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Julie Groleau: la femme derrière le premier film québécois sur Netflix

La productrice de «Jusqu'au déclin» a des projets plein la tête.

Par
Marilyse Senécal
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La première production québécoise entièrement financée par Netflix serait. Elle existerait. Hourra. Enfin. On était rendu là. Et comme une première c’est bien, mais que trois c’est mieux, il s’agirait aussi du premier long-métrage du réalisateur Patrice Laliberté ET du premier long-métrage de la boîte Couronne Nord, qui produirait le film en question. Ici le topo, sans flaflas ni bigoudis, tel qu’annoncé en 2018.

Un géant de la production cinématographique qui ose y aller avec des p’tits nouveaux. Je me souviens, j’avais trouvé la nouvelle bold. Du bon bold, ne nous méprenons pas. C’est excitant le bold, ça nourrit le bold, ça pousse à évoluer le bold (et avant de m’emporter ben raide sur les «le-boldness-la-fraîcheur-de-la-chose-et-l’étendue-de-ses-bienfaits-chez-l’humain-et-chez-les-autres-mammifères, je m’arrêterai ici.) Je promets aussi de plus utiliser le mot bold dans le cadre de cet article. Et je ne badine pas avec les promesses.

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Laissons au passé son statut de passé, le temps fait bien les choses, nous sommes aujourd’hui en 2020 et c’est avec une hâte à peine contenue de visionner les premiers pas du Québec sur le géant Netflix que l’idée d’aller fouiller le sujet m’est apparue comme une belle façon de me contenter dans l’attente.

En marge de l’arrivée de « Jusqu’au déclin » — un thriller nordique sur fond de survivalisme portant à l’écran Réal Bossé, Guillaume Laurin, Marie-Evelyne Lessard et Marc Beaupré — sur la populaire plateforme de streaming le 27 mars, j’ai donc échangé quelques mots Julie Groleau, productrice et co-fondatrice de Couronne Nord. Regard sur une femme aussi terre-à-terre qu’inspirante et sur son agence de production fondée en 2012, et dont la trajectoire se révèle à contresens du titre du film qui la met dans la mire. Bien loin du déclin, ça va ben à’ shop.

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Confort, Kino, survivalisme et boule de bowling

Julie Groleau m’ouvre la porte de ses locaux de la rue Sherbrooke [NDLR l’entrevue a été réalisée avant qu’on nous encourage à pratiquer la distanciation sociale]. Je la suis dans le corridor, puis nous entrons dans son bureau, où elle m’invite à prendre place sur l’une des quelques chaises de gamer (me mentionne-t-elle) qui la meublent. Notre conversation débute ainsi. Fort simplement. Vendredi après-midi relax sur fauteuils confortables. (Note à moi-même : investir dans une bonne chaise de bureau. Julie, elle, a compris).

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Crédit: Kelly Jacob

URBANIA : Avant toute chose, qu’est-ce qui t’a menée en production ? As-tu toujours voulu travailler dans ce domaine ?

Julie : Je viens du monde de l’événementiel. J’ai travaillé au Festival littéraire Métropolis Bleu, au musée Pointe-à-Callières et je me suis beaucoup impliquée dans Kino 640. En fait, je suis l’une des fondatrices de la cellule Kino de la Rive-Nord de Montréal. C’est d’ailleurs dans ce contexte-là que j’ai rencontré Patrice (Laliberté), qui était membre. Un jour, il m’a appelé, sachant que je faisais de l’organisation d’événements, en me demandant si je voulais produire un film. Et comme on s’est dit qu’organiser des événements et produire des films, c’était comme… la même affaire (oui, mais non !), j’ai accepté. C’était en 2009. Ça a été notre première collaboration et on ne s’est jamais lâché depuis. Par contre, ça a été long avant que je plonge vraiment dans le milieu. Pendant un bout de temps, je travaillais uniquement sur les films de Patrice, tout en continuant de prendre des mandats en événementiel. Je ne savais pas trop… J’avais certains doutes par rapport au fait de me lancer comme je n’avais pas étudié en production, mais plutôt en analyse de films et en gestion. J’ai fini par faire le grand saut et depuis, je produis des films.

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U : On ne peut passer sous silence la pression qui vient avec le fait de tracer le chemin, d’être les premiers à accomplir quelque chose, comme ici avec Netflix. Comment ça s’est passé de ton côté ?

Il y avait une certaine pression, c’est sûr, mais j’ai l’impression qu’on s’en est mis encore plus que ce que les gens mettaient sur nous. On ne voulait pas fouarer ça. En fait, on ne voulait pas être les gens qui font que Netflix ne revient plus jamais au Québec ! (rires)

Après, ça faisait cinq ans que Patrice et moi travaillions sur le projet. On s’envoyait beaucoup de liens vidéo, on regardait des documentaires, on s’est même abonné à une revue sur le survivalisme. Ça m’a permis d’en apprendre beaucoup sur un sujet que je connaissais peu à la base. Non, je ne suis pas devenue survivaliste pour autant. Non, je ne me suis pas fait construire un bunker, mais le sujet est intéressant ! C’est un thème qu’on ne voulait pas aborder que par ses lieux communs. Il aurait été facile de tomber dans les clichés de l’extrême droite, mais on ne voulait pas aller là, parce qu’il y a beaucoup plus que ça. On a plutôt voulu mettre l’accent sur la portion « autonomie » de l’affaire.

