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Julien Bernatchez ne mangera plus jamais de sushis

Julien Bernatchez ne mangera plus jamais de sushis

Greffé du foie en mai, l’humoriste revient sur ses combats contre l’alcoolisme, la cirrhose et la mort.

Par
Benoît Lelièvre
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Code bleu, chambre 1755. Attention! Code bleu, chambre 1755.

Quelque part au CHUM, quelqu’un est en arrêt cardiaque. Un drame qui frappe à un autre étage, parce qu’au 15e, tout va bien. « Il y en a eu un autre, hier », note l’humoriste et animateur de balados Julien Bernatchez, assis sur une chaise rembourrée entre son lit d’hôpital et la fenêtre. « Le gars est mort… »

Vêtu d’une jaquette d’hôpital, il m’accueille, souriant, dans son domicile des vingt-trois derniers jours. Les distractions sont rares pour les patients en convalescence. Bernatchez va bien. Il récupère d’une greffe du foie effectuée le 5 mai dernier et deux jours après notre entretien, il sortira triomphalement de l’hôpital sur ses deux jambes.

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La légende d’Un souper presque parfait est passée proche. Il ne s’est peut-être pas rendu au code bleu, mais il a contemplé la mort de beaucoup plus près que vous et moi pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. Finalement sorti de ce long tunnel d’anxiété et d’incertitudes, Julien revient sur la dernière année de sa vie qui a pas mal fait jaser sur Reddit.

L’alcoolisme, c’est une maladie

Avant qu’il n’annonce lui-même sur les réseaux sociaux qu’il allait recevoir une greffe du foie à 48 heures de l’opération, il y a quelques semaines à peine, le mystère planait autour de l’état de santé de Julien Bernatchez.

Depuis environ un an, l’ex-Pic-Bois se retirait graduellement de l’écran, annulait des engagements et affichait un inquiétant teint jaunâtre lors de ses apparitions publiques.

@prendsunbreak

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♬ son original – Prends Un Break

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C’est surtout le teint de Julien qui faisait jaser. Si, à l’hôpital, la mort vient en bleu, pour l’humoriste, la fin s’annonçait plutôt en jaune.

« J’ai trouvé ça rough, les commentaires à propos de mon physique. J’me rendais pas compte d’à quel point j’avais l’air malade », avoue Bernatchez à propos de l’évolution de sa condition.

« J’veux être bien clair à propos de ce qui m’est arrivé. C’est de ma faute à moi. L’alcoolisme, c’est une maladie, mais ce n’est pas le milieu de l’humour qui m’a poussé à boire. C’est moi qui allais m’acheter de la bière au dépanneur, tout seul, comme un grand. »

En 2021, à l’âge de 38 ans, Bernatchez a eu un diagnostic de cirrhose. Aux prises avec l’alcoolisme depuis plusieurs années, on l’a vu faire des excès de façon très publique, notamment lors de ses apparitions au balado de Mike Ward où, de son propre aveu, il essayait chaque fois d’augmenter la cadence. « J’étais rendu à commander un pichet de vin ou même un pichet de white russian », confie le principal intéressé.

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Une cirrhose est bel et bien une condamnation à mort s’il n’y a pas de greffe, mais Julien m’explique qu’il est possible de tenir quelqu’un en vie pendant un certain laps de temps à l’aide de médication et d’un suivi médical serré. Cependant, plus le temps avance, plus l’acte même de demeurer en vie devient complexe et risqué.

« J’ai un gros sourire à l’envers sur la bédaine »
« J’ai un gros sourire à l’envers sur la bédaine »
« J’ai un gros sourire à l’envers sur la bédaine »

Au fil de l’année ayant précédé à sa greffe, l’humoriste a éprouvé une difficulté grandissante à absorber et métaboliser des nutriments. « Je suis devenu extrêmement fatigué aussi. C’est une marche de huit minutes pour me rendre à l’épicerie, mais je devais prendre un break et m’asseoir sur un banc à mi-chemin. Mais ces épisodes-là allaient et revenaient. C’était pas toujours aussi pire, fa’que j’ai pris du temps à me rendre à l’hôpital. »

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Sans contexte, certains seraient peut-être tentés de lancer la première pierre à Julien pour avoir été l’architecte de son malheur. Bien qu’il ne se défile pas, il tient à apporter quelques nuances. Le médecin lui a entre autres expliqué que sa condition est en partie le résultat d’une loterie génétique. Que plusieurs personnes peuvent avoir bu plus longtemps et plus intensément que lui sans jamais éprouver de problèmes.

« Quand t’es alcoolique, tu le sais que tu dois pas boire dans certaines situations. T’es pas cave, mais tu le fais pareil. T’as un petit diable sur l’épaule qui te dit que c’est pas grave. Qui garde la porte ouverte à ça. Je suis jamais arrivé saoul à une réunion importante, mais des fois, je sentais l’alcool et ça, c’est pas professionnel », explique Bernatchez.

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On ne donne pas des foies à n’importe qui

La greffe du foie est un parcours du combattant.

