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Justice pour Junior : «Ça leur a pris quatre minutes pour tuer mon cousin»
Coups de feu. Irruption de violence sur une rue sans histoire. Soudain un bloc d’abîme, un homme noir, Jean René Junior Olivier, est abattu par les patrouilleurs. Encore.
Trois journées nous séparent des événements tragiques du premier août. Mercredi soir, un sit-in est organisé devant l’hôtel de ville de Repentigny en soutien à la famille de M. Olivier et pour manifester le ras-le-bol
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« Depuis cinq ans qu’on dénonce la mauvaise relation avec la police. On le disait, ça va finir par éclater. La mort est arrivée, la responsabilité leur revient », souligne Pierre-Richard Thomas, co-organisateur de l’événement
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Selon plusieurs participants interrogés, le désastre s’annonçait par des mois, voire des années d’escalade avec les forces de l’ordre. Difficile de contredire ces propos ou croire à l’épiphénomène quand les plaintes se multiplient contre le service de police de la Ville de Repentigny : contrôles d’identité injustifiés, arrestations, questions inappropriées. Quatre pour profilage racial sont actuellement devant le Tribunal des droits de la personne. Les derniers temps n’ont pas été des plus tranquilles dans cette banlieue résidentielle où 7,1 % de la population est issue de la communauté noire.
« S’il [Junior Olivier] avait été blanc, ça serait pas arrivé. À Repen, on t’arrête parce que t’as des Jordans dans les pieds. Ça aurait pu être moi. C’était quoi leur intention? Trois balles. C’est fucked up », s’indigne Liné, visiblement sous le choc.
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Racisme systémique décrié, on dénote l’histoire de Leslie Blot, menotté alors qu’il utilisait sa voiture pour gonfler des jouets devant ses enfants en juillet 2017. L’enseignant François Ducas fut dédommagé pour profilage racial en novembre dernier. Le cas médiatisé des neuf joueurs de basket. L’acharnement envers Stanley Jossirain. Les recours sont documentés, mais il y a aussi tous les événements qui ne le sont pas. Ces véhicules de police qui ralentissent, les regards accusateurs, injectant chaque fois un mélange d’autorité et d’aversion.
« Ils te collent tout le temps pour aucune raison. Ils sont sur ton dos à cause de la façon que t’es habillé, quelle marque d’auto tu conduis. En plus c’est des jeunes. J’te parle pas des vieux policiers de la génération de nos parents, j’te parle de jeunes policiers qui sortent de l’école. Ça leur a pris quatre minutes tuer mon cousin », dévoile Bonard Bence, toujours dans l’incompréhension.
À travers chaque histoire, les apparences semblent signataires de l’expérience même. Certains voient la tragédie du premier août comme la conséquence douloureuse d’une montée des tensions, tandis que d’autres la perçoivent comme un cas isolé de légitime défense.
Au moment fatidique où le doigt se referme sur la gâchette, c’est une vie qui s’éteint. Un citoyen de 38 ans criblé de balles.
Le sujet est sensible, les circonstances imprécises. Les policiers ont utilisé sans succès du poivre de Cayenne pour le maîtriser. Possession d’un couteau conjuguée à une détresse psychologique. Confusion, hostilité et fuite. La situation glisse de son socle pour nourrir la polarisation entre les fractions de l’époque. Négation du racisme, défense de la mince ligne bleue, amalgame du gros bon sens contre les avocats du définancement et du désarmement des forces de l’ordre, les groupes communautaires et les acteurs militants impuissants devant tant d’épisodes d’injustice.
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Une certitude : Jean René Junior Olivier est mort.
Au moment fatidique où le doigt se referme sur la gâchette, c’est une vie qui s’éteint. Un citoyen de 38 ans criblé de balles. Le lit vide d’un homme ayant une famille, des amis, une mémoire.
