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La chasse à la baleine morte

Triste fin pour le cétacé qui amusait les Montréalais avec ses pirouettes.

Par
Hugo Meunier
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« On dirait qu’on ne pouvait pas la laisser seule. On est venues lui dire un petit au revoir. »

Debout dans un immense champ situé en bordure de la route 132, Laurence Carbonneau raconte être partie de Montréal avec sa soeur Jessica en apprenant que la carcasse de la désormais célèbre baleine de Montréal flottait au large de Varennes mardi matin.

« On est venues lui dire un petit au revoir »

Le cétacé d’environ 10 mètres (et pesant entre 15 et 30 tonnes) dérivait sur le dos avant d’être repéré par un pilote maritime aux aurores. Des images par la suite croquées par un hélicoptère ont vite fait le tour du web.

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Une triste fin pour le rorqual à bosse de 2-3 ans, qui a fait courir les foules durant plusieurs jours dans le secteur du pont Jacques-Cartier, où elle s’était vraisemblablement égarée.

Si le métier de journaliste n’est pas toujours une sinécure, traquer une baleine morte se mérite assurément une place sur le podium des affectations tristes.

Surtout que le rorqual à bosse de Montréal apportait – bien malgré lui – une sorte de diversion dans l’actualité, après la morosité des dernières semaines.

«Le grand défi sera de remorquer une carcasse de plusieurs tonnes dans un endroit propice. La garde côtière est sur place pour essayer de ralentir sa dérive.»

Nous savions certes que la baleine se trouvait dans une fâcheuse position, mais on avait bon espoir qu’elle retrouve son chemin et reparte rejoindre les siens, quelque part dans l’estuaire du fleuve Saint-Laurent. « Elle est en bonne santé et fait preuve d’un dynamisme remarquable. Parfois la meilleure chose à faire est de laisser la baleine se débrouiller. Laisser la nature agir par elle-même », expliquait la semaine dernière dans nos pages le Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM) qui documentait cette visite rare et décourageait les plaisanciers d’approcher le mammifère avec leurs embarcations.

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La nature se sera au final avérée cruelle, puisque quelques jours auront suffi pour venir à bout du cétacé. Les causes de sa mort demeurent inconnues, mais les experts retiennent l’hypothèse que la baleine se soit égarée, peut-être en suivant des proies.

Difficile toutefois de ne pas avoir un pincement au coeur en réalisant que les majestueuses cabrioles de la baleine qui faisaient le bonheur des badauds étaient peut-être des appels de détresse de l’animal désorienté, coincé à contre-courant au large du quai de l’horloge.

« L’analyse des comportements animaux est complexe. La nécropsie (autopsie pratiquée sur les animaux ) nous permettra d’en apprendre plus », explique Marie-Ève Miller du GREMM, précisant que l’examen post-mortem sera conduit par des membres de la Faculté vétérinaire de l’Université de Montréal, les experts en la matière.

Le GREMM s’affaire maintenant à orchestrer une opération logistique d’envergure, à commencer par son remorquage sur une berge sécuritaire, accessible par voie fluviale et terrestre .

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« Le grand défi sera de remorquer une carcasse de plusieurs tonnes dans un endroit propice. La garde côtière est sur place pour essayer de ralentir sa dérive », indique Marie-Ève Miller. Elle ajoute qu’un des principaux enjeux est de ne pas devenir un problème de santé publique additionnel, surtout le contexte actuel. Les risques de transmission de maladies et l’odeur « très incommodante » peuvent aller de pair avec une carcasse de cette ampleur en décomposition. « On espère tirer des leçons et conserver un héritage positif de sa présence dans le fleuve », résume-t-elle toutefois.

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La chasse à la baleine

À l’instar des soeurs Carbonneau, plusieurs citoyens se sont lancés mardi aux trousses de la baleine morte, dérivant à haute vitesse en direction de Contrecoeur. Pour plusieurs, la fin abrupte du cétacé semblait prendre une dimension hautement émotive. « On la suivait à Montréal. On est presque allées la voir chaque jour », raconte Laurence, qui adore sur les baleines et mentionne aller régulièrement les voir à Tadoussac ou en Gaspésie en prenant part à des croisières.

«Je l’ai vu sauter à Montréal. Elle était tellement vigoureuse. Ça me touche de la voir comme ça, on dirait qu’elle est gonflée.»

Sous un ciel gris, plusieurs voitures suivaient le trajet funeste du rorqual, en s’immobilisant en bordure de la 132 pour tenter d’apercevoir et, pourquoi pas, immortaliser la baleine morte. Un spectacle morbide pour les uns, mais qui semblait être une forme d’exutoire pour les autres. « Je l’ai vu sauter à Montréal. Elle était tellement vigoureuse. Ça me touche de la voir comme ça, on dirait qu’elle est gonflée », confie Michelle Chagnon, partie de Sainte-Thérèse pour la voir une dernière fois.

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Postés dans un champ de quenouilles situé à mi-chemin entre Varenne et Verchères, on apercevait au même moment la baleine au loin – effectivement ballonnée – en train de dériver à vive allure, talonnée par une embarcation de la garde côtière.

Sur la route 132, un cortège de véhicules – dont plusieurs médias – s’est ensuite aussitôt mis en marche pour suivre la progression du cétacé. « J’imagine qu’ils vont la remorquer pour l’amener quelque part », espère un homme du coin, venu contempler le phénomène de ses yeux. « C’est impressionnant de voir ça !», avoue Sylvain, de Verchères, venu aussi zieuter la baleine morte avec son fils Julien. Même chose pour cette famille des environs, qui traversait à la hâte une terre agricole dans l’espoir de voir le mammifère dériver.

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Je me suis retrouvé bien malgré moi au coeur cette étrange expédition, à un point tel que des curieux venaient me partager leur meilleure stratégie pour apercevoir le mammifère flottant. « Je pense que le meilleur spot est d’aller vers le quai du traversier de Sorel », suggère un couple du coin. « Moi je vais aller l’attendre à Contrecoeur », lance un autre dans une vieille bagnole déglinguée, flanqué de son appareil photo Canon sur le siège passager.

Au quai municipal de Contrecoeur à quelques kilomètres de là, deux gaillards mettent leur embarcation à l’eau pour aller pêcher . Quelques curieux et médias commencent à débarquer dans le stationnement, sans doute pour attendre le passage du rorqual. Je me risque.

« Est-ce que je peux embarquer? Il y a une baleine morte qui flotte tout près? »

  • « Je ne pense pas non », a répondu le pêcheur.

Ça a le mérite d’être clair.

Sans farce, la dernière fois que je suis venu à Contrecoeur, c’est en 2006 lorsqu’un autre rorqual – cette fois de plus de 40 tonnes – s’était échoué sur les berges tout près, après avoir été percuté par un cargo danois en remontant le Saint-Laurent. Je me souviens surtout de l’odeur, très forte.

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« On retrouve généralement les carcasses sur la rive sud à cause du courant », souligne Marie-Ève Miller, coupant court à mes théories conspirationnistes au sujet d’une possible malédiction frappant les baleines qui passent dans le coin. D’autant plus que selon le Journal de Montréal, les experts évoquent à nouveau le scénario d’une collision avec un navire pour expliquer la mort de la jeune baleine.

Je suis retourné à Montréal, pendant que la baleine inerte poursuivait sa route vers Contrecoeur, où sa carcasse a finalement été extirpée en soirée à Sainte-Anne-de-Sorel, devant des centaines de spectateurs.

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J’aimerais ici trouver une chute rigolote ou porteuse d’espoir, mais je ne trouve pas.

Parfois certaines histoires finissent simplement mal.