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JOUR 11 – Vérité ou conséquences
Hier, Max et moi on est allé aux danseuses. A priori, je dois préciser que ni Max ni moi ne sommes portés sur la chose. Et surtout pas Max. Il avait tellement peur de décevoir le père Noël, hier, quand celui-ci nous a demandé qui on allait visiter à Val d’Or, qu’il a répondu «une madame qui organise des bingos», sans préciser qu’il s’agissait de «dildo-bingos».
Mais on s’était dit que «ça serait drôle», durant notre tournée, de visiter un bar de danseuses de région. Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour le travail?
Expérimentation.
On est arrivé au bar Le St-François, dans le bout de Mont-Laurier, vers 21h. On était les seuls clients. Max a commandé une bière, et moi, un sex on the beach en riant de gêne. Le petit gérant aux airs de jeune caïd sympathique est allé demander aux filles qui fumaient dehors comment faire. Là on a consommé nos consommations en étudiant la situation.
«Moi, je ne pars pas d’ici tant qu’il ne s’est pas passé quelque chose», a dit Max. Au pire, on allait devoir provoquer la situation. En attendant, on regardait les films hardcore qui passaient sur la chaîne de pornographie en continu, et on essayait de ne pas trop croiser du regard la grande noire avec une perruque platine qui faisait un peu peur.
Des clients commençaient à entrer. Un monsieur timide avec des Crocs et un chandail rouge est allé directement s’asseoir à sa place assignée au bar. Deux hommes à la coupe Longueuil ont pris une table à côté de la nôtre. Un groupe de jeunes qui avaient l’air assez cool s’est installé derrière nous.
Le bar, ça disait «bienvenue à tous», mais franchement, les gens devaient beaucoup se demander ce que Max et moi faisions là.
C’était un bar assez typique, avec une scène et son poteau, des miroirs partout, des lumières de Noël accrochées à des étoiles découpées dans du gypse, et, bien sûr, des boules disco pour mettre de l’ambiance. Dans le fond du bar, une sorte de cabane où on devinait qu’il y avait des isoloirs titillait notre curiosité. Ça devait être fou en dedans.
Et hop, l’homme aux Crocs a pénétré dans l’isoloir avec la grande black.
Pendant ce temps, deux danseuses se préparaient à monter sur scène. Elles ont choisi Flashing Lights de Kanye West sur le jukebox touch et ont parti le show de boucane. Elles ont fait une couple de stepettes, question de vendre la marchandise, puis elles sont parties chacune de leur côté aux tables à la conquête de clients potentiels.
C’est alors que Max m’a dit «J’te gage que t’es pas game de faire un Question-Réponse dans l’isoloir».
– Pourquoi tu le fais pas toi, c’est toi le gars?
– Oui mais c’est toi la journaliste.
– Ouin. Je serais vraiment une journaliste jack-ass de faire quelque chose de con comme ça.
– Tu serais comme une journaliste undercover. Ça serait ton meilleur Question-Réponse de la tournée.
Ok. À partir de ce moment-là, j’avais vraiment pu le choix de boire un autre sex on the beach et d’aller faire mon entrevue dans l’isoloir.
À partir de ce moment-là, j’ai regretté d’avoir donné à ma mère l’adresse d’Urbania.
«Avec laquelle tu serais le plus à l’aise de faire ton Question-Réponse?»
– Peut-être avec la p’tite toutoune.
On a commencé à élaborer des plans : «On fait comme si on était des bookers de Montréal qui veulent l’engager».
– Ben non, d’un coup qu’elle a fuit Montréal sur une dette de drogue, on va lui faire peur.
– On fait comme si on était un couple.
– Es-tu malade? Ça va trop paraître qu’on n’est pas un couple.
Mais le problème, c’est que les filles s’arrêtaient à toutes les tables, sauf à la nôtre, parce qu’on avait trop l’air d’un p’tit couple justement, comme depuis le début de notre voyage.
On allait devoir la faire venir à notre table avec p’tit signe de doigt.
Avant, fallait que j’aille aux toilettes.
Aller aux toilettes, dans un bar de danseuses, pour une fille, c’est toujours un peu intimidant. Tu te ramasses bien souvent quelque part entre une paire de talons ultra-hauts et un g-string à paillettes. L’idée, c’était de faire ça vite avant que les filles ne reviennent. Quand je suis sortie, je suis tombée nez à boules avec la grande black. J’ai regardé à gauche, à droite, et j’ai fui en forçant un sourire sympathique.
Après ce moment plus ou moins confortable, je me sentais presque prête à relever le défi que Max m’avait lancé. P’tit signe de doigt :
«Comment ça marche?»
– Les danses? C’est 20$.
– C’est pas 10? (faut négocier dans ces places là, non?)
– Non, c’est 20. Mais tu peux me toucher.
– (Brrr) Ok. Allons-y.
J’ai réussi.
Durant ma toune, avec tout mon malaise, j’ai réussi à poser une bonne dizaine de questions à Brenda-Lee. Une entrevue à lire bientôt sur le site de Urbania.ca.
Après ça, Max est allé aux toilettes, un des gars avec la coupe Longueuil est venu me proposer un shooter, le petit caïd m’a demandé à la blague si j’voulais pas aller dans l’isoloir avec lui, comme si ça avait mis tout le monde plus à l’aise que je me paye une danse. Là, je faisais partie de la gang, je n’étais plus une intrus.
«Bon, moi aussi je vais aller aux toilettes pis après ça on y va Max?… Euh, à bien y penser, j’pense que je vais attendre d’être rendue à la maison».
***
Ce matin, au Bed & Breakfast, quand la madame nous a demandé ce qu’on avait fait la veille, j’ai nerveusement répondu qu’on était allé au Bar-O-Max, à côté. Les madames de Bed & Breakfast, c’est un peu comme les père Noël, tu veux pas les décevoir.