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Jean Barbe est un analphabète

Par
Éric Samson
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Certaines personnes ont déploré, récemment, la diminution du nombre d’articles culturels dans le journal Voir. Comme si l’ancien hebdo était un canari dans la mine de la Culture, ces gens voyaient dans la réduction des articles culturels au profit des critiques de resto un signal alarmant de délaissement de la Culture par nos médias. Ces gens sont, évidemment, des imbéciles.

Le rédacteur en chef du Dernier Journal Culturel Indépendant Francophone, Simon Jodoin, a raison d’envoyer littéralement chier ses détracteurs : si tu penses que la culture c’est juste des livres, du théâtre, de la danse, des disques et des concerts, t’es rien de plus qu’un crétin, et un snob fini. Les critiques de resto, c’est aussi du contenu culturel. Parce que la bouffe, c’est de la culture. N’en déplaise à Jean Barbe.

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Radio-Canada peut donc se vanter: entre les Enfants de la télé (la télé, c’est de la culture), Tout le monde en parle (on y boit du vin, c’est de la culture), l’Épicerie (la bouffe, c’est de la culture), Ricardo (bouffe, culture), la Semaine verte (agriculture, y’a même déjà le mot culture dedans), et même Annie Brocoli (légumes, bouffe, culture), je ne vois pas de quoi les critiques télé du Devoir et de la Presse parlent quand ils disent que Radio-Can ne fait pas assez de place à la culture. On a, finalement, un éventail impressionnant d’émissions culturelles à notre télévision d’État.

Mais j’y pense: si parler de nourriture se révèle être du contenu culturel, parce que la bouffe est au centre de nos vies et est le reflet de nos racines, de notre créativité et de notre environnement, il y a un tas d’autres choses qui sont tout aussi culturelles.

Il est impossible de dissocier Montréal de son équipe de hockey: le Canadien fait partie des meubles, et nous y sommes tous un peu attachés, ne serait-ce que par le rôle que l’équipe a joué dans notre Histoire collective. Il m’apparait donc indéniable que tous les journalistes qui parlent du Canadien de Montréal ne devraient pas avoir honte de s’afficher tels qu’ils sont: des chroniqueurs culturels. Et n’oublions pas les scribes de sport en général, car il ne faut pas négliger l’émergence, ni se cantonner à la culture populaire. Pourquoi ne pas parler de roller-derby, si on couvre le festival Pop Montreal? Pourquoi ne pas parler de F1, si on consacre un article à la tournée mondiale de Rihanna? Tout ça, c’est culturel.

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On ne peut pas non plus imaginer Montréal sans son skyline, ses édifices, ses quartiers aux particularités multiples — les escaliers en colimaçon, les corniches, les appartements typiques faits sur le long, les ruelles. C’est évident que la ville forge elle-même, par son patrimoine bâti, l’âme du Montréalais et influence celui-ci dans sa création. Vous pouvez maintenant regarder le canal Casa sans culpabilité: l’architecture est de la culture.

La culture est toujours en mouvement. C’est donc dire que le mouvement aussi est de la culture. Ainsi, les voitures, camions et autres véhicules motorisés sont sans aucun doute des éléments pouvant faire l’objet de couverture culturelle. Outre la grande manifestation culturelle qu’est le Salon de l’auto, il y a toujours un nouveau modèle, une expérimentation à essayer, une innovation ici et là. C’est peut-être le domaine culturel où on voit le plus de variété et de diversité.

Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver. Ces mots nous montrent bel et bien une seule chose: le Québec n’existe pas hors de son climat, qui façonne la vie quotidienne de toute la population. C’est primordial, intrinsèque à la vie québécoise: les hivers rigoureux ont créé notre folklore, les étés ont amené une autre dimension à nos vies. En ce sens, je vois mal pourquoi on prive la météo du statut de couverture culturelle: si le succès ou l’échec d’un festival comme Osheaga ou les Francofolies passe autant par la température que par les spectacles qui y sont donnés, il me semble que les météorologues devraient aussi avoir leur place dans la section Arts et culture.

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La politique est aussi énormément impliquée dans le milieu culturel. Subventions, coupes, nominations, etc: il n’y a pas une journée sans que notre vie, notre culture, notre identité ne soit affectée par la vie politique, qu’elle soit municipale, provinciale, fédérale ou mondiale. Il est grand temps d’offrir aux journalistes qui couvrent l’actualité politique le statut qui leur revient: Chantal Hébert est, elle aussi, une chroniqueuse culturelle.

Alors qu’on ne parle pas de livres, de films, de théâtre, de danse, d’opéra ou de disques dans le Voir ne devrait pas vous inquiéter. Après tout, on est chanceux, à Montréal: on a tellement de culture qu’on a un quotidien qui ne parle que de ça: la nourriture, la politique, le hockey, les chars et la météo.

Et si vous ne croyez pas que la nourriture, la politique, le hockey, les chars et la météo font aussi partie du domaine culturel, je dirai comme Simon Jodoin: « Allez chier. Maintenant. Vous êtes des analphabètes. » Parce que quand un hebdo culturel devient une circulaire de restaurants, tout le monde y gagne, sauf Jean Barbe.

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(PS: le premier qui me répond « oui mais sur voir.ca » gagne un prix. La couverture culturelle-au-sens-strict du voir.ca est exceptionnelle et je la consulte fréquemment. Ce n’est pas de ça qu’on parle.)

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