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Jésus est de retour

Par
Gaëtan Namouric
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Cette semaine, le Saint-Laurent a tout emporté. Il a emporté l’hiver. Il a emporté la charte de la laïcité. Il a emporté les péchés des Libéraux.
Prisonnier du maudit trafic sur le pont Victoria, j’observais le fleuve. Il était paisible et puissant, j’étais nerveux et minuscule. On pouvait sentir la force infinie de l’eau, dans son mouvement ininterrompu. Des millions de blocs de glace s’entrechoquaient. Certains, empêchés dans leur course, étaient paralysés et mourraient sous la force du courant. Avant de disparaître, ils perdaient leur teinte blanche et devenaient parfaitement transparents. Des diamants de plusieurs mètres parfois. Plusieurs mois d’hiver éclatés en particules fragiles sur la surface de l’eau. Ironiquement, c’est la nature qui voyageait sous les voitures immobiles. Le spectacle était divin. Comme nous, les rayons bienveillants du soleil avaient attendu l’issue des élections. Cette semaine, il était évident que Dieu était de retour parmi nous.
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La fin de la chasse aux fidèles avait sonné. Une semaine entre deux eaux, coincée entre des semaines de laïcité forcée et une semaine sainte. Une semaine qui aurait disparu dans le flot, si je n’avais pas pris le temps de vous la raconter.
C’était une semaine entre la pâque et Pâques. Une semaine entre un Jésus et un autre.
Entre ces deux Jésus, c’est le Romain Ponce Pilate qui doit trancher. On est en l’an trente- trois. Pilate est alors gouverneur de Judée. On fête Pessa’h, la pâque juive. La tradition veut qu’on libère un prisonnier, et Ponce hésite.
Il y a d’abord Jésus Barabbas. Une sorte de fauteur de trouble, qui aurait défié l’autorité romaine. On dit — Marc 15 le dit — qu’il aurait même commis un meurtre. Pilate n’est pas un grand défenseur de Barabbas. De nombreux insoumis sont déjà tombés sous le jugement du gouverneur. Un de plus, un de moins… Non, dans son petit coeur de Romain, c’est Jésus de Nazareth qui l’emporte. Pour être plus pragmatique, il faut savoir que la loi ne peut pas grand-chose contre cet illuminé qui se prend pour le roi des Juifs. En soit, se prendre pour le fils de Dieu n’est pas un crime au strict sens légal. Pilate va libérer ce Jésus-là, en son âme et conscience.
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Mais la foule gronde. Elle veut libérer Barabbas, symbole d’une révolte politique réprimée qui gronde. Plus dangereuses, les autorités religieuses qui viennent d’arrêter celui de Nazareth ne veulent pas un jugement lapidaire et défavorable, qui remettrait dans le rue un Jésus trop dangereux pour la paix des fidèles. D’un côté la pression religieuse, de l’autre une pression politique, laïque. Des cris se soulèvent. « Libérez Barabbas! Libérez Barabbas! » Pour protéger l’ordre public, Pilate va faire deux choses. D’abord il libère Barabbas sous les hourras de la foule. Ensuite, il va se libérer lui-même. Se défaire du poids de sa décision en se lavant les mains, pour se purifier symboliquement du sang de Jésus de Nazareth, tant voulu par la foule. « Je m’en lave les mains ».
Jésus de Nazareth est crucifié. La suite on la connaît. Pâques. Un lapin vient planquer des oeufs dans le jardin et nos enfants deviennent hyperactifs.
Sommes-nous tous des Ponce Pilate ? Nous avions le choix entre deux mauvaises décisions. Élire un gouvernement anciennement de gauche et devenu d’extrême droite pour des raisons électoralistes, ou élire un gouvernement gangrené par les affaires que nous avions privé de pouvoir il y a seulement dix-huit mois. Comme Pilate, nous avons fait le choix de l’ordre public. Comme Pilate, nombre d’entre nous ont décidé à contrecœur. Comme Pilate, nous avons libéré un trouble-fête et crucifié une illuminée qui se sentait investie de pouvoirs divins. Et comme Pilate, on s’en lave les mains.
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Mais la fiction est toujours mieux arrangée que la réalité. Il faudra plus que trois petits jours au PQ pour ressusciter.
Je regardais les blocs de glace filer au-dessous du pont, comme autant de commentaires, d’avis d’experts, de billets de blogueurs, de statuts Facebook, d’émissions spéciales ou de tweets. Sous mes yeux, le passage immuable d’artefacts fragiles et inutiles d’un instant passé et déjà disparu.
Comme ma chronique ici, les preuves de cet instant vont disparaître dans le flot puissant d’une nature plus belle et plus forte que nous, dans le courant qui impose l’amnésie et redonne des couleurs au paysage. Alleluia, le printemps est là !
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