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La branlette

Par
Catherine Ethier
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Hier, en prenant le métro, je ne me doutais pas que l’apparente fiente qu’arborait sans émotion un passager en sa chevelure me rappellerait la plus étonnante masturbation estivale dont j’aie été témoin.

Je prenais place à bord d’un wagon de la ligne orange quand, délicieusement lovée entre un homme dont le chemisier émanait un bouquet de soupe Lipton et l’invitante aisselle d’un gypsy dont la pilosité en jachère entrait régulièrement en contact avec mon épaule effrayée, je l’aperçus.

Elle était là.

Presque sèche, mais si déterminée à vivre. Une fiente sur la tête d’un monsieur. Dans le métro. Et quasi neuve, à part ça. Une chose à laquelle, sur l’échelle de la fraîcheur, j’accorderais sans hésiter un 7. Nous étions maintenant quelques-un à lui mirer la crotte catégorie gala quand un preux passager fit signe à l’homme bien coiffé que si Marie avait un je-ne-sais-quoi, lui, il avait toute qu’un tas sur le crâne.

Alors que je m’attendais à un malaise suivi d’un « DOUX JÉSUS, VOUS AURIEZ PAS ÇA, UNE NAPKINE, MADAME ? » doublé d’un urgent besoin de quitter les lieux à la milliseconde, le passager souillé mais pourant bien mis, apparemment irrité par toute la samaritainerie du moment, lui répondit d’un geste brusque qu’il était bien au courant et que ce qui se passait au sommet de son crâne n’était pas de ses maudites affaires (certains murmurent à l’oreille des chevaux; moi, je lis dans les gestes brusques).

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Cet homme, donc, innocente victime d’une volée de bernaches, avait sciemment choisi, cet après-midi-là, de ne pas essuyer le cigare aviaire qui lui coulait au cuir chevelu par paresse, par déni ou par Toutatis, je l’ignore. Mais j’étais fascinée.

Fascinée par ce choix d’insister pour s’en occuper plus tard, qu’importe la rose. Tant pis pour ceux qui assisteront au spectacle; nulle lingette n’effleurerait le follicule pileux du brave homme, c’était de même.

FUCK AUTRUI.

J’ignore si c’est la chaleur, le chatouillis de l’aisselle sur mon épaule ou la psychorigidité de l’homme à la crotte qui me toisait de toute sa grâce, mais le beau moment qu’on était après vivre m’a rappelé cette étrange nuit dans une auberge de jeunesse d’Édimbourg où quelqu’un d’autre ne se soucia pas d’autrui et ce, de stupéfiante façon.

* effet sonore de voyage dans le temps en 2005 *

Jeune et pleine de cet espoir qui s’effrite avec le temps et les brassées de blanc, j’avais traversé l’océan dans un avion précaire en compagnie de ma meilleure chum (dont c’est précisément l’anniversaire aujourd’hui. BONNE FÊTE MA CHUM DE FILLE) pour découvrir le monde et, accessoirement, trouver l’amour.

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De Londres à York, en passant par le pittoresque village de Great Ouseburn (où j’ai trouvé l’amour et des gens très, très pactés), nous avons économisé nos trois sous pour partir à la conquête de l’Écosse (lire: passer trois nuits et quart à Édimbourg, à ne se nourrir exclusivement que de pain et d’abricots séchés. Ahoy, ballonnements).

Arrivées à l’auberge de jeunesse, nous venions à peine de nous glisser dans le confort des draps ayant sans doute accueilli mille fesses avant les nôtres quand j’activai mon Discman (en 2005, c’était ok d’activer un Discman), prête à lever les pattes. Alors que je sombrais doucement en écoutant du Bowie – mon vieil album d’Isabelle Boulay – ma chum de fille, couchée dans le lit à deux étages situé face au mien, me lança un abricot séché, soit l’équivalent du quart de notre subsistance.

C’est que la pièce comportait plusieurs lits superposés. Et comme nous étions furieusement malines, on n’avait pas prévu, nous, qu’à mi-nuitée, six Français sur le parté viendraient occuper les lits vacants de leurs corps longs et minces. Le truc, c’est que l’abricot-projectile n’était pas une invitation à un banquet nocturne, mais plutôt un cri, un S.O.S. qui dans l’eau laisse une trace dont les écumes font la beauté.

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Comme j’ai toujours de la misère à comprendre ce qu’on me dit quand on me parle sans émettre un son – SPÉCIALEMENT QUAND IL Y A URGENCE – ça m’a pris du temps à saisir. Eh, lali. Ma chum, appelons-la Marie-Hélène puisque c’est ainsi que Danielle Bourget l’a baptisée, semblait gagnée d’une panique que seuls les gens dont les rebords de pantalon sont en feu savent communiquer.

Elle gesticulait vers le haut et moi, le saule inconsolable dans le tapis, je ne captais rien. Jusqu’à ce que je finisse, après avoir reçu la boîte de fruits séchés sur le caluron, par enlever mes écouteurs et constater.

Ce bruit.

Les springs de matelas.
Beaucoup de respires.
De vagues soupirs français. Mais surtout, surtout, l’enthousiasme du travail bien fait.

J’ai bien dû échanger 160 regards ébaubis avec Marie-Hélène en alternance avec le gars au-dessus de son lit pour que l’information se rende à mon cerveau.

Alors que ses camarades avaient cessé de jaser, lui, épicurien jusqu’à la moelle, avait décidé que c’était bien beau les châteaux médiévaux, le Fudge House pis le whisky, mais que c’était quand même toujours bien le temps de se passer un willey.

IL SE MASTURBAIT PARMI NOUS. DISCRÈTEMENT.

Impossible qu’âme qui vive ne l’ait pas remarqué. Impossible.

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Donc ce gars, à cet instant précis, dans cette chambre occupée par sept autres individus connus et inconnus (je sais pas ce qui est pire), avait pesé les pour et les contre et dressé le fastidieux tableau Excel des possibilités qui s’offraient à lui pour en venir à l’étonnante conclusion que se caresser la dine s’avérait, et de loin, fort adéquat.

Bon. Que tu fasses fi des gens qui t’entourent quand tu fais steamer ton sandwich aux œufs-baloney à la kitchenette du bureau, c’est une chose. Mais que tu te pétrisses le moine avec l’ardeur d’une Rock’n nonne dans une chambre bondée et dont les lits hurlent comme des veuves italiennes au moindre gaz, il y a comme le début d’une naissance d’un brasier dans lequel on peut lire HALTE LÀ en lettres de feu.

Enfin, je crois.

Peut-être suis-je une touchette vieille école. Voire Ancien Testament, qui sait. Lorsqu’il n’est pas question de buisson ardent ou d’eaux qui se séparent, je perds un peu le nord. Ça fait que quand tu te masturbes sur les springs d’une couchette aussi mince qu’une maxi-serviette au-dessus de ma meilleure chum de fille qui a les orteils écartillés rien qu’à envisager les huit prochaines secondes, je… je… ben viarge, JE NE FAIS RIEN DU TOUT.

Absolument.

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Nous sommes restés là, sept ticounes au sexe non-turgescent, à attendre que ça finisse, bien trop gênés pour mettre un terme aux réjouissances.

Comme quoi aux réjouissances comme à la crotte, parfois, les mots viennent à manquer.

C’est bien pour dire.

La bise.