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Ce texte est extrait du Spécial ANGLOS, disponible sur notre boutique en ligne
Il se tutoie, s’émerveille en nous apostrophant, se minuscule tout en diphtonguant et son amour est trop lourd, mais c’est pour ça qu’on l’aime. Rencontre avec Jim Corcoran.
Musicien (d’abord dans le duo folk Jim et Bertrand, ensuite en solo), mélomane, traducteur, animateur, amoureux d’une langue seconde devenue première, grand bonhomme de petite taille, on l’agite malheureusement trop souvent comme un simple flambeau francophile.
Oui, je voulais le rencontrer pour jaser francophilie, mais, non, pas que pour ça. Y a aussi le fait que je suis fan. En fait, pour tout vous dire, même si je l’avais déjà croisé plus ou moins officiellement à quelques reprises et que je le savais avenant et décontracté, j’étais nerveux de lui téléphoner. Pas rapport.
« Tu sais, désormais, à part lorsque j’anime mon émission de radio à CBC, je ne vis qu’en français », qu’il mentionne au téléphone quelques jours avant notre rencontre (une chose que le bonhomme aime faire au préalable, discuter avec le journaliste; comme ça, rendus à l’entrevue, « on se connaît déjà »). En français seulement, donc : né anglophone, désormais plus simplement francophone que francophile.
Des choses de la langue : le bonhomme au micro
Fin octobre, je rencontre Jim dans son studio à Radio-Canada, pour assister à l’enregistrement d’une émission d’A propos, qu’il anime à la radio de CBC depuis 25 ans (le dimanche à 16 h sur CBCR2, rediffusion le samedi à 23 h sur CBCR1) , et grâce à laquelle il fait office de passeur de la musique francophone au Canada anglais. Amateur de chanson et d’éclectisme, il s’oblige à fouiller les nouveautés pour trouver ce qui l’allume, et le présente, le défend, l’aime, le traduit en ondes. Aujourd’hui, deux de ses favoris sont à l’honneur : l’émission est consacrée à Yann Perreau et à son nouvel album À genoux dans le désir, dont les textes sont signés par le poète éternaliste Claude Péloquin.
Jim fait jouer des morceaux de la galette, en traduit quelques-uns pour que ses auditeurs anglophones puissent saisir la portée des textes, y va aussi de plus vieilles pièces de Perreau, de Lindbergh de Charlebois (écrite par le Péloquin idoine) et garnit le reste de son heure au micro de chansons qui l’animent, chaque fois enthousiaste comme si c’était sa première présence en ondes, s’égayant de quelques mouvements de danse sur Pas de panique du dernier Keith Kouna, souriant à l’énième écoute de Camouflar de Galaxie, à quelques lieues de l’image du discret chansonnier que l’industrie musicale québécoise a voulu véhiculer de lui pendant des années : il ne traduirait certes pas les textes des tounes d’Olivier Langevin en ondes, mais en reconnaît les riffs à déposer sur l’autel du rock.
Des choses de la langue : le manger
On s’enligne ensuite pour manger et placoter de tout et du reste, au Miville, la destination de service pour les dîners-causettes de Radio-Canada, la solution de rechange propre et affaires à la cafétéria, qui propose une petite table d’hôte généraliste et des plats honnêtes, comme, mettons, un Normandin peut être honnête. On s’assoit dans un coin dans le fond du restaurant pour pas être dérangés puisqu’on (il) va jaser longtemps. Jim, honnête comme le reste, regarde le menu : « Pendant toutes les années où j’ai été en tournée, j’ai mangé tellement de clubs sandwichs que j’aurais pu faire une étude comparée à travers le Québec pour dire où sont les meilleurs! C’est un plat fiable, t’sais, y avait pas de risque à prendre… »
-Vous dites que vous vivez essentiellement en français : je suppose que votre copine est francophone.
-Oui. Tu peux me tutoyer.
Facile. Sinon c’est mélangeant.
-T’es né à Sherbrooke, qui est une ville encore considérablement bilingue. C’était le cas à l’époque?
-Quand je suis né, en 1949, c’était majoritairement anglophone. J’habitais près de l’université, mais l’université n’était pas là. Quand elle a été construite, ça a contribué à la francisation du quartier…
La serveuse arrive pour prendre notre commande. Club sandwich pain blanc avec frites, ginger ale et spaghetti, deux verres d’eau aussi : de fines fourchettes, Jim et moi.
De descendance irlandaise, Jim raconte qu’il a fait son secondaire catholique en anglais à St. Pat’s High School et a quitté Sherbrooke à l’âge de 13 ans. « Tout seul? » Oui, tout seul : « À l’époque, ça se faisait. » Il s’est inscrit dans une école près de Boston, a obtenu son diplôme et a entamé des études en théologie au New Jersey, dans un séminaire.
-Y a pas de ginger ale.
-Un 7-Up.
That’s it that’s all, comme ils disent en anglais (apparence qu’ils disent pas ça, en fait).
Il a donc passé ses années 1960 dans le nord-est des États-Unis, estomaqué par la guerre, par le comportement du gouvernement américain envers les femmes, les Noirs, les immigrants, les minorités, manifestant et activiste, fasciné par les actions radicales des Black Panthers, loin de l’attitude finalement nonchalante du mouvement peace and love. Désillusionné, il a voulu quitter l’Amérique du Nord, puis a eu souvenance que le Québec avait un climat social en marge du reste du continent. Il est revenu ici en pleine crise d’Octobre avec l’idée qu’il pouvait prendre part à une culture, à une révolte, à un mouvement qui le charmaient, dans un microcosme qui l’éloignait des frasques américaines.
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Mais auparavant, découvrez notre Top 5 des meilleures chansons de Jim Corcoran
5- Ton amour est trop lourd
4- D’la bière au ciel
3- Comme Chartrand
2- Je me tutoie
1- Djeddhy Duvah