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La ballade des gens heureux (de Saint-Eustache)

Pèlerinage dans les coulisses du palmarès des villes du bonheur.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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L’été, c’est souvent slow news.

Pas tout le temps, je sais. Parfois, un train explose en plein centre-ville de Lac-Mégantic ou un ado se fait tirer par la police à Montréal-Nord. Mais, en général, l’actualité tourne pas mal au ralenti.

Oui oui, il y a Gaza, l’Ukraine, Trump, les tarifs, l’apocalypse météorologique, etc. Mais vient un temps où le quatrième pouvoir a aussi envie de s’enduire la face de Banana Boat pour s’installer sur une serviette au bord de la piscine. Pas celle du parc Jarry, parce qu’elle est pleine d’hommes louches.

C’est donc avec cet air amorphe de bientôt-vacancier-qui-n’en-donnera-pas-plus-que-le-client-en-demande que je suis tombé, il y a quelques jours, sur ce onzième grand palmarès des villes les plus heureuses du Québec, gracieuseté de la firme Léger. En gros, on a sondé des milliers de Canadiens (36 179), dont la moitié sont au Québec, pour leur demander d’évaluer, sur une échelle de 1 à 10, leur indice de bonheur.

Ce palmarès permet généralement deux choses :

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1- Donner des munitions aux haters de Montréal parce que la métropole traîne toujours au fond de la cave.

2- Permettre à des municipalités qui ne font jamais les manchettes de se prendre pour Pedro Pascal (allô, Saint-Augustin-de-Desmaures).

Mais ce qui a surtout retenu mon attention, c’est cette remarquable quatrième position occupée par Saint-Eustache – MON ancien hood – qui occupait, en 2021, le 71e rang.

Mais que diable s’est-il passé pour que cette municipalité des Basses-Laurentides, célèbre pour son Marché aux Puces, son ciné-parc et son culte de l’aileron arrière, fasse une remontée encore plus spectaculaire que celle de Rocky contre Clubber Lang?

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C’est donc la tête remplie de points d’interrogation que je mets le cap vers Saint-Eustache, déterminé à mener l’enquête de ma carrière.

Qu’est-ce qui rend les Eustachois aussi heureux? Est-ce que le bonheur porte un complet taille forte des Habits Saint-Eustache, pêche la barbotte dans la rivière des Mille Îles ou se tient au billard Le Patriote?

Environ 40 kilomètres me séparent de la réponse, que j’abats en sifflotant bien malgré moi l’insupportable ver d’oreille de Christophe Maé.

Remonter à la source du bonheur

Je roule sur la 640, avant de sortir à la 25e avenue.

Pas le choix de commencer ma quête devant mon ancien bungalow de la rue Leclair, à un jet de pierre du Marché aux Puces.

Une joie imprévue m’envahit en arpentant le quartier de ma jeunesse. La rue de Martigny où habitait mon chum Cormier, le boulevard Saint-Laurent où des condos ont poussé. Fuck, le Patio Vidal est devenu un Dic Ann’s.

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Finalement, ce reportage va me faire du bien. J’en parlais à ma blonde, l’autre jour, mais je pense que plus je vieillis, et plus je deviens blasé. Je fais pas exprès, je sais que je suis chanceux, privilégié, bla bla bla, mais ça se fait tout seul.

J’ai tout dans la vie pour crier YIPPEEEEE en tirant du gun dans les airs comme dans un party du Nouvel An au Far West, mais quelque chose d’insidieux m’empêche de m’abandonner au bonheur pur et extatique.

Est-ce parce que j’ai trop fait de threeso

Euh, vécu d’affaires cool? Suis-je juste un ostie d’ingrat?

Me suis-je trop embourgeoisé au point de perdre le contact avec le bonheur dans tout ce qu’il a de plus simple?

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Peut-être qu’au contact des gens de Saint-Eu, je me ferai pimper l’euphorie dans le sens du poil. Par osmose, genre.

Mon ancien bungalow n’a pas trop changé. Le terrain fait un peu dur, par contre. Mon père, qui a maintes fois remporté le concours Maisons fleuries, pognerait un deux minutes.

Claude, adorable ex-voisin.
Claude, adorable ex-voisin.

Par contre, je m’autocalme les nerfs sur l’idée d’aller cogner à la porte.

– Salut, j’ai déjà vécu ici, hihi! C’est dans la chambre du sous-sol que Mélanie m’a déviergé, lol! Avez-vous gardé la chute à linge?

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Un homme et son Thing

Passé le rond-point, j’aperçois deux visages familiers dans un driveway.

Claude et Marie, les parents de Stéphane, mon ancien bff, et irréductibles doyens de la rue. « On est ici depuis 44 ans », calcule le sympathique Claude, toujours solide comme un chêne malgré le passage du temps. Un homme en forme, toujours en train de bizouner sur son terrain ou après sa voiture, un modèle Thing de Volkswagen datant de 1973 qui contribue – de son propre aveu – à son propre bonheur.

« C’est incroyable le nombre de sourires que tu vas chercher en te promenant là-dedans », souligne Claude.

