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J’écoute des disques: Elton John – Honky Château

Retrouver son Elton d'enfance.

Par
Michel-Olivier Gasse
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Elton John

Honky Château

Uni Records, 1972

Même si la plus grande partie de la musique qui a meublé mon enfance provient du répertoire de chorale de ma mère, restent bien quelques cassettes d’artistes professionnels qui se sont mérité une place de choix dans mes premières années de vie. Parmi celles-ci, retenons une collection des grands succès de Charlebois, Garolou et la célèbre chanson de la limonade, Nana Mouskouri et le Noël d’Evan Johannes bien malgré moi, mais surtout, le Greatest Hits Vol.1 d’Elton John (le seul des trois volumes qui soit réellement Great, entendons-nous).

Cette cassette, je l’ai chantée coté A coté B avec passion et candeur durant des années. Une fois atteint l’âge de raison ­— celui de posséder mon propre lecteur CD — le Greatest Hits en question s’est vite retrouvé dans ma maigre collection. Ma première réécoute depuis tout ce temps m’avait mené à un constat troublant : alors que le Gasse à culottes courtes se mâchouillait un anglais phonétique et fantasque, reconnaissant ici et là les mots Daniel, Crocodile, Jets, Rocket, mais sans plus, le Gasse à cheveux longs, lui, a d’emblée entonné les airs d’Elton avec de réels mots d’anglais et dans une proportion respectable de, disons, 45 %, les mots étaient les bons. Ce qui m’a mené à la conclusion que les Rocket Man, Your Song et autres Don’t Let the Sun Go Down on Me n’étaient pas que de simples souvenirs, mais bien des morceaux que mon corps avait enregistrés pour les laisser grandir avec moi toutes ces années.

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Plus tard encore et armé d’une table tournante, je me suis risqué à mon premier Elton en 33 tours. Sur Honky Château, je reconnaissais Rocket Man et Honky Cat, des temps forts de mon enfance, mais aussi, la pochette me laissait voir un Elton plus humble que ce à quoi les vingt dernières années (minimum) m’avaient habitué. Ça me parlait. Aussitôt l’aiguille déposée et que résonnait le piano en intro de Honky Cat, j’ai fait un nouveau constat troublant : je n’avais plus affaire à une vieille cassette usée ou un disque compact en spécial ultra-compressé. L’aiguille creusait le vinyle et je pouvais par le fait même sentir des êtres humains qui jouaient dans la même direction.

Cette cassette, je l’ai chantée coté A coté B avec passion et candeur durant des années.

J’entendais s’activer les touches du piano, le oumph de chaque note de basse, presque le couinement de la pédale de base drum. En excluant les pouet-pouet épars de cuivres, je me retrouvais devant trois musiciens, point barre, et les choses se passaient rare. Je n’écoutais plus un hit d’Elton parmi tant d’autres, mais bien une performance honnête, sans failles et dénuée d’artifices. Ma toute première écoute 3D et ça, avec une technologie qu’on avait essayé de nous faire croire dépassée.

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Après plusieurs spins de la pièce d’ouverture, j’ai continué. Pour la première fois de ma vie, je me tapais des titres d’Elton John que je ne connaissais pas déjà. Le soul de Mellow, l’ironiquement joyeuse I Think i’m Going to Kill Myself, l’énergie brute de Susie (Dramas) et l’épique Rocket Man pour clore le côté A. J’ai dû prendre une pause. C’était beaucoup. Beaucoup trop bon. J’avais passé une vie à m’approprier le Elton grand public et là, il venait de chanter juste pour moi, des chansons qui n’existaient pas avant. Ce Elton-là, c’est le mien, celui vers lequel je reviens, et c’est pourquoi je ne suis jamais vraiment allé plus loin. Je sais qu’il se gâte par la suite, et j’ai rien à voir là-dedans.

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