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« Le musicien dit maintenant vouloir entreprendre une thérapie », pouvait-on lire dans un article suivant le call out du rappeur Maybe Watson, largué par son band Alaclair Ensemble.
Il n’est pas le seul. Plusieurs personnalités influentes ont aussi affirmé vouloir suivre une thérapie, en marge de la vague de dénonciations d’inconduites sexuelles qui secoue actuellement la province.
C’est l’animatrice Maripier Morin qui, la première, a évoqué le désir d’aller chercher de l’aide, suivie quelques jours plus tard du musicien Yann Perreau. « Je ne cherche pas à excuser mes gestes et mes paroles, je cherche plutôt à comprendre et, surtout, à trouver l’aide dont j’ai besoin. J’entame donc une thérapie avec des professionnels qui sauront m’aider », a indiqué Maripier Morin dans un communiqué, où elle exprimait sa volonté à prendre sa santé physique et mentale en main.
Plusieurs ont sourcillé, qualifiant la démarche de voeux pieux assortis à des larmes de crocodile. Une façon de se sauver la face. « C’est pas ma faute, j’ai des troubles sexuels », genre.
Plusieurs ont sourcillé, qualifiant la démarche de voeux pieux assortis à des larmes de crocodile. Une façon de se sauver la face. « C’est pas ma faute, j’ai des troubles sexuels », genre. J’avais pour ma part en tête l’exhibitionniste virtuel et ancien candidat à la mairie de New York Anthony Weiner, qui avait provoqué le malaise en se présentant devant les médias penaud, flanqué de sa femme, en affirmant vouloir suivre une thérapie sexuelle. Un mea culpa de façade qui ne l’avait pas empêché de recommencer à envoyer des photos de sa swouine quelques années plus tard.
Plus près de nous, qui a oublié le supplice imposé par l’ex-député libéral Gerry Sklavounos, lorsqu’il s’est présenté devant la presse pour répondre des allégations de nature sexuelle portées contre lui.
À l’époque, le premier ministre Philippe Couillard avait souligné que l’ex-député de Laurier-Dorion allait devoir entreprendre « une démarche personnelle» s’il souhaitait réintégrer le caucus.
Bref, comme les thérapies sont full tendances – du moins sur papier – j’ai voulu en savoir davantage les concernant en contactant quelques professionnels. D’emblée, tous m’ont assuré qu’une thérapie menée de bonne foi et avec transparence peut aider l’abuseur à retrouver le droit chemin. Bref, il y a de l’espoir.
Mais la traversée du désert varie d’une personne à l’autre assure le sexologue et psychothérapeute Yves Paradis, du Centre d’intervention en délinquance sexuelle de Laval. « Chacun a sa propre démarche, mais ça démontre de façon globale la difficulté d’avoir une maîtrise de soi au niveau de la sexualité », souligne le spécialiste.
S’il voit d’un bon oeil que des personnalités fassent preuve de contrition en envisageant la thérapie, une question fondamentale demeure à ses yeux: pourquoi ces gens ne consultent pas (idéalement) avant ou après avoir posé un geste déplacé pour la première fois?
Yves Paradis connaît déjà une partie de la réponse à ce problème: les hommes sont peu enclins à demander de l’aide et à consulter, « même pour un examen médical de routine annuel».
Il ajoute que la thérapie est un travail introspectif sur soi-même et ne doit pas être entrepris pour des motifs superficiels comme bien paraître ou sauver sa carrière. « On n’a pas besoin d’être connu pour se sentir au-dessus des lois. Ça démontre un manque d’empathie et ça part souvent des relations familiales. Ça fait partie du traitement d’avoir des relations plus égalitaires et moins utilitaires », souligne Yves Paradis.
« On n’a pas besoin d’être connu pour se sentir au-dessus des lois. Ça démontre un manque d’empathie et ça part souvent des relations familiales. Ça fait partie du traitement d’avoir des relations plus égalitaires et moins utilitaires », souligne Yves Paradis.