À part son bolide, il croit que la proximité avec les commerces, les autoroutes et une salle de spectacle attirant tous les gros noms (Le Zénith) contribuent aussi au bonheur ambiant. « C’est sûr qu’on a pas mal chialé après les grosses inondations des derniers jours, mais on a beau blâmer les gens, c’est surtout la faute des changements climatiques », nuance Claude.

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Les petits bonheurs, toé chose

Une jeune maman derrière une poussette s’engouffre dans la maison voisine.

Pas le choix d’aller sonder une petite famille sur le secret du bonheur local. Je salue Claude pour me précipiter là où vivaient jadis mon ami Martin et sa sœur, la belle Véronique.

Une famille heureuse eustachoise.
Une famille heureuse eustachoise.

– C’est quoi le buzz avec Saint-Eustache?, que je demande, avec ma voix de Maxime Coutié à Tout un matin.

– On aime l’accessibilité à toutes les commodités et ça reste paisible même si la ville grossit (47 500 personnes en 2024), affirme Sabrina, flanquée de bébé Alice et de son chum Guillaume.

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Ouin. L’accès aux commodités et la proximité des autoroutes ne seraient pas en tête de liste du palmarès des choses qui me feraient lever le poil des jambes, mais je suis ici pour apprendre.

Je quitte la famille en leur rappelant que le bonheur réside peut-être dans les petites choses simples (awwww!).

Un Spyder pour retrouver mon mojo

Rue Joyal, la vue de deux petits gars en train de jouer au hockey dans un driveway me rend nostalgique.

De retour sur la 25e avenue, j’arrête au Maxi où j’ai travaillé cinq ans comme commis d’épicerie. Dans le temps, c’était plutôt un Provigo et je me souviens encore du code des raisins rouges (4023).

Je me souviens aussi encore de Anne la caissière ar, ar, ar.

Anyways, je fais le tour du magasin deux fois et ne reconnais personne.

– Hugo? Hugo Meunier? Légendaire commis d’épicerie circa 1997-2002?! Non?!

Personne ne se souvient de moi.

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Ce constat qu’on est un pet sauce dans l’univers fait une sérieuse jambette à ma quête du bonheur.

Moto Spyder = bonheur.
Moto Spyder = bonheur.

Retrouver mon mojo, je dois.

À peine ai-je commencé à m’exprimer en langage de Yoda que je vois passer un dude en moto Spyder dans le parking.

Malheureux, ce gars-là ne peut être, me dis-je en me lançant à sa poursuite.

Je le retrouve un peu plus loin au Subway, où il vient se chercher un lunch dans son break de dispatcher au 911. « Je pense que c’est le concept de petite ville de banlieue. Les gens se sentent en sécurité », philosophe André, avant de partir à cheval sur sa monture en me faisant des bye bye.

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L’Éveil du bonheur

Mon pèlerinage me mène dans le Vieux-Saint-Eustache, à l’ombre de la vieille église, dont les parois portent encore les traces des boulets de canon anglais, rare vestige de la rébellion des patriotes de 1837.

Pour tenter de comprendre pourquoi le bonheur est en hausse dans le coin, je fais un saut à L’Éveil, le journal local qui m’a donné ma première chance. Après tout, c’est bien connu que les journalistes savent tout.

Dany Baribeau, rédacteur en chef de <em>L&#8217;Éveil</em>.
Dany Baribeau, rédacteur en chef de L’Éveil.
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Je débarque à l’improviste, et me ramasse dans le (magnifique) bureau de Dany Baribeau, rédacteur en chef.

« La relation de proximité, la vibe de consommation locale depuis la pandémie et le sentiment de sécurité a été renforcé », énumère mon collègue, soulignant aussi la scène culturelle foisonnante et un nouveau marché public populaire ayant lieu chaque samedi sur la rue Saint-Eustache.

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Le bonheur sur les berges

Je passe devant l’ancien bar Chez O’Blix, où j’ai fait exploser mes premières cellules grises. À mon grand désarroi, l’endroit est désormais un restaurant.

Au bord de la rivière des Mille Îles, plusieurs personnes profitent du beau temps. Ariane et Marie-France se préparent à repartir en paddleboard. « C’est surtout vaseux », explique Marie-France, devant mon regard horrifié de voir de jeunes gens patauger dans l’eau brune où je n’ai jamais ne serait-ce que risqué de tremper le petit orteil.

Ariane et Marie-France, deux personnes courageuses.
Ariane et Marie-France, deux personnes courageuses.
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Peut-être que la qualité de l’eau s’est améliorée et que ça contribue au bonheur des résidents. La Seine et la rivière des Mille Îles : même combat.

« Le Vieux (Saint-Eustache) est beau, la ville est sécuritaire et les jeunes vont encore au Pat (billard Le Patriote) », résume Ariane, qui pense malgré tout quitter Saint-Eustache un jour, à l’instar de son amie.

Comme je suis passé par là, je leur rappelle qu’on peut sortir quelqu’un de Saint-Eustache, mais qu’on (oui, je m’en vais là) ne pourra jamais SORTIR SAINT-EUSTACHE DE NOUS.

