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Des valeurs. Un projet de charte. Un débat. Des débats. Des amitiés politiques qui s’effondrent. La fucking zizanie.
Je ne suis pas ici pour parler de la Charte. Je suis ici pour parler d’union et de désunion.
Des débats, en politique, il y en a toujours eu, et il y en aura toujours. Cela fait partie d’un équilibre nécessaire en démocratie. L’absence de débat, de questionnement, équivaut à la stagnation et au croupissement des questions sociales, politiques, économiques et culturelles.
L’importance des débats publics est ici : ne pas se laisser dévorer afin d’assurer à chacun sa chance de survie. Nous sommes une société qui aspire à une démocratie saine et à des débats publics sains dans la mesure où ceux-ci nous permettent de prendre les meilleures décisions possibles, dans l’intérêt des libertés individuelles et collectives.
Or, il y a une large différence entre « débat » et « dispute ». Bien qu’il provienne, je crois, de besoins légitimes d’une société de se regarder dans l’blanc des yeux et de décider ce qu’elle souhaite pour son avenir politique et culturel, le débat de la Charte n’en est pas un. Malhabilement mené, fait à la hâte et avec beaucoup de maladresse, c’est vite devenu une dispute, qui a vite tourné en zizanie collective.
Pas de chicane dans ma cabane
Il serait faux de penser que l’échiquier politique de toute société ne se dessine que de gauche à droite; il s’esquisse sur un plan qui part d’une droite libérale à la droite conservatrice, en passant par la gauche libérale – au sens classique du terme – et la gauche conservatrice (si, si!). Entre tout ça, se situent des acteurs bien importants de notre scène politique, disséminés parmi ces quatre groupes, soit les mouvements indépendantistes et féministes.
Saupoudrez le tout de mouvements LGBT, de conflits intergénérationnels et de conflits entre Montréal et le reste du Québec; brassez bien dans un débat où la moitié de chaque groupe est d’avis contraire à l’autre, et vous obtenez un véritable capharnaüm d’idées jetées à tort et à travers et où tout glisse rapidement en pugilat d’insultes et de raccourcis faciles. Mon constat? On a pété la yeule à la démocratie. Littéralement. Quelques exemples :
Éclatement de l’équilibre gauche/droite
L’axe gauche/droite commence à avoir fait son temps. Il a été supplanté récemment par un axe d’un tout nouvel ordre : l’axe identitaire. L’émergence de ce nouvel axe identitaire brasse les cartes pour faire naître des alliances inattendues et, par la bande, en aura brisé tout autant, sinon plus. Dès lors, les gauchistes précédemment unis pendant le Printemps Érable s’engueulent les uns les autres, se divisant entre pour/contre la Charte, délaissant par le fait même les débats essentiels dans lesquels ils s’unissaient : accès à l’éducation, environnement, justice sociale, droits des femmes, pour ne nommer que ceux-là. On ne sait plus trop comment approcher ces questions car il nous manque désormais l’unité, la cohésion nécessaire pour les aborder.
La droite écope aussi. Tout aussi lourdement. Si, auparavant, les Pratte, Ravary, Bock-Côté et Éric Bédard de ce monde – ainsi que leurs partisans – s’entendaient tous pour condamner de front la gauche syndicaliste et manifestante, ils sont désormais profondément désunis entre contre, et pour, le projet de Charte.
La droite libérale, par définition, favorise les libertés individuelles au-delà des libertés collectives. Leurs tenants vont donc se positionner contre la Charte, car elle va selon eux à l’encontre du droit individuel de porter un voile sur la tête, par exemple. Chez la droite conservatrice, c’est la tradition que l’on favorise; le bagage culturel, la langue, l’histoire de la nation, pour ne nommer que cela. C’est là que le bât blesse chez les droitistes; leur force, qui provenait de leur profonde union, est désormais transformée en profonde désunion.
