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Joyeux Noël sucre d’orge

Allô l’ami,

Par
Kéven Breton
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À l’aube de cette fin d’année, je t’écris quelques mots d’abord pour te souhaiter un joyeux Noël. Je me disais qu’en ce temps de recueillement, tu méritais un peu mieux du camp du oui que des menaces de mort.

L’année 2014 en aura été une très productive pour toi : ta propre télésérie. Un one-man-show applaudi à travers la province. Un Olivier. Un Gémeau. Le succès sourit aux gens talentueux et ce beau bouquet de réussites en est probablement la preuve.

Je ne saurais toutefois éviter le sujet du controversé cadeau de Noël que tu as si sagement demandé il y a quelques semaines. En enfant gâté, tu l’as même reçu bien à l’avance. À peine rendu à mi-chemin dans notre calendrier de l’avent, tu as obtenu cette plainte de l’OQLF qui t’aura, comme anticipé, fait office de publicité des semaines durant.

Force est d’admettre que la stratégie, sur le plan marketing, a été fructueuse. La controverse t’aura permis de vendre un peu plus de billets. Sur le plan créatif, je salue aussi l’effort. L’usage de l’anglais dans ce contexte était assez ingénieux, puisqu’il permettait à la forme et le fond de se rejoindre. J’ai trouvé la publicité audacieuse et certainement subversive.

Mais j’ai pas vraiment aimé.

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Faut dire que je n’étais pas ton public cible. Toi et moi, on ne se ressemble en rien. Tu as grandi dans Côte-des-Neiges, quartier déjà assez multiethnique au moment de ta naissance. T’es assez vieux pour avoir connu deux référendums, et même pour avoir milité pour le maintien fédéral en 1995.

Moi en 1995, j’apprenais tout juste à écrire en lettres attachées. Je commençais l’école à Saint-Georges de Beauce, là où multiethnicité est un qualificatif qu’on pouvait seulement prêter au resto chinois sur la première avenue. Tu l’auras deviné, il s’agit d’une ville unilingue francophone. L’enfant de la loi 101 que je suis a grandi à plusieurs heures de route des tensions entre les deux solitudes.

C’est une chose acceptable de se moquer de la loi 101. C’en est une autre de se positionner au-dessus de celle-ci en grand bourgeois. J’ai trouvé ça mesquin de tourner en dérision une institution aussi importante, pilier de la société québécoise, dans un contexte où le français bat de l’aile. Mais liberté d’expression oblige, rien ne pourra t’empêcher de faire de l’argent en capitalisant sur ce bobo que tu aimes tant gratter.

De toute façon, je dois t’avouer que je suis de ceux qu’on étiquette souvent en «frileux» qui ne pense pas qu’on peut rire de tout. Je crois pourtant, et c’est à ta défense, qu’on peut bien rire de la politique et peut-être aussi des mouvements sociaux. Tu le fais très bien.

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C’est donc pas tant la publicité que j’ai détestée mais plus le faux débat qu’elle allait nécessairement engendrer. Tout le monde, incluant les chroniqueurs politiques, qui étend leur opinion sur la question linguistique. D’autres humoristes qui récupèrent ton gag. Le sujet d’une grande discussion familiale enflammée autour de la dinde de Noël. Probablement que le Bye-Bye en fera un sketch de type Epic Rap Battle entre toi et Mathieu Bock-Côté. Qu’est-ce qui va ressortir de tout ça? Bof. Pas grand-chose. Le débat n’avance pas. On va revoir les mêmes arguments remâchés.

Dont celui que je déteste le plus : l’occasion, pour une énième fois, de raccrocher bien à la vue ce vieux portrait au vitriol des indépendantistes, dépeints en protectionnistes repliés sur eux-mêmes.

Puisque certains, toi y inclus, ont réduit ce coup de pub en un simple piège à con à nationalistes. J’ai sacré car encore une fois, on véhiculerait une fausse idée de ce que représente le combat pour la protection du français. Encore une fois, on l’associerait de facto à un nationalisme xénophobe.

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Falardeau disait que défendre le français, c’est défendre toutes les langues du monde. En francophile je ne supporte pas qu’on attaque une langue déjà affaiblie parce que je crains de la voir disparaître. Je ne pense pas que cette peur soit irrationnelle. Le Québec est une chaloupe francophone qui brave les intempéries d’un océan anglais, et qui perd peu à peu ses rames.

Mais il existe une nouvelle voix chez les indépendantistes. Celle de ma génération, née dans la loi 101, pourtant ouverte et branchée sur le monde. Fasciné par l’autre, animé par un désir de communiquer avec celle-lui. Quand la loi 101 est apparue, on disait qu’elle priverait les Québécois de voyager, de s’exprimer avec l’étranger. C’est tout le contraire qui s’est produit : elle leur a permis de voyager et de partager la diversité.

Je suis bilingue. Ma blonde est anglophone. J’ai vécu trois ans dans une résidence universitaire multiethnique où on retrouvait plus de saveurs dans le frigo collectif qu’au Buffet des continents. J’ai voyagé. J’ai fait la promotion du français.

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Je continue de le faire systématiquement. Pour sa poésie. Pour sa précision. Par souci de préserver cette richesse. Parce que certaines expressions avec une signification si fine n’existent seulement que dans l’imaginaire francophone (comme c’est la même chose pour d’autres mots en anglais, en allemand, en espagnol, etc.)

Ce serait un abrutissement collectif que de s’en priver graduellement. Aussi parce que j’aime faire découvrir une culture différente quand je voyage et quand je reçois. Car je souhaite être dépaysé.

Ta publicité était-elle une menace à tout cela? Probablement que non. Mais elle n’était pas inoffensive. Je suis suffisamment lucide pour apprécier l’apport de la loi 101; une qui contredit l’Histoire. L’Histoire qui a réservé jusqu’ici un triste sort aux langues minoritaires en contexte de coexistence linguistique.

Tu sais ce que permet notamment la survie du français en Amérique, Sammy?

Prenons en exemple un jeune humoriste talentueux et polyglotte. Il connait sa part de succès dans un milieu anglophone, mais peine à se démarquer dans la masse, parmi des milliers d’autres jeunes comiques.

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Si sa carrière vient qu’à battre de l’aile pour cette raison, il peut aller voir ailleurs. Profiter d’une autre vitrine, avec un répertoire culturel différent, un vocabulaire renouvelé et un public nouveau.

Et connaître un succès inédit jusque-là.

Joyeux Noël.

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