Le <em>power couple</em> de Saint-Eu.
Le power couple de Saint-Eu.
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Sur la berge, Elyanna et Joshua font un pique-nique sur une belle nappe avec un panier en osier. Le petit couple suinte le bonheur, ça gosse quasiment. Lui vante la simplicité de la ville, elle une boulangerie artisanale, la vibe rurale et la riche histoire du coin.

À deux pas de l’église, pas le choix de faire un pit stop à la boutique Les Habits Saint-Eustache, un fleuron local depuis 54 ans.

J’y croise Carl Cloutier, l’ancien copropriétaire et fils du fondateur, qui donne encore quelques jours par semaine au magasin. Il ne se souvient pas de moi, mais la dernière fois que je l’ai vu, j’étais journaliste à L’Éveil et je faisais un reportage sur sa double vie de commerçant et de magicien. Plus de vingt ans plus tard, il croit avoir une piste pour expliquer le bonheur environnant. « On n’a pas de controverses politiques. Le maire fait une bonne job depuis quelques mandats. On a aussi le Zénith », énumère M. Cloutier.

Carl Cloutier, ex-copropriétaire et ex-magicien.
Carl Cloutier, ex-copropriétaire et ex-magicien.
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Quelques bémols

Pas le choix de faire un croche au billard Le Patriote, où je traînais aussi pas mal, dans le temps. Pour m’y rendre, je passe devant la cour de l’École Clair Matin, où grouillent des dizaines d’enfants inscrits dans des camps de jour.

Le Patriote est vide, sauf pour les habitués des machines de loterie vidéo.

« Quand on voit le nombre d’itinérants dans les rues ou le taux de suicide, je ne vois pas ce qui rend les gens joyeux », soupire Mel, la barmaid, rare voix discordante dans la béatitude observée jusqu’ici.

Cette Debbie Downer du 450 estime qu’il faut prendre ce sondage avec un grain de sel, citant plutôt les inondations, les arbres arrachés et la construction de trop nombreuses tours à condos.

« Je te dirais qu’on était plus heureux avant. Si on m’avait appelée pour le sondage, j’aurais dit : r’garde, allez chier, et occupez-vous des vrais problèmes », plaisante-t-elle… ou pas.

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Elle salue néanmoins l’effort de vouloir préserver un sentiment de petite ville et la beauté du Vieux-Saint-Eustache.

Marianne, future déserteuse.
Marianne, future déserteuse.

À une station-service sur le chemin Grande-Côte, je m’enfarge dans Marianne, une néo-Eustachoise qui ne vit pas non plus un conte de fées dans sa ville d’adoption. « Je pense que ça prendrait plus de changements pour que les gens restent », souligne-t-elle, sans s’étendre là-dessus.

surfer sur la vague

Avant de partir, j’ai rendez-vous au parc Olympia pour rencontrer Marc Lamarre, ancienne gloire du secondaire et aspirant maire de Saint-Eustache.

Sans farce, un gars super sympathique que personne de mon époque n’est surpris de voir s’aventurer en politique. Conseiller municipal depuis 16 ans, il est le dauphin de l’actuel maire Pierre Charron. Tiens, je croise justement le maire dans son char après un point de presse organisé au parc en marge de l’implantation des Bixi à Saint-Eustache. C’est quand même ça, le progrès. Parce qu’implanter un réseau de Bixi à Saint-Eustache, c’est un peu comme offrir un menu végé au Festival du Cochon de Sainte-Perpétue. « C’est une belle reconnaissance. Dès que c’est sorti (le sondage), les gens m’interpellaient à l’épicerie pour me dire qu’ils étaient fiers », commente sur le fly le maire Charron, vantant au passage son bilan.

Marc Lamarre, aspirant maire.
Marc Lamarre, aspirant maire.

Les élections municipales ayant lieu à l’automne, il ne cache pas que le timing était plus que parfait.

« On a fait beaucoup de choses. On est proche des citoyens et on est à leur écoute », renchérit Marc Lamarre, citant l’implantation de 14 terrains de pickleball, l’ajout de milliers d’arbres et la Grande Tablée du Marché qui attire les foules chaque samedi.

Il ne se met pas la tête dans le sable non plus et sait que ce bonheur est fragile. « On a ouvert une ressource en itinérance, on sait que ça suscite de l’inquiétude. Les problèmes de circulation aussi. On travaille là-dessus », assure-t-il.

En fin de journée, j’avoue que je quitte mon ancienne ville un peu plus heureux. Il ne manquerait pas grand-chose à ce reportage, sinon une quote de Koriass, son plus célèbre ambassadeur. Je vous assure que j’ai essayé de le rejoindre, mais on a probablement jugé ma requête trop cabochonne.

Mon bonheur est cependant vite compromis par le trafic sur Arthur-Sauvé.

Pas le choix de fredonner du Michel Rivard pour me cramponner à l’allégresse.

T’as eu la chienne

J’ai eu d’la peine

Maudit Bonheur

T’as eu ma peau, t’as eu ma peau.

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