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Je suis allé au lancement de Sir Pathétik au Dagobert

Plaidoyer pour un amour non-ironique du badboy du Québec

Par
Zacharie Routhier
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« Un album de party qui fera réfléchir, du bon vieux Sir Path au goût du jour »

« Sir Path a retravaillé des textes jamais sorties »

Devant mon ordinateur, je souris à pleines dents. Ce n’est pas tant le fait que « sorties » ne devrait pas prendre de E, ou que le cover de son 15e et dernier opus, Inédit, présente avec élégance une mouche copulant avec une autre mouche.

C’est simplement que Sir Path is back, bébé! Avec des titres explosifs comme « SQDC » (il aime ça légal) et « Tata » (où il attaque les autres rappeurs Québ à coup de ratatata).

Moi, je l’aime bien, Raphaël A.K.A Sir Pathétik. Quand je danse sur « T’aimes un bad boy », c’est que j’aime le buzz que ça m’fait en dedans en toute sincérité. Ça a closé la plupart de mes partys de sous-sol du secondaire et pour ça, je voue au rappeur un respect éternel.

Mais ses paroles et son style « provocateur », eux, vieillissent-ils aussi bien?

Écouter du Sir Path en 2019

Je mentirais en affirmant pouvoir chanter « Fais donc ta cochonne », un titre tiré de son album sorti le 1er novembre dernier, sans un certain (!) malaise.

« Je te serai fidèle, comme un huard à sa huarde, comme un serpent piton à sa pitoune »

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Ceci étant dit, mentionnons que la toune commence avec un poème qui semble à l’opposé de son refrain : « Je te serai fidèle, comme un huard à sa huarde, comme un serpent piton à sa pitoune ». T’sais. De la sensibilité brute, de bitume.

Sir Path et moi, on n’a pas les mêmes références sociales. Dans un monde de baggy pants, je suis le dude en jeans skinny. Sans être son public cible, je relate dans une certaine mesure avec le rappeur de Trois-Rivières lorsqu’il sensibilise ses fans aux dangers de texter au volant, ou lorsqu’il leur dit que « la vie c’est spécial, mais il ya des choses pires » avant de recommander une bonne alimentation et un mode de vie actif.

Avec 175 000 albums vendus en 20 ans de carrière, il parle à pas mal de monde. Et pas juste celles et ceux qui chantent « Le Québec c’est la place que j’ai choisie » une fois de temps en temps en roadtrip en Gaspésie. Il y a aussi ces gens qui se retrouvent dans ses textes plus sérieux.

Dans l’optique de rencontrer ses irréductibles fans, je suis embarqué dans Jeunesse rebelle, mon char en garde partagée, pour me rendre où tout allait (re)commencer : au Dagobert, club mythique de la ville de Québec, lieu de lancement du dernier album de Sir Pathétik.

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Un samedi soir sur Grande-Allée

J’ai vécu près de 23 ans à Québec et, pourtant, j’ai dû passer tout au plus 15 minutes au Dagobert, antre du nightlife en v-neck de la capitale. C’est que je fitte pas pantoute dans les clubs. Je ne digère pas la bière et j’y suis aussi awkward que Jean Leloup en prestation à Allo Boubou.

C’est donc un peu pour rattraper le temps perdu que j’arrive au Dagobert vers 21h, heure annoncée du spectacle. Une quinzaine de personnes chill dans la salle rosée où Sir Path est attendu. Oups, le party n’est pas encore pogné, me dis-je avant de me diriger vers une banquette dans le coin de la salle. On est censé faire quoi dans un club? Dois-je bumper sur ce que je pense être du Sean Paul?

Une serveuse vient me voir. Afin d’engourdir mon malaise grandissant, j’opte pour la stratégie « Hubert Lenoir » : deux verres de vin avant un show, histoire d’être plus dans le flow. La version dagoberoise du breuvage : un gin-tonic double, ou l’équivalent du tiers de mon salaire pour la soirée.

