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Chaque deux ou trois semaines, je vais voir ma grand-mère au CHSLD. Et puis, à vrai dire, c’est peut-être plutôt aux deux mois. Honnêtement, je ne suis pas la plus assidue. Je me félicite déjà que l’infirmière me reconnaisse d’une fois à l’autre.
La dernière fois que je suis allée voir grand-maman, elle a tenu à me reconduire à l’ascenseur lors de mon départ. Puis, une fois devant l’ascenseur, elle m’a presque sermonnée de la laisser là. Je l’ai donc reconduite à sa chambre. Mais devant sa porte de chambre, elle a insisté pour venir me reconduire à l’ascenseur. Elle a peut-être une mémoire de poisson rouge, grand-maman, mais l’instinct des bonnes manières, lui, est demeuré intact. Après que l’infirmière nous ait aidées à dénouer cette impasse, j’ai réalisé que c’était dur, visiter ma grand-mère. Tant pour moi, que, probablement, pour elle.
Ma mère, elle, va voir sa mère chaque semaine. Et chaque semaine, grand-maman lui dit : «ouin, tu viens pas ben ben souvent», oubliant avoir vu sa fille la semaine dernière. Certains diront qu’une fois par semaine, c’est pas assez. C’est correct, on n’a pas besoin de se le faire dire. On se le dit déjà à nous-mêmes.
C’est pourquoi j’ai sursauté lorsqu’une collègue s’en est pris sur Facebook aux enfants ingrats qui ne prennent pas le temps d’aller voir leurs pauvres parents au CHSLD. Juger, c’est facile. Juger sur les réseaux sociaux, c’est encore plus facile. On balance un énoncé qu’on croit sans conséquences, parce qu’on se dit que tout le monde sera d’accord (qui peut être contre le fait qu’il faudrait donc aller voir ses parents plus souvent au CHSLD), on se dit qu’on fait le bien, qu’on emmène les gens à réfléchir parce que sans nous, ils ne le feraient probablement pas, et pendant ce temps, on n’a pas réalisé que cette situation ne nous regardait pas, et on n’a pas pensé qu’elle pouvait avoir plusieurs facettes, que beaucoup de teintes de gris pouvaient s’étaler entre le noir et le blanc.
J’ai l’air de faire une montée de lait personnelle parce que je me suis sentie visée par un statut somme toute inoffensif et relativement consensuel, mais des jugements faciles, comme ça, sur Facebook, j’en croise plus souvent que je ne vais voir ma grand-mère. Tenez, la semaine dernière, une bonne samaritaine disait s’être occupé d’une personne visiblement en crise d’épilepsie dans le métro, et s’indignait de l’indifférence apparente des autres passagers. Dix milles raisons peuvent expliquer la non-intervention des témoins d’un malaise dans le métro. Moi, c’est que mes jambes défaillissent. Par contre, j’ai appelé trois fois la police dans la dernière année. Deux fois pour violence conjugale et une pour vielle personne égarée. On est utile comme on peut.
Me péter les bretelles n’est toutefois pas le but de mon intervention. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que Facebook est le nouveau perron d’église. On s’y présente sous son meilleur jour, on s’y plaint de ses petits bobos ou de la gastro-fin-du-monde de son bébé, on y relaie des idées qui ne risquent pas de susciter la désapprobation, on sent chez le voisin, on regarde comment les autres sont habillés, on essaie de deviner leur salaire, et… on les juge. Comme le perron d’église avant lui, Facebook est donc devenu un haut générateur de pensée unique, de conformité et d’anxiété sociale.
Mais le pire qui pourrait nous arriver encore, ça serait que les gens se mettent à faire des mea culpa en série, comme pour montrer qu’admettre ses torts, aussi, c’est bien. Je vois déjà les statuts de mes amis Facebook parfaits : «Vu quelqu’un tomber dans le métro. Pas été capable de l’aider. Shame on me», ou «Être pigiste, c’est aussi laisser son bébé brailler toute la journée parce qu’on a un deadline», ou encore : «Chaque matin je croise le même quêteux sans lui donner un sous : survivre au XXIe siècle.» Lourd, tu dis! Si Facebook a à s’apparenter à l’église, j’aime autant qu’il ressemble au perron qu’au confessionnal, finalement.
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