La liste d’attente fonctionne par ordre de comptabilité, d’urgence et de format (apparemment, tous les foies ne sont pas de la même grosseur), et Julien a dû passer une batterie de tests juste pour que son nom y soit inscrit. Il a aussi dû convaincre les autorités du CHUM du sérieux de sa démarche. « C’est stressant parce que tu veux être honnête, mais tu veux aussi rester en vie et tu sais pas ce qu’il faut dire. Finalement, j’ai dû écrire la bonne affaire! », philosophe-t-il.

Au départ (cet hiver), Julien était 6e sur la liste d’attente, mais son nom a dégringolé au 18e rang, quelques semaines plus tard. « C’est ironique, mais mon état s’améliorait et d’autres personnes plus urgentes se sont ajoutées à la liste. C’est la game. C’est comme ça que ça fonctionne. Tant que t’as pas eu l’appel, t’as l’impression que tu vas jamais l’avoir. »

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Une infirmière nous interrompt pour apporter une collation au patient. Un yogourt et un bâtonnet de fromage qu’il garde pour plus tard. « Les portions sont petites, mais elles sont toujours servies avec le sourire. Alors, j’essaie de les faire durer. »

Les commentaires et témoignages reçus des auditeurs de ses balados à qui il s’est graduellement ouvert depuis l’automne dernier l’aident à garder le moral.

« Mettons que j’étais rendu à réfléchir à ce que j’allais écrire dans mon dernier statut Facebook. À me demander si je gardais ça sérieux ou si j’écrivais une niaiserie du genre : “Fermez la lumière en sortant.” »

L’appel est finalement venu le 3 mai dernier. « C’était une voix grave que je connaissais pas. Le monsieur a dit : “On a un foie pour vous, monsieur Bernatchez. C’est vraiment un beau foie.” Crime, un beau foie! Je lui ai dit que si c’en était un beau, j’allais le prendre! », se souvient-il.

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Il faut savoir qu’à ce moment, Bernatchez n’était pas encore tout à fait sorti du bois. Un cas plus urgent aurait pu s’ajouter à la liste ou l’équipe du CHUM aurait pu trouver une défectuosité au foie en question. Par chance, rien de tout ça n’est arrivé et deux jours plus tard, Julien se retrouvait sur la table d’opération où il est resté pendant près de huit heures : « D’habitude, ça prend quatre ou cinq heures, mais on m’a dit que j’avais les veines fuyantes, alors ça a été un peu plus long. »

Un cadeau de Guillaume Boldock.
Un cadeau de Guillaume Boldock.
Un cadeau de Guillaume Boldock.
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Avoir le foie d’un autre

« On prend vraiment la vie pour acquise. Luc De Larochellière le chante peut-être, mais on réalise pas vraiment que la vie est fragile avant de regarder la mort en face. Toi, là, t’as l’air du gars le plus en forme que j’ai jamais rencontré. J’suis certain que t’as jamais vraiment considéré que t’allais mourir plus tôt que tard. »

Julien explique que son parcours l’a rendu conscient de l’immensité des efforts et des ressources nécessaires pour accomplir une seule greffe. « Y a tellement de gens qui se sont occupés de moi pendant les derniers mois, dont Romain, le docteur aux soins intensifs. Si tu lis ça, mon gars, tu peux me faire une demande d’ami sur Facebook. On va aller voir des films ensemble. Et Steve, l’orthopédiste, même s’il m’a obligé à faire le tour de l’étage chaque jour. C’est beaucoup de travail, sauver quelqu’un. »

Pendant son séjour de vingt-cinq jours à l’urgence, Julien a été soumis, selon ses estimations, à sept échographies, deux scans, deux examens de résonance magnétique, entre 150 et 200 prises de sang et une biopsie.

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« Celui-là c’était mon préféré. Ils m’ont rentré un tube dans la jugulaire pour se rendre jusqu’à mon foie. J’ai chanté tout le long. Le médecin m’a dit que j’étais la première personne à chanter pendant une biopsie », raconte l’humoriste en interprétant ladite mélodie de son cru.

Pour Julien, la vie ne sera plus jamais comme avant, mais les sacrifices paraissent raisonnables, vu l’ampleur de la procédure chirurgicale. Il va sans dire qu’il devra s’abstenir de boire, devra constamment porter de la crème solaire et dire adieu aux sushis et au tartare. La viande crue, c’est rough pour le foie. Il devra aussi prendre des médicaments pour le reste de ses jours.

– Qu’est-ce que t’as le goût de manger que tu peux manger, alors?

– Une bonne soupe won-ton! Je suis ben énervé de sortir pour aller manger ça!

Julien Bernatchez ne prend pas cette deuxième chance pour acquise. Au diable, les sushis et le bronzage! Il a hâte de retourner passer des journées entières au cinéma et de partager sa passion avec les auditeurs de Des si et des rais et Opération beurre de cinoche.

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Maintenant qu’il s’est affranchi du purgatoire où la vie et la mort jouent du coude au quotidien, il renoue tranquillement avec un vieux rêve qui l’avait initialement transporté vers la métropole : faire un film. Aucun projet n’est en branle pour l’instant, mais Julien réévalue ses priorités. « À partir de maintenant, je veux juste faire des choses que j’aime, quitte à mourir pauvre. »

Julien avait très hâte de sortir.
Julien avait très hâte de sortir.
Julien avait très hâte de sortir.