Il y a celles et ceux qui entraient au primaire quand Sir Path lançait son premier album solo, en 2003, et puis il y a les vieux et les vieilles de la veille

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Une heure passe, alors que je réalise progressivement que j’ai fait Montréal-Québec pour venir passer mon samedi soir seul dans un bar. L’idée était-elle meilleure que la chose en soi? J’en profite pour analyser un peu la foule, qui grossit au compte-goutte.

L’écart générationnel est évident : il y a celles et ceux qui entraient au primaire quand Sir Path lançait son premier album solo, en 2003, et puis il y a les vieux et les vieilles de la veille, qui lui sont toujours fidèle. Pas d’entre-deux. Deux univers, une même salle.

« On se rapproche, on se rapproche, Sir Pathétik arrive! », lance le DJ à la foule, qui avait, comme moi, opté pour la banquette. Une cinquantaine de personnes avance vers la scène en criant, alors qu’un Sir Pathétik un peu chaud arrive sur scène.

Retour dans le futur

Sir Path nous contemple un moment, comme pour mesurer le party qui l’attend. « Dans le temps, on descendait de Trois-Rivières pis on s’en allait au dag, la grosse patente », se remémore-t-il. Depuis, l’eau a coulé sous les ponts, et l’album Un dernier shooter, sorti en 2018, devait être son dernier.

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Mais lorsqu’il est retombé sur ses vieux textes, le rappeur s’est finalement dit… Pourquoi pas? « C’t’un ramassis de vieilles affaires qui sentent la boule à mites, qui sentent le jackstrap », rigole le vétéran.

C’est alors que le beat d’« Inédit », chanson-thème de l’album, démarre.

« Sul gros party, esti de gang de buzzés, pas d’matantes d’invitées, les brassières vont r’voler », rappe Sir Path à un auditoire composé en partie de personnes aujourd’hui en âge d’être des « matantes », et ce, sans que personne ne s’offusque. C’est des vieux textes, il l’a dit.

Je ne peux m’empêcher de chanter en cœur le refrain (« on est saouls comme une botte ») alors que je suis la personne la plus sobre dans la place. C’est catchy à sa manière, comme tous les gros succès de Sir Pathétik, d’ailleurs.

Il faut dire que j’ai quand même peur que Sir Path me call out. Le gars est clairement-là pour avoir un bon moment, et il ne se gêne pas pour dire aux personnes encore sur les banquettes « qu’ils ne sont pas à un show de Pierre Lapointe », avant d’imiter la danse du célèbre chanteur québécois.

À un moment, Sir Pathétik arrête son show pour lancer un « Toé, je t’aime ben » à un jeune homme en avant de la scène

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À l’opposé, ceux suffisamment sur le party courent la chance de se faire célébrer par le rappeur. À un moment, Sir Pathétik arrête son show pour lancer un « Toé, je t’aime ben » à un jeune homme en avant de la scène, avant de lui dire d’aller rejoindre sa femme dans une section « V.I.P. » improvisée.

Retrouvé après le spectacle, l’Élu me confiera être effectivement allé chiller dans la zone « familiale » du public, situé à l’avant-gauche de la scène, sans pour autant savoir quoi en penser. « Un dude baraqué m’a pris par les épaules et m’a dit : Toé, t’es cool, restes là », résume-t-il.

À la rencontre de la crowd

Lorsque Sir Path lance sa nouvelle « Fais dont ta cochonne », on croirait entendre un classique. Une gang de jeunes vingtenaires se déhanchent alors que le rappeur chante « parfois j’suis lost in my life, trop fou comme ton p’tit cul est nice ».

Le rappeur expliquera d’ailleurs que la toune a été inspirée de Cruising Bar 2, brisant ainsi mon interprétation sensible de l’oeuvre. Qu’importe, j’encaisse.

