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J’écoute des disques : Jerry De Villiers et son Jazz Quartet

« Y a pas assez de vinyles pour nous deux dans cette ville. »

Par
Michel-Olivier Gasse
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Jerry De Villiers et son Jazz Quartet

Trans-Canada, 1963

Je vous l’ai dit quelques fois déjà, quand le goût de flipper des disques me prend dans le coin où j’habite, les possibilités sont limitées sur un temps rare. En fait, y a nulle part où aller, autrement qu’à l’Entraide à Lachute. J’ai pas toujours le courage de me lancer à écumer les bacs et revoir sans cesse les mêmes albums de Mario Lanza, Julio Iglesias ou Angèle Arseneault, mais avec un peu de chance et de persévérance, parfois, y a moyen de sortir de là avec une bonne affaire. Quand je dis un peu de chance, c’est dans l’idée qu’un vieil anglo mélomane de la région soit mort récemment et que sa succession se contente de Spotify ou CHOM FM. Ça arrive. Je me suis fait un Marvin Gaye original, un Ray Charles précieux, une compil Bollywood des 70’s (ça, c’est pas trouvable), chaque fois pour 1$ la pièce. Y a les sœurs Carpenter — Alice et Charlene — dont les noms écrits au sharpie ornent chaque album de leur impressionnante collection country, dont une partie s’est retrouvée chez nous. Où qu’elles soient, puissent-elles savoir qu’un inconnu pense à elles sur une base régulière.

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Tout ça pour dire que je croyais être seul à traîner dans le département. Pour la musique qui m’intéresse, du moins. Jusqu’à ce que ce gars-là m’approche, avec ses lunettes de soleil au-dessus de sa palette de casquette élimée, et des yeux avec drôlement plus de lumière que l’idée qu’on pourrait se faire d’un gars de Lachute. Il me reconnaît, s’informe d’éventuels spectacles dans le coin pour y faire signer sa copie du vinyle de mon groupe. Je suis touché, désarmé, puis on parle de disques, évidemment. Il habite juste à côté et je comprends vite qu’à chacune de mes visites, les chances sont grandes qu’il soit passé dix minutes avant.

La première fois que je pense à lui en me disant « mon astie », c’est quand il me confie que la majorité de sa collection est vouée au jazz.

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La première fois que je pense à lui en me disant « mon astie », c’est quand il me confie que la majorité de sa collection est vouée au jazz. Du vieux stock. Du genre, tout ce que je cherche mais ne trouve jamais. Parce que ce gars-là est passé avant moi. Pour me rassurer, je tente de minimiser cette information, de la banaliser. De me dire qu’il aime le jazz plate, je sais pas. Mais quand je me suis retrouvé chez lui y a de ça un mois pour lui acheter une table-tournante qu’il avait remise en ordre, j’ai bien vu que c’était du sérieux. Il n’y avait aucun classement, il y en avait partout. Pige au hasard, tombe sur Jim Hall, Hank Mobley, Bill Evans, Sonny Rollins, des vieux Blue Note, Riverside, etc. Je veux dire, du vrai stock. Tout ça, caché dans une petite maison du triste centre-ville de Lachute. Je me serais trouvé audacieux d’en espérer autant, mais j’étais bien là, chez le père Poirier, un peu chaudaille après cette deuxième IPA sans avoir mangé. On écoutait du jazz, juste assez fort pour devoir parler fort.

C’est dans ces conditions que j’ai appris que ce gars-là, au lieu d’attendre que ça lui tombe dessus, comme moi, il prend les choses en main et va de l’avant. Le père Poirier, il est capable de se retrouver à quatre pattes au fond de la shed d’un octogénaire dans le coin de Brébeuf, et d’y trouver une talle de vieux blues qu’il échangera contre une bouteille de gros gin. Mon astie. Si une telle occasion devait m’arriver, je sais pertinemment que j’aurais plus de chances de tomber sur Lucien Hétu et Jethro Tull qui auraient pris un dégât d’eau. C’est mon karma. Mais maintenant que je suis ami et pratiquement voisin du père Poirier, qui lui a le karma contraire, j’ai bon espoir de figurer au top de la liste des premiers appelés pour les doublons. Parce que le père Poirier ne se contente pas de trouver les bons disques, il les trouve deux fois. À commencer par cet album de jazz particulièrement irréprochable, fait au Québec dans les années soixante. Jerry De Villers, à en croire mes recherches quand même brèves sur internet, est archivé davantage pour ses albums de type « orgue à gogo », allant même jusqu’aux cantiques de noël et au disco. Mais quelque part dans le fouillis traîne un document de son sideline qu’il devait chérir ; un album parfaitement hard-bop, fait de pièces originales interprétées par un quartet en grande communion, et ça sonne en plein dans ta face. Un album rare, savoureux, et tout à fait inconnu.

Le père Poirier, il en avait deux copies.

T’as pas fini avec moi, mon astie.

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