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Aujourd’hui des déménageurs nous apportent les trucs qui dorment depuis plusieurs années dans le sous-sol du père de ma copine.
Je m’enferme dans les toilettes pour un appel important.
Les hommes forts remplissent notre appartement.
Je raccroche le téléphone. Je fonce vers ma copine.
– C’est officiel, je vais être publié pour la première fois!
– Où?
– Une chronique chez Urbania! J’ai carte blanche!
Elle m’embrasse et semble aussi heureuse que moi.
Les déménageurs ne réagissent pas.
Je sens une fierté dans le regard de mon amoureuse.
Peut-être que les déménageurs sont aveugles.
Je m’installe devant mon ordinateur et essaie d’écrire.
Je veux rapidement trouver un sujet et éviter de tomber
dans le piège d’écrire mon quotidien. Je ne veux pas
écrire que je suis en train d’écrire, je veux écrire autre chose.
Le temps me presse comme une patate dans un presse-purée.
Les deux amblyopes quittent avec 20$ de pourboire chacun.
Un robot culinaire,
des lampes forgées à la main,
des tables en verre,
trois coupes de cristal,
des photos de famille,
des cossins noirs,
des gogosses grises,
une table en bois
et une base de lit KING se sont invités chez moi.
C’est mon premier lit KING.
Un lit d’adulte.
Il est magnifique,
il est construit avec du vieux bois
qui appartient à un bateau de pêche
d’Indonésie.
Nous avons acheté un
nouveau matelas aussi.
Notre premier matelas de couple.
Le mariage sommeille pendant que l’amour ronfle.
Je quitte l’ordinateur et fonce vers la chambre.
– Vite, je dois finir ma chronique après avoir assemblé le lit!
– Oui! Tiens!
Elle me tend une perceuse.
Le lit KING est dépecé sur le plancher.
Il manque les boulons,
nous allons à la quincaillerie,
j’ai les pieds mouillés.
et on nous vend des boulons.
Je change de bas,
ça ne marche pas,
ce n’est pas les bons boulons.
Fuck off les boulons,
je visse directement dans le bois,
la vis bloque au 1/5
et la perceuse devient chaude.
C’est des vis pour le métal et non pour du bois,
la quincaillerie est fermée,
je dois écrire ma première chronique
et le lit est éclaté au sol.
Fuck off la vis,
j’essaie quand même une 2e fois,
elle devient complètement strippée
et la tête étoile devient ronde.
Mon humeur change au rouge,
le temps est gris,
je n’ai pas commencé ma carte blanche
et ma copine rit jaune.
Je revisse comme un acharné,
la vis se brise,
le lit kick
et la base en bois tombe sur le pied de ma copine.
Elle se jette par terre,
elle se met en petite boule,
elle voit des étoiles,
elle enlève son bas sec
et son pied enfle à vu d’oeil.
10 minutes de glace,
10 minutes sans glace,
et deux Aspirines pour ma copine.
La construction du bateau devra attendre un meilleur jour,
je suis peut-être moins adulte que je le pense.
Impossible d’assembler un lit de pêche sans
se mouiller un peu.
Ma copine est heureuse
de faire du camping
dans le salon pour cette nuit.
Elle rit et elle crie:
– MON AMOUREUX VA ÊTRE ÉDITÉ ET ON FAIT DU CAMPING!
Elle est belle, elle me fait rire
et j’oublie le lit éventré au loin.
Nous nous couchons,
ma copine dort déjà,
son corps est chaud,
et je m’endors heureux
d’être tombé dans le piège
d’écrire mon quotidien.
Rien ne m’inspire davantage.
Je n’y peux rien,
je suis confiné
avec une muse
et je suis un casse-pied.
Elle ronfle,
ses cheveux sont gras,
son pied est bleu foncé,
et nos nouveaux draps sont doux.
Le soleil frappe sur le mur,
un écureuil passe sur le fil d’Hydro,
la dépouille du lit traîne au sol
et ma copine se réveille à l’instant.
Elle boite jusqu’à la salle de bain et me dit
– Sur quoi tu as écrit ton texte?
– Toi.
Elle flush la toilette
et j’envoie ma chronique
à Urbania.