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À ce moment, je considère la soirée suffisamment avancée pour pouvoir piquer une jasette à des inconnus sans avoir l’air (trop) creepy. À ma droite, deux gars, qui n’avaient jamais entendu parler de Sir Path avant ce soir, trouvent ça « quand même solide, mais un peu vulgaire, quand même ».

Il faut dire qu’un peu plus tôt, notre rappeur préféré se prenait le paquet en expliquant que sa verge était, au repos, un banjo. Dans d’autres circonstances, elle pouvait cependant devenir une guitare basse. À bon entendeur.

Toujours à la recherche de témoignages inédits, je sors à l’extérieur rejoindre un petit groupe qui s’échange des clopes.

– Vous êtes-là pour Sir Pathétik?

– Quoi? Sir Pathétik est là???? C’tu une joke!!!!???

– Euuuh oui, ben je veux dire, non. Oui. En tout cas, il est là!

« En plus on vient de Trois-Rivières!!!!! » lance l’un d’eux, sa voix se perdant dans l’air frais de la nuit alors qu’il court déjà vers la porte du Dagobert. Bon. Au moins, j’aurai partagé la bonne nouvelle.

Je prends la défense du rappeur, rappelant qu’il mentionne sur Inédit être un « alcoolo de fin de semaine », et qu’on est samedi

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Un autre, qui sort du show, m’explique que Sir Path est un peu trop saoul à son goût, ce soir. Je prends la défense du rappeur, rappelant qu’il mentionne sur Inédit être un « alcoolo de fin de semaine », et qu’on est samedi.

Alors que je retourne vers la scène, je retrouve le rappeur en plein mea culpa : « Il y a une raison pourquoi il y a Pathétik dans mon nom », lance-t-il, faisant allusion à son goût pour la dérape. Ce que la foule lui pardonne.

Ah, et le voilà qui imite Éric Salvail (oui) qui danse. « J’espère que dans la vie, vous allez vous amuser », lance-t-il avant de terminer son spectacle par « Pour mon pays », moment où la dancefloor passe proche d’exploser. Définitivement, c’était the place to be.

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L’heure des bilans

Dans le line-up menant aux selfies avec Sir Pathétik, je jase avec une gang de gars dans la jeune vingtaine. « C’est une légende », me confie l’un. « C’est un meme vivant », renchérit l’autre. Je les questionne alors sur leur appréciation contradictoire de l’artiste : l’aiment-ils ironiquement, ou l’aiment-ils pour de vrai?

« J’aime ça un peu à la blague, mais en même temps, j’y ai fait un fist bump et ça a fait ma soirée », explique l’un d’entre eux. C’est à leur tour de poser avec Sir Pathétik. Ils me refilent un cellulaire, je prends le cliché et, sans avoir le temps de prononcer un mot, le rappeur disparait dans la brume du Dagobert.

Tout ça pour ça, dirait Loud. Mais c’est peut-être mieux ainsi.

Marchant vers la sortie, je me questionne sur le rapport d’appréciation complexe qu’entretient une partie de ma génération avec Sir Pathétik. Aimer ça « en niaisant », mais se retrouver à payer 15$ pour aller voir son show et turn up comme jamais. Hmmmmm.

« Oui. C’est pas ironique. Il a fait partie de ma jeunesse, et c’était vraiment cool de le voir en show ce soir »

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Je croise un gars avec deux copies physiques d’Inédit dans les mains. Quand je lui demande si son intérêt pour Sir Path est sincère, il réfléchit un moment. Son ami, en retrait, fait un petit mouvement de tête voulant dire « eeeeuh peut-être? »

Le principal intéressé tranche : « Oui. C’est pas ironique. Il a fait partie de ma jeunesse, et c’était vraiment cool de le voir en show ce soir ».

Je souris, satisfait. Je peux partir en paix. Je quitte le Dagobert et me retourne une ultime fois, avant de disparaitre, comme Sir Path, dans la brume de la nuit.

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