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Jeunes professionnels urbains : l’ascension d’une mode

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Avez-vous déjà entendu parler du normcore? Peut-être que c’est moi qui est retardé, mais la semaine passée, je pensais encore que la mode dominante montréalaise, c’était d’être hipster.

Aux dernières nouvelles, (une conversation entre deux inconnues dans le métro), le normcore, c’est l’anti-style et à ce qu’il paraît, c’est so hot right now.

Wow, on est vraiment rendu loin… Je ne sais plus où me situer dans l’évolution de la mode métropolitaine. À entendre parler les deux filles à côté de moi, cette nouvelle mode a des contraintes bien compliquées. Si je ne veux pas être un hipster ou un normcore, ça voudrait dire qu’en bout de ligne j’en suis un? Si être hipster ce n’est plus la mode, n’est-ce pas normcore de l’être? Est-ce que dans le fond, ça veut dire qu’être normcore, c’est être n’importe quoi sauf hipster?

Je sors du métro et me dirige vers chez moi, totalement confus…

À mon appart du quartier Centre-Sud, je retrouve mon coloc Hork qui étudie dans le salon. Je m’assois à côté de lui et lui fais part de mon questionnement. Surpris par la non-pertinence de mes réflexions, il me répond : « Il y a un 5 à 7 du HEC à soir, on pourrait y aller. Tu vas voir que là-bas, la mode n’a rien de hipster ou de normcore, comme tu dis ».

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Il avait raison. Dans le resto/bar du quartier Côte- des-Neiges, je reconnais moins les styles sauvages du Plateau et du Mile-End qui me tourmentaient tant. Une autre catégorie de gens attire toutefois mon attention. À part les quelques personnes en t-shirt/jeans comme Hork et moi, les gens du 5 à 7 semblent tous avoir quelque chose en commun. Malgré leur apparence jeune et urbaine, ils ont l’air vraiment professionnels.

« Ça, mon Phil, c’est des jeunes professionnels urbains dans leur habitat naturel, le 5 à 7 », me souligne Alex, comme s’il avait lu dans mes pensées.

Mais oui! Des jeunes professionnels urbains! Pourquoi je n’y ai pas pensé plus tôt! Ces gens n’ont rien du hipster typique et ont encore moins d’aspects qui évoquent l’anti-style prôné par le normcore. Ça me rassure de constater que la mode n’est pas une fatalité qui se limite à être « in » ou « out », style ou anti-style. Il y a plus que deux options dans le grand jeu de la mode.

Être un jeune professionnel urbain ne signifie pas être jeune, fréquenter la ville et s’être taillé une place dans le marché du travail, non. Un écrivain montréalais de 21 ans qui publie son premier livre n’est pas nécessairement un jeune professionnel urbain, même s’il est jeune et fait preuve de professionnalisme dans son travail. Peu importe votre emploi du temps ou votre profession, pas besoin d’être professionnel pour être un jeune professionnel urbain… Fuck, même pas besoin d’être jeune!

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Le jeune professionnel urbain mâle peut être étudiant (probablement au HEC), habiter chez ses parents, mais avoir beaucoup d’ambition. Il fait ses présentations orales en veston cravate et fréquente des clubs où il y a un dresscode. Il peut aussi être un homme de 45 ans qui a laissé sa femme et sa famille derrière pour revivre sa jeunesse. Peu importe son âge et sa situation, son look à la fois jeune, à la foais professionnel et à la fois urbain le distingue des autres.

Généralement musclés, mais pas trop, les spécimens observés portent des chemises ajustées, parfois assorties d’une cravate ou d’un nœud papillon. Ils enrobent le tout d’un cardigan neutre ou d’un veston aérodynamique foncé. Je sais, il y a beaucoup de monde qui portent un habit pour aller travailler. Seulement, les jeunes professionnels urbains, eux, ne l’enlèvent pas une fois la journée de travail terminée.

On s’assoit au bar pour se commander une bière. « As-tu vu leurs souliers? Ils sont tous pareils. Veux-tu ben me dire pourquoi des étudiants dans la vingtaine portent des souliers de cuir à l’italienne et des habits dans un party? », s’indigne Hork.

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Quoi qu’un peu primitif sous l’effet de l’alcool, le sujet mâle projette une image de gars mi-sérieux, mi-rebelle. Il fait attention à lui, à sa beauté. Il s’entraîne et mange probablement santé, mais il sait aussi comment s’éclater. Un jeune professionnel urbain, c’est comme un Mini Wheat. Classique, mais avec un côté légèrement givré.