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U : Sur « Jusqu’au déclin », quels sont les plus importants défis que tu as rencontrés en tant que productrice ? Quels ont été les plus grands enjeux de production ?

J : Dès le début, le réel défi pour moi a été d’être partout à la fois, parce que j’ai rapidement décidé de ne pas avoir de producteur délégué. Ça faisait dix ans que je faisais de la production, cinq ans que Patrice et moi travaillions sur le projet. Même si tout le monde me disait « prends un producteur délégué, tu vas vouloir t’arracher la tête », avec la relation professionnelle développée avec Patrice au fil du temps, je me suis dit que c’était la chose à faire. Je voulais limiter les intermédiaires. Et comme j’avais aussi travaillé sur un premier long-métrage (hors Couronne-Nord, toutefois) en 2018 — Réservoir de la réalisatrice Kim St-Pierre —, je savais un peu plus à quoi m’attendre, même si c’était des conditions différentes. Je me sentais prête à gérer la production seule. Et ça a été payant : j’ai été capable de bien réagir, car j’étais consciente et au courant de tout ce qui se passait sur le plateau, en tout temps. Et même si je n’avais pas de producteur délégué, j’étais bien entourée et j’ai pu aller chercher les avis de plusieurs personnes que je respecte.

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Sur le plan des enjeux et de la logistique, c’est évident, qu’en partant, le fait de tourner un film l’hiver, ça implique toutes sortes d’imprévus. En fait, on peut prévoir qu’on va en rencontrer tout plein ! Par exemple, on est complètement dépendant de la neige. Un moment donné, on a du aller poser des tissus blancs sur un toit et compléter en VFX pour recréer de la neige, parce que sinon, ça n’aurait pas été raccord dans le film. Ces choses-là peuvent devenir stressantes, parce que les effets spéciaux, ça pèse dans un budget. Ça ou gérer autant de cascadeurs. Ou s’assurer que les membres de l’équipe ne souffrent pas du froid. On a été vraiment chanceux, on avait la meilleure régie, toujours là avec des cafés et des hot pads !

U : Selon ton expérience, le fait d’être une femme dans le milieu de la production change-t-il quelque chose ?

Pas particulièrement, parce que j’ai l’impression que, de ma génération, il y a beaucoup de femmes en production. Je pense à Maria Garcia Turgeon qui a été aux Oscar deux années d’affilée, Fanny Laure Malo, Felize Frappier… Je crois qu’il y a eu un travail fait par les femmes de la génération précédente et qu’on peut davantage prendre notre place aujourd’hui. Personnellement, je ne suis jamais sentie limitée en raison du fait que je suis une femme. Je me suis associée avec deux hommes pour Couronne Nord et nos rapports vraiment égalitaires.

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Je dois quand même avouer que, lorsqu’on a reçu la réponse positive de Netflix, il y a beaucoup de gens qui m’ont écrit. Du côté des productrices, c’était surtout pour féliciter. Dans le cas des producteurs, c’était souvent pour m’offrir leur aide. Je veux dire, des amis m’ont aussi offert leur aide, mais que quelqu’un avec qui je n’ai pas vraiment de relation me propose de m’apprendre à remplir un crédit d’impôt, ce n’est pas exactement la même chose. En tout cas, je me suis dit : « ça fait 10 ans que je produis, je pense que ça va bien aller ».

U : OK, maintenant question Netflix — parce qu’il le faut et que c’est fun — : qu’aimes-tu regarder sur la plateforme ces temps-ci ?

Plein d’affaires différentes ! Récemment, par contre, je te dirais que je suis pas mal dans BoJack Horseman (rires) ! J’ai aussi beaucoup aimé Marriage Story de Noah Baumbach.

U : Autrement, du côté du Québec… Quel est ton film culte ?

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L’un des réalisateurs qui m’a donné envie de travailler dans le cinéma est André Forcier. À l’école, j’ai trippé quand j’ai vu Au clair de la lune pour la première fois. Puis, un 2017, je me suis retrouvée à travailler sur Des histoires inventées, un documentaire de Jean-Marc E. Roy qui se dépeint en un portrait d’auteur sur et avec André Forcier. On a revisité son œuvre et recrée certaines scènes de sa filmographie avec des acteurs d’origine, notamment Gaston Lepage. Je n’en revenais pas d’être là et de participer au projet. Dans le docu », il y avait même LA fameuse boule de bowling qui se trouve dans la version originale d’Au clair de la lune, sortie en 1983. Je n’ai pas pu m’en empêcher : j’ai pris une photo avec… ! Les gens ne comprennent toujours pas mon enthousiasme et mon attachement pour cette photo (rires).

U : Sur quels genres de projets souhaites-tu travailler pour la suite ?

Je ne peux pas vraiment en parler, mais il y a de gros projets qui arrivent. « Jusqu’au déclin » était gros, mais il y a plus gros qui s’en vient. C’est tout ce que je peux dire là-dessus pour le moment ! Sinon, j’aime aussi les plus petits projets où il faut faire des miracles avec des budgets bien plus modestes. Je viens du monde du Kino, ce côté-là du cinéma me parle encore beaucoup et ça me fait du bien d’y retourner.

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Dans le fond, ce qui me stimule le plus dans mon travail, c’est le fait d’apprendre constamment, et de devoir me réinventer. Mon véritable souhait serait de ne jamais avoir l’impression de mener le même projet deux fois. Je pense que ça se peut.

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« Jusqu’au déclin »

Sur Netflix dès maintenant.