Orlando « Cachaíto » Lopez
Cachaíto
World Circuit, 2001, réédition vinyle 2018
J’ai été disquaire dans un grand magasin durant l’âge d’or du CD. Période au cours de laquelle sont passées entre mes mains des tonnes de copies des saveurs du jour ; des disques d’Andrea Bocelli et de Rammstein, des disques de Moby, The Offspring, Manu Chao, Lou Bega et La Chicane. Tant de musiques sur lesquelles je ne me suis jamais arrêté sous prétexte que la moitié de la population s’en occupait à ma place. Franchement, j’ai la certitude de n’avoir rien manqué, sauf peut-être dans le cas du Buena Vista Social Club.
Le fait d’être derrière un comptoir et de voir le monde entier débarquer avec des questions floues et des attentes élevées peut mener un commis sous-payé à un certain niveau de cynisme. Ainsi, ces pauvres pépères Cubains si attachants et bourrés de talent se sont vus foutus dans la même fosse que Limp Bizkit et la trame sonore de City of Angels, mais je les évitais pour la forme ; en tant que référence musicale, je me devais de déterrer les joyaux plutôt que de fouler les chemins pavés de la culture de masse. Mais au fond, maudit que je trouvais ça beau.
Le premier réflexe à la vue des albums subséquents des vedettes du Club, Compay Segundo, Ibrahim Ferrer, puis Omara Portuondo, aura été, bien sûr, de tirer langue sale. Mais pouvait-on vraiment blâmer qui que ce soit ? Le public cible avait de l’argent et les têtes d’affiche l’avaient pas volé, leur moment de gloire. Mais là où j’ai commencé à me sentir interpellé, c’est quand la sauce s’est étirée jusqu’aux musiciens du Club : le pianiste Rubén Gonzalez et son premier album solo en cinquante ans alors qu’il ne possédait même plus de piano; le Mambo Sinuendo du guitariste Manuel Galban avec Ry Cooder, dose unique de Spaghetti-Latin-Futuriste-Hawaiien; puis — il m’aura fallu la réédition vinyle pour que j’y arrive enfin et je n’écoute que ça depuis trois semaines — cet album du grand Cachaíto Lopez.
Issu d’une lignée de contrebassistes qui remonte à son arrière grand-père parmi laquelle on compte son oncle Israel Cachao Lopez, inventeur du Mambo, Cachaíto vient autant des salles de concert classiques que des Descargas (jam sessions) des nuits havanaises. L’album qu’il nous proposait au tournant du millénaire, bien que résolument cubain, ne tient pas qu’à la tradition, loin de là. La basse de Cachaíto résonne et creuse au travers d’emprunts au dub, voire au drum and bass, mais, vous savez, avec de vrais gens qui jouent de vrais instruments. Dans bien des cas, on prend le chemin du groove et de l’ambiance plutôt que celui de la mélodie et la quelque vingtaine de musiciens qui s’y trouve semble parfaitement heureuse de son sort. La bête étiquette « musique du monde » prend ici le bord pour devenir musique, pour du monde sans barrières, une musique qui communique le bonheur, le bien-être et l’ouverture de manière beaucoup plus sensible que bien d’autres s’y étant risqués avec des mots.
Cachaíto s’est éteint quelques années après la parution de son unique album, après avoir été le souffle et le cœur de toute une époque de la musique cubaine. Je vous parie qu’un pourcentage impressionnant des gens qui ont tapissé le fond de leurs soupers entre amis avec le Buena Vista Social Club n’ont aucune idée de Cachaíto et sa portée. Mais moi, je sais. Et maintenant, vous aussi.