C’est la grosse chicagne de tous bords tous côtés. Plus personne ne s’entend, des amitiés éclatent, d’autres se forment sous le signe de la méfiance, on se traite de raciste ou de malade mental. On voit des carrés rouges qui méprisaient André Pratte boire avidement chacune de ses paroles. On voit des carrés verts qui adulaient Ravary lui tourner soudainement le dos pour se ranger sous les idées plus identitaires de Bock-Côté.
Le mouvement féministe
Même son de cloche chez les féministes. Des militantes notoires, comme Léa Clermont-Dion, Ryoa Chung et Martine Delvaux, se positionnent contre. Leur justification : celle-ci limite les choix personnels des femmes de porter ou non le hidjab et crée une discrimination supplémentaire en limitant l’accès à l’emploi de celles qui choisissent – ou non – de le porter. Pour elles, il s’agit donc d’une double discrimination.
Et les Janette. Madame Bertrand, c’est une institution féministe à elle seule. On ne peut pas ne pas aimer ses contributions monumentales à la cause. Cependant, le débat autour des Janette aura encore une fois rouvert les blessures entre les générations; qui des « pro-janettes » ne blâme-t-il pas au moins un peu les jeunes générations de leur manque de respect à l’égard de ces femmes qui ont construit le féminisme, et qui des « anti-janettes » n’accuse-t-il pas celles-ci de s’accrocher à un passé désormais révolu? Et le nouveau groupe PDF – Québec qui se range derrière le projet de Charte. Leur justification : le hidjab est un symbole de domination masculine. De soumission de la femme. Il faut sortir les femmes de leur voile, de leurs chaînes. Il faut les libérer.
Ça fait que les deux partis s’affrontent directement, faisant fi de ce qui les rassemble : l’amour de l’égalité.
J’ai même vu des misogynes faire la morale aux féministes « anti-charte » en leur démontrant que celle-ci favorisait l’égalité des sexes. Oui-oui madame! On s’engueule, et on s’accuse de fausse féministe, à tort et à travers. On n’a plus d’unité et donc de moins en moins de force. Pareil pour les militants LGBT : on se divise profondément sur le sujet alors que cela affaiblit les fondements mêmes de notre unité.
Le mouvement indépendantiste
Chicane chez le Bloc Québécois. La députée du Bloc Québécois, Maria Mourani, est expulsée du caucus de son parti suite à sa prise de position contre la Charte. Elle quitte ensuite le parti, et, depuis, n’est plus tout à fait certaine d’être souverainiste. Des ténors du mouvement indépendantiste se positionnent tour à tour pour ou contre, entraînant avec eux des militants qui ne jurent que par un côté ou l’autre du débat. Les « pour » ne veulent pas d’un pays aux valeurs des « contre », et vice-versa.
Pareil comme pour le féminisme : chacun a sa propre idée de ce qu’est le souverainisme et quiconque ne partage pas cette idée n’est pas un « vrai » souverainiste. Le mouvement s’essouffle, se divise. Sans compter qu’on risque de perdre le vote souverainiste des immigrants, on perd celui des multiculturalistes. Ou encore, le vote souverainiste multiculturaliste perd celui des monoculturalistes.
OUF. NON MAIS.
Notre échiquier politique est de plus en plus confus.
On prend une grande respiration, et on reprend son souffle
À force de contradiction, d’union et de désunion, il n’est pas surprenant que l’on soit étourdi par tout ce chaos qui règne sur notre échiquier politique. Celui-ci est en train de se transformer en mosh pit de pièces complètement désarticulées. Ce débat, je le répète, peut provenir d’un besoin légitime : se définir en tant que société. Cependant, au lieu d’avancer nos pièces, on a juste garroché la planche au bout de nos bras. Plus de stratégies, plus de débats. Que des déchirements et des sutures à la va-comme-j’te-pousse.
Ce débat a été mal présenté, mal mené. Il déchire plus qu’il n’unit. Et c’est bien là le problème : il a rendu la démocratie encore plus difficile à comprendre à l’électeur moyen.
On a bel et bien cassé la yeule à notre démocratie.
Si vous croyez encore en la démocratie et avez envie de faire évoluer le débat sainement, jouez vos valeurs sur Toi, moi et la Charte!