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La guerre est terminée. Le printemps est arrivé. Avril, mois de la jonquille. Bientôt un an que je suis sortie du “bootcamp des cancéreux”. J’ai pigé un pas pire numéro, faut croire. Quand je l’ai su, j’arrivais d’un mois de cavale mère-fille dans les Zeuropes.
J’étais fantastiquement en forme. C’est même pas de l’ironie. Le gelato coulait dans mes veines, j’avais un teint de pêche et du soleil dans les cheveux. Bien loin de me douter que la petite bosse que je sentais dans mon abdomen avant de partir en voyage allait se muter en BigMac à mon retour. Vous auriez dû voir ma face, quand la radiologue m’a dit : “Masse de 17 cm dans l’abdomen”. S’en est suivi un mois d’angoisse, à apprendre à vivre des mots comme scan, scintigraphie, IRM, biopsies et PET-SCAN qui te rendent radioactive et t’empêchent d’aller border ton enfant le soir.
Ensuite, le diagnostic tombe : lymphome diffus à grandes cellules B.
“Une bataille qui peut être gagnée.”
C’est le petit bout de phrase que j’ai retenu, de ma première visite en oncologie, évitant de demander des statistiques… Y’a pas de manuel qui dit quoi faire quand tu tombes malade à 37 ans, pis que t’as une fille de 5 ans. Mais, j’ai lu toutes sortes d’affaires quand même, comme une désespérée qui veut trouver un sens. En 2014, t’es responsable de ton bonheur, alors forcément, t’es responsable de ton cancer…
“La tumeur est au niveau du foie? Hum, tu sais que c’est de la colère accumulée ça, ma belle, hein?”
“Gère tes émotions, débloque tes chakras, pis tu vas comprendre pourquoi t’as développé ça…”
Maudite littérature culpabilisante et donneuse de faux espoirs.
Quand t’apprends une nouvelle comme ça, t’es vulnérable comme 1000! Tu veux vivre, tu veux voir grandir ton kid pis tu te repasses son rire dans ta tête comme une cassette, comme un mantra. Trop tentant de croire tout ce qui est écrit. Trop tentant de faire la diète de la fille qui a survécu parce qu’elle mangeait juste des citrons, de te commander par internet un champignon tibétain à 300$. Trop tentant de faire un câlin à un bouleau en buvant du jus de persil, surtout si c’est un psychanalyste ex-cancéreux qui l’écrit…
Pis si c’est un oncologue qui l’écrit, mais c’est encore plus crédible! Oui, ça existe des oncologues québécois qui écrivent des livres disant que les cellules cancéreuses se multiplient plus vite en présence de détresse et d’anxiété (ce qui ne fait pas consensus chez les scientifiques en passant).
Gère ton émotion sinon tu seras encore plus dans marde!
Quand tu te fais annoncer que t’as un cancer, t’es zen et paisible tu penses? Non, tu capotes en VIARGE! Et oui, la colère et l’anxiété sont des émotions normales dans les circonstances. C’est quoi l’affaire, en plus d’être malade, il faut que tu sois performant, méga-positif, il faut que tu sois une machine de guerre, il faut que tu gagnes!
Le yoga, la méditation, l’hypnose, la massothérapie aident vraiment à gérer ta boule de malaise, mais c’est pas ça qui va te guérir, malheureusement. C’est trop facile de faire des équations bidon, de croire que la toute-puissance de la pensée positive va te sauver. Le cancer, c’est complexe… mutations génétiques, pesticides, virus? On ne connaît pas tout et on ne comprend pas tout de ce maudit crabe.
J’en ai vu plein de filles de mon âge en chimio qui mangeaient déjà bio, qui ne fumaient pas et faisaient du sport avant d’avoir leur diagnostic. Le cancer, c’est injuste et ça n’a pas de sens!
Tu peux être super zen comme Servan-Schreiber et crever pareil.
***
J’apprends tranquillement à vivre avec l’incertitude, avec les tempêtes d’émotions aussi. Quand ça arrive, comme un chien esquimau qui voit le blizzard se lever, je prends mon trou. J’attends que ça passe plutôt que de me débattre et m’épuiser à courir dans le vent, aveuglée par la neige. J’essaie de tolérer d’être désorientée, d’avoir le sang glacé par moments.
Et puis, tout à coup, sans trop comprendre pourquoi, ça se calme, ça se réchauffe.
Je respire. Encore. Je suis toujours là. Vivante.
Je regarde autour, le paysage a changé. Je vois les outardes passer, les jonquilles pousser. C’est beau!
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