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J’haïs les humoristes

Par
Marie Darsigny
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Je vous vois frémir en lisant ce titre. La malheureuse, pensez-vous. Dénuée d’humour. La gothique qui vit la face par en bas, entre deux tounes de Joy Division. Or, ma haine des humoristes et plus précisément des shows d’humour n’est pas récente: j’ai toujours eu de la misère à comprendre. Comprendre l’attrait d’aller voir quelqu’un de tu-seul sur un stage pas de décor, qui te raconte des histoires en attendant que tu ries dans des pauses stratégiques.

J’’haïs les stand-up petits comiques et je suis consciente qu’il est plutôt risqué d’écrire ça sur Urbania, un média qui a souvent collaboré avec des humoristes. Surtout que je sors un peu d’une boite de Cracker Jack (expression délicieuse, genre plus délicieuse que le Cracker Jack en tant que tel) avec ce sujet d’article: aucun d’entre eux n’a fait les manchettes récemment (à ma connaissance) au sujet une quelconque connerie que je voudrais contredire. Je ne veux pas non plus viser un humoriste en particulier.

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Non, c’est plus simple que ça: j’haïs les humoristes, tous, sur une base quotidienne. C’est comme ça. J’haïs aussi les chiens et le cirque. Vous cherchez le lien? J’y arrive.

Dans plusieurs médias pour lesquels j’ai travaillé, j’ai souvent eu l’opportunité de couvrir des shows d’humour. Systématiquement, j’ai refusé, choisissant plutôt les shows de musique, le cinéma, les événements (pas les événements sportifs par contre, voyons, les gothiques ne font pas de sport. Suivez, un peu). Je parle plutôt d’événements culturels, comme le gala Artis, d’où je peux amplement live-tweeter tout ce qui me passe par la tête en faisant des clins d’oeil peu subtils à Roy Dupuis, en ignorant Sugar Sammy ou autres gentlemen farceurs.

Je me suis récemment questionnée sur le pourquoi de cette haine. Parce que, en théorie, je devrais aimer ça, l’humour. Je jure que je suis une personne qui aime rire! Qui fait des jokes! Qui se faisait même sortir des cours au secondaire pour cause de fous rires interminable! Après une longue réflexion et un hate-watch de quelques shows d’humour sur YouTube, je pense que j’ai mis le doigt dessus: ce que je n’aime pas, c’est la notion de performance.

Je m’explique: dans la vie de tous les jours, l’humour est souvent circonstanciel: on rit parce qu’on voit quelqu’un se planter, parce que notre amie sort la réplique parfaite, parce qu’on est témoin d’une interaction étrange… En d’autres mots: ce n’est pas stagé. En fait, on n’est carrément pas obligé de rire. Alors que dans un show d’humour, c’est tout le contraire: on est là pour rire, et rien d’autre. Même que la mentalité des spectateurs semble être un plutôt motto agressif, rempli d’attentes: “J’ai payé, je vais rire, criss”. Des fois, quand je regarde des shows d’humour à la télé (oui oui, j’ai essayé!), je remarque que la foule semble se forcer pour sortir un petit rire poli systématiquement à chaque joke. Question d’en avoir pour leur argent, j’imagine.

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Ce qui m’amène aux chiens. Ma deuxième plus importante raison d’hair les chiens (la première c’est qu’ils puent) c’est qu’ils semblent toujours avoir besoin d’approbation. Faut que tu leur lances la balle. Faut que tu leur grattes le ventre. Faut leur dire « good boy » en les regardant faire des finesses. S’occuper d’un chien, c’est comme une performance infinie.

CE QUI M’AMÈNE AU CIRQUE (voyez comme je suis stratégique dans l’étalement public de ma haine): le cirque, ça gosse. Les clowns. Les saltimbanques. Les contorsionnistes. Surtout les contorsionnistes. Oui, c’est beau. Mais encore une fois, c’est du domaine de la performance pure et simple: pas de sensibilité, que la performance de la jambe qui monte toujours plus haut.

C’est sûr que ce n’est pas tout le monde qui accepterait de payer pour voir un show de théâtre expérimental qui, à mon sens, serait plus authentique et intéressant qu’un show d’humour. Qui se situerait moins dans la performance. Je vais clairement me faire pitcher les tomates de l’élitisme en disant ça, mais les performances de type cirque, c’est pour le peuple. C’est pour amuser les enfants à la fête foraine, pour distraire les badauds au carnaval. D’ailleurs, un humoriste, c’est un peu un clown de cirque, quand on y pense bien.

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Mais bon, je m’écarte. Revenons aux shows d’humour. Ce n’est pas une mauvaise chose, l’idée de la performance en soi. Pour impressionner et pour divertir. Je comprends, vous avez amplement le droit d’aimer ça. Je ne veux juste pas assister à un show d’humour, genre, JAMAIS. Même quand je vous entends essayer de me convaincre d’écouter Louis CK… C’est non. Stop. Je vous réponds avec ma face de lémur non-impressionable: non merci.

La plus évidente justification de ma haine, c’es aussi toute la problématique de l’humour raciste ou misogyne, l’humour qui relève de la moquerie des opprimés ou des minorités. J’ai à peine envie d’en parler, parce qu’il me semble que c’est tellement évident. Sauf que, soupir, ça ne l’est malheureusement pas. Parce que j’entends encore des gens dire: “Il a le courage de faire des jokes à propos de TOUT, alors je le respecte” … Wow, tout pour la sacro-sainte idée de la liberté d’expression, hein? Sauf que, non. Un petit rappel digne d’un atelier de pastorale: oui, nous sommes libres de parler librement… mais nous ne sommes pas libres de parler sans conséquences. Pour illustrer ce point, je vous cite l’auteure Roxane Gay, qui a écrit un chapitre sur l’humour dans son livre Bad Feminist:

“Those who refrain from using humour to comment on the awful things happening in the world don’t do it because they are afraid… Maybe, juste MAYBE, they have common sense. They have conscience. Sometimes saying what other are afraid to say is just being an asshole. We are free to be assholes. But we are not free to be assholes without consequence.”

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Voilà, c’était le paragraphe sérieux, l’ultime justification de mon scepticisme face aux shows d’humour. Je continuerai de dire que je déteste les humoristes pour les mêmes raisons que je déteste le cirque ou les chiens. En même temps, je suis plutôt zen dans ma prise de position: je laisse les fans maugréer en disant “On peut pu rire de rien”. Vous avez tout à fait le droit de déclarer votre amour des humoristes. Et des chiens. Et du cirque.

Gâtez-vous. Pendant ce temps, je regarderai un show de mime sur YouTube.