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La brassée

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Je t’arrête tout de suite. Il ne sera pas ici question du groupe bizarre que Dany Bédar s’est parti quand il feelait mesclun pour Annie Villeneuve. Il s’agit plutôt de la brassée la plus étrange dont j’ai été témoin.

Depuis que j’ai swingé mon sofa de cuirette dans mon pequeño 3 ½ du Plateau, j’ai le grand bonheur d’avoir un pas-de-laveuse-sécheuse avec cachet. Sauvagement séduite par la perspective de pouvoir faire du fil de fer au Parc Laurier quand bon me semble – du fil de fer CLÉ EN MAIN – en suçotant des fromages d’ici vendus dans des mangeoires locales qui suintent le Marie Saint-Pierre, je m’étais dit que faire ma petite ronde au lavoir n’était que bien petit mal pour vivre dans quartier aux si vastes possibilités.

Les allers-retours dans le grésil avec mon Fleecy. L’intangible bonheur d’échapper mes caneçons devant autrui en sortant ma brassée de délicat pleine de cheveux qui m’appartiennent pas. LIVING THE DREAM.

Eh bien je ne croyais pas si bien dire; parce que le rêve, je l’ai vécu.

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J’ai tout de même la chance d’avoir accès à un très chic lavoir avec vue, petits tabourets face au parc, me permettant ainsi de comparer mon existence futile à celle des skieurs du mont Gabriel qui viennent pique-niquer en Ralph Lauren pendant que je lave mes jeans rouges dans ma brassée de blanc. Mais chaque fois que je pousse la porte en perte d’équilibre avec mes sacs Choix du président remplis de tchulottes, un frisson de sérénité me parcourt le jarret.

Je sais pas pourquoi, le bruit des machines m’est appaisant. Dans cet endroit, il peut rien m’arriver d’autre que de faire ma brassée. Pas de courriels. Tu m’appelles? Je réponds pas; je suis en processus d’assouplissement de fibres. Désagréable de même.

Et je suis surtout bien trop occupée à observer mes camarades de lavage.

Mes préférés? Les territoriaux-anxieux qui fixent leur machine tout au long du cycle pour s’assurer que toute tourne comme faut. Est loin d’être venu le jour où ils s’assoieront sur un stool pour prendre ça rilax avec un bacardi breezer, mes amis.

Faut veiller au grain, Y’A DES SHORTS QUI SE LAVENT, ICI-DEDANS.

Mais par un beau soir où tout n’était que buée et vapeurs de joggings propres dans ce beau lavoir où la circulation d’air serait peut-être sujet pas pire à aborder au prochain C.A., il est entré.

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Au début, je croyais qu’il s’agissait d’un visiteur-comédien qui s’exerce la palette de jeu en faisant croire qu’il vient laver des affaires quand au fond, il veut juste aller longtemps dans la petite toilette épeurante en arrière. J’haïs ben ça, quand ça arrive.

Fébrile de nature, je me brandis toujours le petit drapeau des aguets quand un individu entre et prend son temps pour décider de ce qui va se passer: je lave-ti, je fais-ti un tour du propriétaire ou je passe-ti plus de temps dans l’entrée à fixer la petite dame qui a déjà la main sur sa canisse de cayenne? Toutes ces possibilités et si peu de temps.

Dès qu’il est entré, je savais que ça allait être bizarre. Qu’il allait finir par me parler ou me trancher la gorge. Les options avaient beau être simples, elles me tentaient pas plus qu’il faut.

Malgré mon pouls qu’on aurait pu prendre en posant simplement regard sur ma jugulaire, je me suis tout de même trouvée un peu ordinaire de juger le quidam, de le classer dans les cas problème en me basant vilement sur son apparence et le fait qu’il sifflait la trame sonore de Candyman.

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J’ai donc décidé de me concentrer sur le livre que je lisais pas. Après tout, le pire qui pouvait arriver, c’est qu’il dispose de mon cadavre sous un amas de mousse de sécheuse.

J’ai fini par prendre sur moi. Mais malgré la finesse de mon cappuccino-moussette sur lequel un artiste local avait tracé le portrait de Francine Ruel dans la mousse, je me suis mise à avoir furieusement envie d’un steamé pis d’une frite.

Une envie aiguë. Violente. Mais surtout soudaine.

Alors que je me demandais par quelle fenêtre me projeter pour me rendre au casse-croûte le plus près avec urgence, j’ai réalisé que le lavoir sentait la patate. Le Ti-Guy la patate. En un quart de seconde, j’étais transportée dans mon Saint-Hubert natal à partager une graisseuse et une soucisse en canot chez Ti-Guy avec ma mère après mon cours de natation. Des bonnes frites noyées dans le vinaigre comme c’était pas permis.

Mais attends une minute. ÇA SENTAIT BEN LE VINAIGRE, DONC.

Un lavoir, ça ne peut sentir que deux choses: la Parisienne ou la serviette de plage qui a cuit. Là, ça sentait le chip au vinaigre qui se fait aller les cils.

Oh. Non.
Pauvre diable.

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Un balayage visuel plus tard, je comprends que l’homme louche n’avait apparemment qu’une chose au programme et c’était de me briser le cœur à cet instant même (bon; je préférais ça au scénario du puits avec ordre de me crémer le corps et cape de peau humaine): le petit monsieur lavait ses jeans pis sa petite taie d‘oreiller AVEC DU SEL ET DU VINAIGRE.

Du sel et du vinaigre.

Quand t’es rendu à laver tes jammies avec du sel pis du vinaigre, on peut-tu se dire que ça fait un bail que t’as fait une croix sur une bonne nuit de sommeil où tu te réveilles pas en sursaut à cause du bruit de ta jaquette Bonheur d’Occasion qui frotte sur ton drap contour plein de sel pis de souffrance avec perspective d’un début de zona dans l’âme pis de cornées sinistrées par le vinaigre? On peut se le dire.

Tu nais.
T’as pas une jeunesse facile mais tu passes au travers et tu te trouves une job de marde.
Tu manques jamais une journée de job.
Voyage de noces à Wild Wood.
Tu payes tes bills. Ta maison mobile. Tu déneiges ton entrée. Tu surmontes un cancer. Ta femme meurt en glissant sur le patio. Tes enfants t’haguissent. On te coupe l’Hydro, l’espoir et t’as plus assez de reins pour payer tes cigarettes. Ton char a pris feu, aussi.

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Ça fait qu’un beau jour, tu te ramasses à faire ta brassée avec du sel pis du vinaigre.

« Tout ça pour ça », que tu dois te dire.

Tout ça pour ça.

La bise.

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