit dans des trois et demie avec des punaises, des rats et des souris. Je vous jure que c’est pas le même confinement pour tout le monde », s’insurge l’exterminateur.

Il redoute maintenant la crise économique qui pointe à l’horizon, même si elle signifiera probablement de bonnes affaires pour lui. « La misère va accentuer les problèmes de salubrité et les problèmes d’insectes et de rongeurs. Déjà que les blattes sont de retour de façon importante depuis quatre-cinq ans », explique-t-il.

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  1. Leavey croit que les gouvernements auront tellement englouti d’argent dans la crise, qu’ils ne voudront pas dépenser dans la gestion parasitaire des gros complexes et continueront à minimiser l’ampleur des problèmes à Montréal. « Les punaises c’est comme la COVID-19, mais sans campagne de sensibilisation pour informer les gens. On ne veut pas faire peur aux gens, aux touristes. C’est pas juste comme ça à Montréal, mais dans toutes les grandes villes du monde », résume Harold Leavey, d’avis que nous vivons présentement le calme avant la tempête. « Le problème, c’est que la tempête, on ne sait pas elle va finir quand.»

«Les punaises c’est comme la COVID-19, mais sans campagne de sensibilisation pour informer les gens.»

Durant le traitement dans le logement infesté de punaises à Villeray, Yves a gentiment pris l’initiative de changer le matelas de côté, puisqu’il était en « meilleur» état de l’autre sens. « Me semble que ça va être moins pire de même », a-t-il souligné en s’exécutant.

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Un geste banal et cosmétique, qui résume peut-être ce que nous sommes en train de faire avec la gestion parasitaire à Montréal.

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