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Jean-Christophe Réhel: écrire pour synthétiser l’amour

Entretien avec l'auteur qui nous a fait tendrement tomber en bas de notre chaise.

Par
Jeremy Hervieux
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C’est d’abord avec Les volcans sentent la coconut que je découvre la plume de Jean-Christophe Réhel. La lecture de ce recueil de poésie m’a fait l’effet d’un doux rêve tropical, et j’en étais ressorti ébahi par la beauté qu’une suite de mots peut générer.

Bref, j’étais tendrement tombé en bas de ma chaise, et c’est donc avec beaucoup d’enthousiasme que j’attendais son roman Ce qu’on respire sur Tatouine, qui sort ce mois-ci.

Pour l’occasion, on s’est entretenu avec Jean-Christophe, qui aura publié à trois reprises d’ici la fin de l’année.

Rencontre

Sitôt assis dans un bar de la rue St-Denis, je lui confie que j’ai l’impression d’être en présence du narrateur de son livre. Il ne s’en étonne pas :

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« L’association se fait naturellement, parce que le narrateur est atteint de fibrose kystique et moi aussi. Mais sinon, c’est de la fiction. J’ai pas vécu ce qu’il a vécu : j’suis jamais allé à New York, j’ai jamais habité dans le demi-sous-sol d’un vieux bonhomme, j’ai inventé les personnages, je n’ai jamais fait les boulots relatés dans le livre, etc. »

«L’association se fait naturellement, parce que le narrateur est atteint de fibrose kystique et moi aussi. Mais sinon, c’est de la fiction.»

Dans ce roman qui a fait l’objet de magnifiques capsules promotionnelles, on suit le flot de pensées d’un jeune poète dont la vie est ponctuée par les visites à l’hôpital et les heures passées à des jobines auxquelles il applique à reculons.

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Tout le charme du livre réside dans cette voix narrative hésitante, autant capable d’obséder sur des détails (une table de chevet achetée chez Structure, par exemple) que de virer sur un dix cennes : « J’aimerais modifier des voitures. Ah, pis non, je m’en fous tellement. »

L’humour comme remède

Ce qu’on respire sur Tatouine se démarque aussi par une chose : en plus d’être touchant d’un bout à l’autre, c’est souvent très drôle. Cet humour, on le retrouve notamment dans les scènes qui se déroulent au Super C, où le narrateur travaille.

« J’ai passé du temps dans une épicerie Super C. J’ai aussi recueilli un témoignage auprès d’un ancien commis. J’ai appris plein de choses, par exemple sur le phénomène des bananes le premier du mois. Supposément qu’il y a une vraie frénésie sur les bananes à ce moment-là. »

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« Je me suis documenté. J’ai passé du temps dans une épicerie Super C. J’ai aussi recueilli un témoignage auprès d’un ancien commis. J’ai appris plein de choses, par exemple sur le phénomène des bananes le premier du mois. Supposément qu’il y a une vraie frénésie sur les bananes à ce moment-là », dit-il en référence à un passage où le narrateur se démène à restocker l’épicerie, des grappes de bananes plein les mains.

Cette razzia sur les fruits est l’un des nombreux détours inattendus que prend le récit, qui nous amène de Repentigny à Central Park, en passant par un savoureux gig de lutin dans un centre d’achat.

« L’humour, je le mets partout. En poésie, je fais beaucoup d’autodérision, je ris souvent de moi-même. Je pense que ça me ramène sur Terre, et que ça permet de mieux être à l’écoute durant les moments sérieux, les moments où je remets des choses en perspective. Dans le roman, j’avais pas le choix d’injecter cet imaginaire de folie là, parce que sinon ça aurait été insupportable. »

La Guerre des étoiles (à Repentigny)

C’est justement ce qui touche autant dans l’œuvre de Réhel : cette utilisation de l’imaginaire comme bouée de sauvetage à la fadeur du quotidien.

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Dans le cas de son livre, la bouée prend la forme de Tatouine, une planète désertique reconfigurée au gré des fantasmes et des lubies décalées du narrateur. « On a tous une Tatouine où on voudrait aller », dit l’auteur.

À maintes reprises dans Tatouine, le narrateur repense son environnement et sa relation avec les autres à travers le prisme de la science-fiction, comme si l’esprit de George Lucas s’était doucement emparé de Repentigny.

«Je pense qu’ils l’ont fait dans une série télé, avec une p’tite fille qui respire comme dans une paille, mais c’était super cliché. J’ai essayé de déconstruire cette maladie-là, et de la dévoiler sous un nouveau jour.»

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« Le lien le plus direct avec la maladie pulmonaire, c’est Darth Vader et sa relation avec la respiration. De consacrer une histoire à un personnage fan de Star Wars qui a la fibrose kystique, j’ai juste plongé là-dedans, pis je me suis amusé à écrire. »

Cette maladie, on l’évoque plutôt rarement en littérature, selon Jean-Christophe.

« Je pense qu’ils l’ont fait dans une série télé, avec une p’tite fille qui respire comme dans une paille, mais c’était super cliché. J’ai essayé de déconstruire cette maladie-là, et de la dévoiler sous un nouveau jour. Est-ce que c’est la bonne manière de voir la fibrose kystique? Je sais pas, mais c’est la mienne. C’est juste du rêve, ce livre-là. C’est de l’imagerie, c’est du fantasme. »

Quand je lui demande quelle lecture il amènerait avec lui sur Tatouine, Réhel choisit l’œuvre de Kafka. « Cette idée d’être laissé à toi-même dans une société que tu comprends pas tellement, l’absurdité de l’existence, ça se reflète un peu dans mes affaires. Donc j’amènerais ça. Oh, pis aussi une BD, genre Gaston Lagaffe. »

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Synthétiser son amour

Alors que l’entretien tire à sa fin, je lui demande s’il se souvient de la première fois qu’il a ressenti l’impulsion de coucher quelque chose sur papier.

« C’est ça, l’écriture. Synthétiser ton amour ».

Sans ajouter un mot, il se met à fouiller dans son portefeuille, et en ressort un signet funéraire qu’il glisse dans ma direction sur la table. Au dos du signet, un poème. Le nom de l’auteur n’est pas écrit, mais on reconnait tout de suite le style de Réhel. Ce poème, il l’a écrit pour sa grand-mère.

« C’est ça, l’écriture. Synthétiser ton amour ».

En terminant sa bière, il conclut :

« Écrire, pour moi, c’est essayer de synthétiser le quotidien… Pis essayer d’en faire quelque chose de merveilleux ».

Avec Ce qu’on respire sur Tatouine, c’est mission accomplie.