Les tatouages de biceps qui se terminent sur leurs avant-bras sont visibles sous leurs manches de chemises roulées de manière stratégique et laissent ainsi un léger aperçu du côté givré et rebelle du jeune professionnel urbain typique.

Perdu dans mes observations, je fais le saut quand Hork me ramène sur terre. « Le party se continue au bar Le Velvet, on devrait y aller! Tu vas voir! C’est le paradis du jeune professionnel urbain », me lance-t-il en ricanant. Here we go!

Arrivé au fameux Velvet, je renifle le parfum des jeunes professionnels urbains dans leur deuxième habitat naturel : le bar/lounge. Une odeur forte, mais pas désagréable qui me confirme que la chasse est ouverte! Les mâles dégagent un musc puissant (possiblement de marque Calvin Klein) pour attirer la jeune professionnelle femelle, belle et indépendante.

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Assis au comptoir, je sirote tranquillement ma bière à 10$ et je me sens vraiment loser avec mes jeans, mon t-shirt et mes cheveux longs. Comme les jeunes professionnels urbains ne parlent pas aux losers, j’ai le temps de continuer à approfondir mes connaissances sur cette espèce particulière.

Au bar, on ne commande pas de verres, on commande des bouteilles! Que ce soit avec le crédit, l’argent des parents riches ou avec son propre argent, le jeune professionnel urbain mâle a toujours les moyens de se payer une bouteille à 200$. Eh oui, pendant que les gens comme moi transportent illégalement leurs propres canettes de Pabst dans les bars, les jeunes professionnels urbains, eux, se poppent des bouteilles.

Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai un peu plus de compassion pour les jeunes professionnelles urbaines que pour les jeunes professionnels urbains… Quelque chose me dit que les femelles ne cherchent pas, à la différence des mâles, à épater la galerie par leur professionnalisme. Elles semblent plutôt être là pour faire des rencontres. Même si elles ont trop de chats à fouetter pour s’engager dans une relation sérieuse, elles aiment flirter avec les jeunes professionnels urbains mâles. D’après mes observations, les spécimens femelles adoptent habituellement le look secrétaire : lunettes sérieuses, coiffures et vêtements à la fois sobres et sexy.

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Si une jeune professionnelle urbaine vient vous faire la conversation, soyez prêts! Comme à une entrevue pour une nouvelle job, vous allez devoir lui déballer votre CV dans son intégrité. La femelle qui fréquente des endroits comme le Velvet s’attend à côtoyer des hommes qui font preuve d’autant de professionnalisme qu’elle. Expérience, scolarité, chargé de projets, marketing, entrepreneur, propriétaire, condo… Des mots qui font frémir la jeune professionnelle urbaine typique.

Fatigué, je vais chercher Hork et lui dit que j’en ai assez, je n’ai même plus assez d’argent pour m’acheter une autre bière. Ça tombe bien, lui non plus. Sur le chemin du retour, Hork me demande : « Pis, es-tu toujours aussi confus en ce qui concerne la mode? Est-ce que les jeunes professionnels urbains t’ont fait comprendre quelque chose? »

Comme s’il était un ange sorti tout droit d’un film de Noël quétaine, Hork est venu ce soir pour m’enseigner un principe de la vie. Seulement, au lieu de m’emmener contempler des familles pauvres par les carreaux de leurs fenêtres pour que je constate à quel point je suis chanceux, il m’a conscientisé à propos de la mode des jeunes professionnels urbains, bien différente de tout ce que je connaissais.

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Je lui réponds que j’ai réalisé une chose bien importante : la mode, c’est un moyen pour les gens de se sentir spéciaux. Que ce soit en s’habillant comme un homme d’affaire rebelle qui se commande des bouteilles au bar ou en se disant anti-mode, on l’adopte pour faire partie de quelque chose qui nous fais sentir spécial.

Dans le fond, je suis un athée de la mode. C’est ça ma mode, mon moyen pour me sentir spécial. Je ne suis aucun courant particulier et c’est mon droit. BON!

Hork me regarde de manière confuse et me demande : « Tout ce que tu viens de me dire ne reviendrait pas au même que de se dire normcore ou anti-style?»

FUUUUUUCK…

Demain, je vais chez Moores m’acheter une chemise, un veston et des souliers de cuir à l’italienne.