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Plusieurs questions demeurent sans réponse. Est-ce la dérive d’un protocole sécuritaire permettant de tuer en toute impunité? Une maladresse fatale devant l’Inconnu? Le Bureau des enquêtes indépendantes travaille à éclaircir l’incident. Je ne suis pas flic. Je ne connais ni le vertige de l’arme ni les émotions que peut causer telle intervention. Mais Repentigny a tant défrayé les manchettes ces derniers mois qu’elle s’est marquée au fer d’un malaise contemporain. Le premier août 2021, le Canada célébrait la première journée de l’émancipation. Une date commémorant l’histoire des communautés noires et la lutte actuelle contre la discrimination. C’était aussi la journée du drame.
«Est-ce que demain, si j’ai un problème, je vais appeler le 911 ? Jamais. Je vais rester avec mes problèmes. Peu importe le problème. Aujourd’hui, mon fils n’est plus là et je ne sais pas pourquoi. Au lieu de m’aider, on l’a assassiné.»
Une prise de parole débute par la mère du défunt, Marie-Mireille Bence : « Est-ce que demain, si j’ai un problème, je vais appeler le 911 ? Jamais. Je vais rester avec mes problèmes. Peu importe le problème. Aujourd’hui, mon fils n’est plus là et je ne sais pas pourquoi. Au lieu de m’aider, on l’a assassiné », dit-elle, courageusement. À travers ses mots, on sent les larmes bouillir dans son cœur.
Le garçon de la victime, Kayshawn Olivier, déplore l’opacité du système : « On ne sait même pas à quoi [le policier derrière les coups de feu] ressemble. On connaît pas son nom. Et on ne va jamais l’savoir ». Il met également en question la tactique d’intervention : « Mon oncle était dans la chambre avec ma mère. Il a dit aux policiers de lui mettre une balle dans les pieds ».
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Des membres de la communauté s’échangent par la suite le micro pour partager leurs vécus suite aux répressions policières du SPVR. À travers le public de plusieurs centaines de participants, nombreux sont les jeunes qui se faufilent, encore dans l’innocence de l’enfance. La foule, en grande majorité issue de la communauté haïtienne, scande avec rage : « À bas le racisme systémique », « Prison », « Aucun policier noir! Repentigny, une ville raciste ».
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Une minute de silence est tenue, « le genou gauche au sol, celui de Derek Chauvin, pour commémorer notre frère Junior », lance un activiste devant le rassemblement. Au moment de scruter la marée agenouillée, je me pose la question: mais où sont les Blancs repentignois?
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Jean et Jonathan, deux jeunes hommes avec des drapeaux haïtiens autour de leurs chevelures, dénoncent eux aussi une cohabitation difficile : « Tsé, on entends des choses, tu vois des choses dans la rue, tu t’sens jamais en sécurité, même si t’as rien à te reprocher, tu capotes, tu paniques », lâche le premier.
« Quand j’étais petit, mon plus grand rêve était de devenir policier. Aujourd’hui, je suis dégoûté. J’habite à Montréal, il se passe des choses, mais j’te dis les banlieues, c’est pire. Il y a moins de diversité, tous les Noirs sont ciblés », raconte à son tour Jonathan.
« C’est terrible ce qui arrive à Repentigny. C’est pas normal comme situation. J’espère que la mort de mon neveu va changer les choses. Qu’il ne se soit pas fait tuer pour rien », me confie Jean Aldy Bence, la voix endeuillée.
«J’habite à Montréal, il se passe des choses, mais j’te dis les banlieues, c’est pire. Il y a moins de diversité, tous les Noirs sont ciblés.»
Points de presse, enquête institutionnelle, mise de l’avant d’une agence d’impact social spécialisée en relations publiques. Toute une structure est en place pour éteindre la gronde causée par la mort de Junior. Mais en dépit d’un plan d’action concret au sein du SPVR, faut-il s’attendre à un réel changement de paradigme ou plutôt renoncer à quelconque espoir de contrer l’étrange accoutumance à pareil désastre?
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La pénombre s’installe sur l’hôtel de ville. Les médias quittent en vitesse le sit-in vers Montréal. La communauté haïtienne repentignoise, elle, reste et devra vivre avec cette adresse désormais hantée d’un fait divers macabre. Fort à parier que les gyrophares du pouvoir continueront d’éclairer la nuit des conducteurs de berline à la peau noire, égrainant chaque fois un lien de confiance agonisant, à moins qu’il n’ait été, lui aussi emporté dimanche dernier.