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Vendredi dernier était un jour spécial: non seulement c’était un vendredi 13, mais c’était aussi la pleine lune. Une combinaison rare, qui ne se reproduira pas avant 2049. En plus, Mercure était en rétrograde. On s’entend qu’on est passé proche de l’apocalypse.
Avez-vous brulé bâton de sauge par dessus bâton de sauge pour éviter toute malchance? Pas moi. Moi, j’ai vraiment pas eu peur, parce que je suis le démon. Oui oui, c’est mon directeur d’école primaire qui me l’a dit. En 4e année, à l’âge où mes amis se faisaient envoyer dans son bureau pour avoir mangé des rouleaux aux fruits en classe ou avoir volé les pogs de Marie-Sophie, je suis allée chez le directeur parce que j’étais la source du MAL, rien de moins.
En 4e année, j’étais vraiment fan des histoires d’horreur. Par horreur, je veux surtout dire les livres Chair de Poule, ou encore les livres Frissons (mais juste lus durant le jour parce que sinon ça empêche de dormir). J’aimais aussi raconter des légendes urbaines pour faire peur à mes amies à la récré. J’imagine que c’était ma façon à moi de me rendre intéressante. C’est vrai que j’étais vraiment nulle côté pop culture, genre je savais pas c’était qui les New Kids On The Block et j’avais jamais vu Back To The Future, alors je me rabattais sur les histoires de bébés dans le four à micro-ondes ou de tueurs en série avec une main en crochet.
Un jour où je jouais chez mon amie Geneviève, sa grande soeur Mélanie nous a parlé de Ouija. Je capotais d’excitation, Mélanie avait clairement une longueur d’avance en terme de connaissances paranormales. Elle connaissait tous les trucs pour parler à Ouija. Malheureusement pour moi, Google n’existait même pas encore pour que je puisse me renseigner moi-même et ainsi battre Mélanie à son propre jeu. Alors pour les semaines suivantes, Geneviève et moi avons été les disciples de Mélanie. Ben, plus moi que Geneviève, car après deux-trois histoires d’esprits vengeurs, elle était retournée dans le salon écouter des épisodes de Sailor Moon. Mélanie m’a appris tous les trucs: appeler Marie Blanche, répéter «Ouija Ouija Ouija Ouija Ouija» devant un miroir sans cligner des yeux jusqu’à temps qu’on voie notre face fondre, appeler Marie Rouge, jeter un sort de malchance en faisant une offrande (de jus de raisin Oasis) à Ouija, appeler Marie-je-sais-pu-quoi, etc.
Trop contente que Mélanie m’ait transmis son savoir, je suis retournée à la cour de récré pour partager mes nouvelles histoires. Oh, le look de peur sur le visage de Daphné, Catherine, Julie ou Valérie. Je les avais fascinées et on était maintenant une bonne petite gang à vouloir devenir des mini-sorcières. Faut dire qu’on avait aussi toutes trippé sur le film Abracadabra. Ouija, c’était pas mal juste la suite logique. Il faut aussi mentionner qu’à ce point-ci de l’aventure, tout le monde était trop chicken pour demander à leurs parents d’acheter une planche Ouija, donc on restait encore relativement inoffensives. Bien sûr, on avait essayé de dessiner une planche sur une feuille de cahier Canada, mais c’était juste pas la même chose. On s’en tenait donc aux histoires et aux incantations à moité botchées, pour cause de peur trop intense (mais ça, on ne l’aurait jamais avoué à personne).
Un jour, Valérie et moi avons découvert une bosse dans le plancher de la toilette des filles, à l’endroit où on se réunissait habituellement pour appeler je ne sais quelle Marie (c’était la toilette avec le plus grand miroir, un élément à ne pas négliger quand tu es une gang de 5 filles voulant appeler un esprit gêné). La bosse dans le plancher était clairement une manifestation surnaturelle! J’ai tout de suite déclaré que l’école Tournesol était hantée et que son esprit tentait de sortir par le plancher. On a continué pendant quelques jours à essayer d’avoir une autre preuve de la part de l’esprit, mais c’était le silence total du côté de l’au-delà (ou du côté de la plomberie de la salle de bain).
Peu de temps après, je me suis fait appeler dans le bureau du directeur. Moi, la présidente de classe qui avait toujours ‘vert’ dans les présentations orales et qui était ben relax dans le fond de la classe à classer ses Prismacolor par dégradé de couleur. Je pensais à ce que je pouvais bien avoir fait de mal… Une faute d’orthographe dans le compte rendu de la réunion des présidents de classe? Oublié de nourrir Whippet le cochon d’inde? Échoué dans la planification de l’activité d’étape (écouter Jumanji dans le gymnase)? J’attendais mon sermon avec peur et incompréhension. Le directeur a commencé: «Marie, il faut que tu arrêtes de parler de Ouija. C’est de ta faute si Ouija est rendu dans l’école et ça va trop loin, il y a des camarades de classes qui ont peur.» Wow, j’ai pensé. C’est de ma faute. Genre, je suis la top sorcière et les autres sont mes disciples… Des disciples peureux qui ont choké et sont allés se plaindre au directeur.
Je n’ai pas eu le choix, j’ai arrêté de parler de Ouija. De toute façon, ça faisait déjà deux semaines qu’on était là-dessus et le prochain trip s’annonçait être les Spice Girls. J’allais enfin développer ma connaissance de pop culture et cesser d’amener le mal dans l’école. La bonne nouvelle, c’est que des années plus tard, je suis encore ben relax par rapport aux phénomènes paranormaux. Pleine lune, vendredi 13, Mercure en rétrograde, décès de Jojo Savard, ça me fait pas peur. Vendredi dernier, je n’ai pas sorti ma planche Ouija, parce que je n’en ai jamais eu une (t’es-tu malade, tu peux jamais t’en débarrasser parce qu’elle revient toujours dans le fond de ton garde-robe). Mais sait-on jamais, peut-être qu’en 2049 je serai prête, planchette triangulaire à la main, toute ouïe pour caller les esprits.
Après tout, c’est moi le démon, j’ai peur de rien.
Illustration: Audrey Malo