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Jeunes filles victimes de harcèlement en ligne : le Canada plus touché que la moyenne mondiale
En général, le Canada est reconnu comme un pays pas pire en termes d’avancements sociaux.
Le droit de vote est assuré pour tous les citoyens, on ne risque pas de faire de la prison pour nos idées politiques ou notre orientation sexuelle et le premier ministre est assez soft comparativement à son homologue orangé du sud. Mais un récent rapport du réseau d’ONG Plan International fait perdre de la vigueur à notre feuille d’érable.
62% des filles âgées de 15 à 25 ans au Canada auraient vécu du harcèlement ou de l’abus sur le web. C’est 4% de plus que la moyenne (58%) des autres pays visés par l’étude.
Dans le document intitulé Free to be online? A report of girls’ and young women’s experiences of online harassment, qui a recueilli les témoignages de 14 000 filles de 22 pays différents, on apprend que 62% des filles âgées de 15 à 25 ans au Canada auraient vécu du harcèlement ou de l’abus sur le web. C’est 4% de plus que la moyenne (58%) des autres pays visés par l’étude.
Qu’est-ce qui explique que des milliers de filles à travers le monde subissent (encore) de tels actes? Encore plus au Canada?
Sandrine Ricci, chercheuse en sociologie et en études féministes de l’UQAM, s’intéresse à la violence sexuelle et sexiste sous plusieurs formes. Elle a accepté de nous donner quelques pistes d’explications.
L’égalité homme-femme: un principe bafoué sur le web?
Quand on lui demande pourquoi le Canada fait piètre figure dans le palmarès des pays sondés dans le rapport, Sandrine Ricci ne peut avancer une hypothèse précise. «Mais une chose que ça montre clairement, c’est que quand il s’agit de harcèlement sexuel ou autre, l’égalité entre les hommes et les femmes ne tient pas la route», avance-t-elle.
«Dans un pays post-industriel et supposément développé comme ici, la situation des jeunes femmes est moins enviable en ce qui concerne le harcèlement en ligne que dans certains pays d’Amérique latine par exemple, qui sont considérés comme moins développés. C’est un constat troublant et important».
Selon elle, même si l’égalité est «inscrite dans les lois et les chartes, ce n’est pas une égalité de fait», un constat que l’étude de Plan International démontre explicitement.
En effet, les chiffres parlent d’eux-mêmes. 50% des répondantes ont déclaré qu’elles avaient subi plus de harcèlement en ligne que dans la rue. 42% d’entre elles s’identifiant à la communauté LGBTQ2S+ ont avoué subir de l’abus en raison de leur identité de genre.
«Il n’y a virtuellement pas d’espace sécuritaire où les filles et les femmes peuvent s’exprimer librement. En les abusant de la sorte, on les réduit au silence.»
Les témoignages anonymes sont également assez évocateurs. Une fille de 17 ans du Canada a avoué trouver «vraiment terrifiant» à quel point les gens ont accès à ses photos et ses informations facilement. Une autre Canadienne de 17 ans confie ne pas savoir comment faire face à l’anxiété qui la submerge lorsque quelqu’un fait un commentaire haineux sur l’un de ses posts.
C’est d’ailleurs sur Facebook (39%) et Instagram (23%) que les jeunes filles expérimentent le plus de harcèlement et d’abus sur le web.
«Ce que ça démontre aussi, c’est qu’il n’y a virtuellement pas d’espace sécuritaire où les filles et les femmes peuvent s’exprimer librement. En les abusant de la sorte, on les réduit au silence. C’est très préoccupant», exprime la chercheuse de l’UQAM.
Sévir et éduquer pour un monde meilleur
Même si elle reconnait que la violence virtuelle ne passe pas exclusivement par les réseaux sociaux, Sandrine Ricci croit que de mieux sévir sur Facebook et Instagram serait un bon point de départ pour améliorer les choses.
«Il y a une certaine tolérance de propos sexistes et misogynes en ce moment sur ces plateformes. Même lorsqu’on signale ce type de propos, ce qui est déjà difficile en soi, ça arrive souvent que le réseau décide qu’ils [les harceleurs] n’enfreignent pas les règles de la communauté», amène-t-elle. Elle raconte notamment avoir déjà dénoncé à Facebook des commentaires incitant au meurtre de femmes sans avoir gain de cause.
La chercheuse croit qu’il devrait y avoir des mécanismes de dénonciation plus efficaces pour empêcher des abuseurs de continuer à causer du tort. «Il faut instaurer une forme d’imputabilité, que les auteurs de ces paroles haineuses soient tenus responsables de leurs propos. C’est impensable que de tels discours soient tolérés dans un espace où des mineurs sont aussi présents».
«Si on veut avoir des habitudes plus saines sur le web, on doit d’abord apprendre à déconstruire les rapports entre les hommes et les femmes.»
Le rapport de Plan International amène également son lot de solutions pour contrer cet enjeu. Il incite notamment les instances gouvernementales à s’assurer que «l’accès en ligne soit égalitaire entre les hommes et les femmes», que «les cadres législatifs» entourant le harcèlement en ligne soient revus pour prendre en compte des aspects comme l’âge, la couleur de la peau et l’ethnicité et que de nouvelles lois soient créées pour rendre les plateformes du web et les réseaux sociaux imputables des propos de leurs utilisateurs.
Sandrine Ricci croit néanmoins que c’est par une meilleure éducation qu’on réussira (peut-être) à guérir ce mal du 21e siècle. «Il devrait y avoir des cours à l’école sur l’égalité et particulièrement une section sur les bons comportements à adopter sur les réseaux sociaux, estime la chercheuse. La racine du problème est les rapports de pouvoir problématiques entre les hommes et les femmes depuis trop longtemps. Donc si on veut avoir des habitudes plus saines sur le web, on doit d’abord apprendre à déconstruire ces rapports».