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Pour une raison que j’ignore, on me qualifie souvent de jeune femme « à la page » (ou l’on me hurle à l’oreille que j’suis ben à mode, mes osselets vibrant à l’infini de cette funeste remarque qui correspond à peu près au geste tendre qu’est celui de me sacrer un coup de poing dans la gorge). Ça me met une pression monstre. Parce que je ne suis pas dans le coup. Pantoute. En fait, je connais pas grand-chose de hip. Mais je porte des sapristi de grosses lunettes, ce qui, semble-t-il, pallie à mes écarts culturels.
Mais récemment, j’ai entendu l’appel de la coolitude.
L’appel du petit tapis de sol.
Pourtant, ces filles qui font halte au Parc Laurier avec, à leur épaule (une épaule qui SE MEURT de dire: « Je suis Geneviève Guérard »), ce fameux petit tapis de sol roulé serré avec sangle assortie, me rebutaient vraiment, jadis. Petit choc électrique à la colonne.
En fait, je crois que c’est la petite graine de fierté angus entre les palettes de chaque wannabe yogi qui se promène avec son kit Lululemon, poitrail galbé, qui me sablait les cornées. Mais c’est à force de faire des plaques rouges dans le cou à leur seule vue que j’ai su que quelque chose n’allait pas. Que je luttais contre l’inéluctable.
J’AVAIS ENVIE D’AVOIR UN KIT, moi aussi. Toute la patente.
Même les souliers sans-semelle avec plein de lacets inutiles qu’arboraient les deux mi-mûres que j’ai vues gambader au Mont Tremblant, il y a un mois. Oui. Je suis tellement pas à’ mode que parfois, je me ramasse à manger dans un restaurant à thématique du bayou (assise sous la pancarte sur laquelle on peut lire « Vous êtes tarés de manger icitte »), au sommet du mont, pour avoir le sentiment de vivre des affaires. Et c’est en dégustant mon gumbo que j’ai su que ça allait bientôt me coûter cher de leggings.
Une horde de 200 filles en pleine discipline se tenaient là, juste devant le resto, posture du guerrier assumée, aines aux quatre vents. Un genre de cour en plein air avec concentré d’Amazones furieusement dans le coup.
J’avais TANT le goût de les rejoindre.
Ça fait que je me suis mis le préjugé en berne et me suis inscrite à cette chouette école qu’il fait bon évoquer fort près d’une couronne de crevettes. Et 300 piastres de tapis « aubergine, la couleur de la saison » et de lycra plus tard, j’étais prête. Invincible comme dans une toune de Katy Perry.
Je rentre d’ailleurs à l’instant de mon premier cours initiatique. Ciel.
D’abord, en entrant dans ce qui correspond en tous points à l’idée que tu peux te faire d’un lieu de culte qui sent la menthe-verveine et l’asceptisé, tu comprends vite que t’as pas le droit de glousser ni de garder tes souliers bateau, ce qui, on va se le confier, t’écœure un peu. Mais t’obtempères. T’as arraché les étiquettes après tes leggings. T’as pu le choix.
C’est ainsi que j’ai passé une heure et quart à regarder notre prof, une ballerine aux pattes les plus tonifiées du grand Montréal, employer chaque damnée seconde que le bon Dieu lui allouait pour que je comprenne bien que je pourrais jamais mettre cette patte-là par-dessus ce jarret-là.
Mais je suis restée. Je suis du type qui insiste. Malgré l’odeur persistante de scampi qui régnait dans le local avec vue embuée sur le Mile-End. Envers et contre tous, j’allais l’avoir, mon corbeau (le corbeau étant une posture un peu celtique où tu te retrouves à t’accroupir sur ce qu’il te reste de dignité en tentant de te soulever la cochonaille de terre, en équilibre, sans sacrer le camp).
Ce que j’ai, évidemment, fait. De tout mon long.
Pour constater, une fois le faciès enfoncé dans la croûte terrestre, que c’était mon tapis cherrant, MON TAPIS NEUF, qui répandait cette odeur de mort dans le studio verni. T’sais, quand tu réalises que c’est toi qui pue. Ce moment-là. Mais comme ce moment-là n’était pas assez beau pour le cosmos, j’ai pris soin, dans ma chute (la chute la plus lente et impossiblement malaisante de toute l’histoire des chutes), de m’arracher, mais pas t’afaitte, un petit bout de pied. Bien en vue, à l’avant de la classe.
Bon. Quand tu t’arraches partiellement un bout de pied aux premières loges, t’as deux choix. Soit t’assumes, t’amputes (oui. C’est le petit visuel qui manquant à votre journée, je sais) et deviens officiellement et à jamais « le petit gars sale dans Charlie Brown » du cours; soit tu fais comme si rien de tout ça n’était arrivé. Ce que j’ai décidé de faire.
LE DÉNI. La pire des options.
Et 30 minutes restantes à gérer le fait que la prof me prenait constamment en exemple pour me virer la couenne à l’envers, petite peau voltigeant au rythme de mon pas-de-savoir et mon urgence de disparaître. Et l’impression que TOUT LE MONDE me fixait la pelure défaillante au cœur. La pire des options.
Nul besoin de mentionner qu’à la première syllabe annonciatrice de la fin du cours le plus long de ma vie, je me suis ruée dans mes mocassins, sensation pas le fun à la plante du pied, avec la ferme intention de me tenir à un rayon de 2 km de c’te classe-là, minimum.
Une fois dehors, j’ai remis mon tapis-marinara professionnellement roulé dans sa sangle sur mon épaule. L’ÉPIPHANIE. J’ai alors compris pourquoi toutes ces filles faisaient du yoga, même si le yoga, c’est pas tant le top. Avec ça sur l’épaule, en sacoche, tu deviens Queen Latifah. Queen Latifah avec un sundae. T’oublies ta vie de marde. Et soudainement, pour autrui, c’est toi, la ballerine aux grand’ pattes.
Ça fait que finalement, je vais peut-être rester à la page pour un petit boutte.
La bise.