La plupart des thérapies de son organisme se déroulent en groupe, mais comprennent des objectifs personnels. La première étape est d’ailleurs d’identifier ces objectifs lors d’une évaluation. La durée des traitements varie pour chaque personne, mais dure généralement entre six mois et un an. « Des clients arrivent souvent avec des résistances, mais elles s’amenuisent avec le temps et l’expérience de notre équipe », constate M. Paradis.
Sans surprise, les mouvements comme #MeToo ou celui de dénonciation qu’on observe présentement se traduisent par une augmentation de leur clientèle. « Dans la dernière année, on a en moyenne 129 personnes en attente. Ces individus sont placés sur des listes d’attente et n’ont pas d’aide durant plusieurs mois », déplore Yves Paradis, d’avis qu’une partie de la solution passe par un meilleur financement des ressources. « Les gens qui ont les moyens d’aller en pratique privée, fine, mais il faut se questionner et peut-être même explorer de nouvelles voies », souligne le spécialiste.
Quant au phénomène de dénonciation publique, Yves Paradis y voit du positif s’il amène les gens à aller consulter, en plus d’y voir une critique du système judiciaire actuel. « Mais d’autre part, on perd de vue que les personnes accusées ont des familles et il faudrait protéger les victimes collatérales», nuance-t-il.
Modifier la personnalité
Sexologue/Psychothérapeute à la Clinique Rosemont, Marie-Pier Tanguay explique que la thérapie vise d’abord à modifier les comportements du patient. Dans le cas des personnalités publiques, le défi sera de dégonfler l’égo démesuré de personnalités narcissiques. « La première étape est la prise de conscience, admettre un manque d’empathie. Comment ça tu ne te rendais pas compte que la fille n’était pas consentante, couchée sur le lit sans bouger, mortifiée », raconte Marie-Pier Tanguay, qui estime la durée des thérapies d’environ 20 semaines à une année.
«Le fait d’avoir peur de perdre leur carrière c’est bon signe. La peur va les amener à faire les démarches. Les gens ne doivent pas le faire pour les victimes ou l’opinion publique, mais pour eux.»
Si plusieurs patients viennent parce qu’ils sont accusés en justice et n’ont pas le choix, Mme Tanguay voit d’un bon oeil la volonté de certaines vedettes de vouloir entreprendre des thérapies. « Le fait d’avoir peur de perdre leur carrière c’est bon signe. La peur va les amener à faire les démarches. Les gens ne doivent pas le faire pour les victimes ou l’opinion publique, mais pour eux », croit Mme Tanguay, qui observe aussi une recrudescence des clients lors des vagues de dénonciation.
Qualifiant les dénonciations virtuelles de « nécessaire », elle invite toutefois à la prudence. « Il y a plusieurs zones grises et ça voisine parfois la diffamation. Je comprends le but, ce que les femmes endurent depuis toujours et l’importance de lutter contre le harcèlement sexuel, mais la personne dénoncée ne peut pas se défendre et devient à son tour victime d’une accusation publique », affirme-t-elle.
Deux types de thérapies
À l’autre bout de l’autoroute 20, la clinique des troubles du comportement sexuel du CIUSSS de la Capitale-Nationale se spécialise dans deux types de thérapies: celle pour les personnes judiciarisées, qui n’ont pas le choix de s’y soumettre pour aider le juge à déterminer une sentence, et celle pour les personnes volontaires, donc autoréférencées dans le jargon. « C’était pas possible avant l’automne dernier les autoréférences. On a ouvert un nouveau programme et on voit depuis que ça augmente », explique la chef de programme Julie Couture, qui s’attend aussi à d’autres demandes en marge de la vague de dénonciations.
« Si la personne s’implique vraiment dans son traitement et utilise les moyens à sa disposition, elle en sera capable.»
Sur une note d’espoir, Mme Couture croit qu’il est possible de changer pourvu qu’on y mette les efforts. « Si la personne s’implique vraiment dans son traitement et utilise les moyens à sa disposition, elle en sera capable. On veut améliorer la qualité de vie de ces gens-là et les amener à ne pas récidiver », résume Julie Couture.