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La chasse aux phoques vue autrement

Entretien avec le photographe Yoanis Menge

Par
Camille Gladu-Drouin
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Dès qu’on met le pied à la galerie Occurence, les photographies noir et blanc de Yoanis Menge nous transportent à des kilomètres, quelque part entre le Nunavut, les Îles de la Madeleine et Terre-Neuve, à bord des bateaux de chasse aux phoques, sujet de l’exposition Hakapik.

Il a accepté de me rencontrer, son appareil photo au cou.

Il dégage un grand calme qui détone avec ma nervosité naturelle qui me force à me poser un moment et à prendre le temps d’explorer le monde de Yoanis et de la chasse aux phoques. Loin d’être polémiste, le parcours de Yoanis explique le choix de ce sujet controversé.

Né en 1981 et de double nationalité suisse et canadienne, le jeune homme découvre la photo avec son père. “La chasse et la photo viennent de mon père. Je le suivais partout ( … ) il était vraiment très généreux de son temps, il m’apprenait tout ce qu’il savait et il faisait de la photo en amateur, mais il faisait quand même imprimer ses films.” Il déménage très souvent et a vécu notamment à Gaspé, Québec et Ottawa.

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LES PREMIERS CLICHÉS

Plus jeune, il saisit les portraits de ses amis et des paysages. Il envisage tout d’abord un métier sédentaire de fermier qui l’étouffe d’avance. Quand il apprend qu’il est possible de faire un cours en photographie au cégep, il court s’inscrire à Matane. C’est là qu’il développe une passion pour le photoreportage et choisit le monde interlope comme premier modèle. “Je prenais des photos de squatters, de punks dans des squats, de musiciens de rue, de clochard, de poubelles. J’allais à Québec, à Montréal. J’aimais le monde de la rue, un peu méconnu, inaccessible.”

L’ÉTRANGER

C’est par Médecins Sans Frontières qu’il réalise son premier photoreportage à l’étranger sur la prostitution au Salvador. Il travaille ensuite comme assistant chez Magnum, où il œuvre dans des zones de conflits comme en RDG. “Pour moi, il n’y a rien de plus magique que d’arriver quelque part, de connaître personne, de ne pas savoir ce qui va se passer. C’est dans les moments où t’as l’impression d’être dans une espèce de catastrophe, qu’il se passe finalement plein de choses et où tu fais plein de bonnes photos.”

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Les contrats dangereux et éprouvants le fatiguent après quelques années et l’arrivée de son premier enfant le ramène sur la terre de naissance de sa mère, les Îles de la Madeleine. “Je remettais en question ce que je faisais, mon regard de blanc occidental sur un pays africain. J’avais peur de tomber dans le piège de rendre beau la misère. ( … ) J’avais parfois l’impression que ça devenait comme un cirque médiatique.”

CHERCHER SES RACINES

Il y renoue avec ses racines. La chasse aux phoques “est un sujet très personnel qui me rejoint, j’avais envie de parler de mon peuple.” C’est à Paris qu’a lieu le déclic, lorsqu’il croise une annonce contre la chasse aux phoques, illustrant un bébé humain se faisant tuer par un phoque. La désinformation contenue dans la publicité le révolte. “Les chasseurs ne savent même pas qu’on est en train de se moquer d’eux, tout ça pour arrêter une chasse d’un animal qui n’est pas en voie d’extinction, au contraire.” Il me précise bien : “La chasse aux blanchons est interdite, on ne tue pas des bébés phoques.”

Mon cœur de petite fille s’est senti soulagé.

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LA CHASSE

Il passe son permis de chasse pour pouvoir embarquer à bord des bateaux. La tâche est ardue et les chasseurs sont réticents. Le plus dur c’est de se faire accepter. “Je ne pensais pas que ça allait être aussi difficile. Disons que je partais avec une longueur d’avance à cause de ma mère, mais les chasseurs ne me connaissaient pas. Avant, les Madelinots étaient super accueillants, mais ils se sont rendu compte que les animalistes et les journalistes venaient détruire leur image et les traiter de barbares. (…) Fallait que je les rencontre et que je les convainque.” Il réussit à convaincre les chasseurs et embarque avec eux à bord des bateaux, pendant parfois deux semaines, chassant 400 phoques par jour.

C’est un travail difficile et éreintant, on le voit bien à travers l’œil de Yoanis.

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Prenant au départ des photos couleur, il change pour les possibilités que lui offre le noir et blanc. “J’ai commencé à pouvoir me concentrer plus sur les gestes, sur le rituel en soi (…), je pouvais jouer avec les contrejours, les ambiances plus mystérieuses, dramatiques pour mettre en valeur le travail, le labeur, le danger aussi qui est toujours présent.” On y voit alors autre chose que la couleur du sang sur la neige. Notre regard est effectivement plus dirigé sur les chasseurs, sur le rapport entre l’homme et la nature et sur les textures. Pour une jeune photographe comme moi, la démarche est le résultat est inspirant.

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C’est en faisant preuve de respect, d’une grande curiosité et d’une bonne dose d’entêtement qu’il a réussi à produire Hakapik, un livre saisissant sorti aux Éditions de la Morue verte. L’exposition du même nom qui regroupe quelques-uns de ses clichés est en cours à la galerie Occurrence jusqu’au 23 avril. Il est également possible d’observer le travail du photographe au Mali sur le site de KAHEM, un collectif de photographes dans lequel il est impliqué.

Si jamais il se trouve à la galerie, demandez-lui de vous raconter l’histoire de Jack Troake, le vieux chasseur qui lui a permis de se faire accepter à bord des bateaux à Terre-Neuve.

C’est ce qu’il appelle, un de ses moments magiques.

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Pour lire un autre reportage de Camille Gladu-Drouin : “Une virée au Roller Derby”

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