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J’ai une sortie laveuse-sécheuse chez moi, mais je m’en fous. Je m’obstine à ne pas acheter une Maytag double verticale Énergie star, car j’ai un plaisir coupable : aller à la buanderie.
Lieu mal-aimé, un peu ringard, souvent trop éclairé et ironiquement sale.
Pourtant, ça reste un lieu fabuleux. Un lieu qui ne te juge pas : vas-y en pyj, avec ton haleine matinale, apportes-y tes vieux magazines, tes travaux en retard, ta guitare, ton chat, who cares? On est tous égaux là-bas.
Viens t’y réchauffer l’hiver en attendant ton bus qui ne passe pas. Apporte tes tourments, tu as le temps maintenant. Le temps d’un cycle, tu peux réfléchir ou maudire la vie. Tu peux pester contre l’humanité à la buanderie, tu peux même synchroniser tes cris avec le vrombissement lourd des machines. Tu peux aussi te laisser bercer par leur symphonie. Je m’y sens bien. Là, tout est facile. Tout suit son cours. Tout est fluide.
La buanderie, c’est un champ de lavande. Odeur métallique florale. Sensation de chaleur et de réconfort. La buanderie, c’est un peu comme ta grand-mère.
Les machines sont cutes, elles font semblant qu’elles ont différents types de cycles à te proposer. Tu joues le jeu, tu sélectionnes “couleur” même si tu fais une brassée de noir et blanc. Tu le sais que ça va rien changer, tu ne veux juste pas les froisser.
Pis si tu t’attardes, tu verras que les machines sont toutes singulières, chacune a sa propre personnalité.
Tu as celle qui a abdiqué, celle qui est cleptomane, celle qui fonctionne même si son capot est ouvert, pis tu as celle qui n’en finit plus d’agoniser en poussant d’horribles cris stridents. Tu as celle aussi qui shake, beaucoup, surtout à l’essorage. Des fois pour passer le temps, j’ y organise des courses de cennes sur son capot : la reine contre le castor. La reine contre l’ours etc. La reine gagne souvent.
Je sais, la route vers la buanderie est pleine d’embûches. Il faut d’abord trainer sa carcasse dehors, affronter Mère Nature avec 2-3 sacs qui laissent tomber une à une tes vielles bobettes du dimanche. Au moins, tu ne risques pas de te perdre au retour.
La buanderie, c’est un sanctuaire, tu peux y rêvasser, tu peux enfin penser.
Tu peux y écrire une nouvelle, toucher à nouveau un crayon et un papier. Tu peux même y tomber amoureux, ou bien croire que tu peux y tomber amoureux, ou bien écrire une nouvelle de quelqu’un qui y tombe amoureux. C’est un espace romantique, on est à nu, on est nous-mêmes, sans artifices, francs, un peu moches, mais beaux, car vrais.
À quand un speed dating au son des sécheuses?
25 cennes de chaleur par rencontre. 1$ d’assouplisseur si tu me plais. 50 cennes d’eau de javel si tu ne me plais pas. C’est mieux que de swiper à gauche ou à droite.
Je vais peut-être à la buanderie, car je ne veux pas être seul. Parce que je m’ennuie de vous. Parce que je veux contempler mon quartier, m’y mêler, m’y brasser. J’y vais peut-être pour avoir l’impression qu’au fond, même quand je me sens comme une vieille chaussette bleue ou fringuant comme un veston noir, la machine ne fait pas la différence.