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Je n’ai plus peur d’habiter seule. Je promène même ma chienne aux petites heures du matin sans jamais craindre qu’on m’assomme par derrière à coups de poêlonne. Mais il m’arrive encore de rêver à Chucky.
Oui. La poupée qui marche, parle et tue.
On la situe? On la situe (si on ne la situe pas encore, on peut se référer à l’image d’en-tête. Ce qui est bien, c’est que cette dernière se grave aisément sur la rétine pour ne plus jamais avoir à la resituer).
J’ai vu Jeu d’enfant à sa sortie en 1988. J’avais sept ans. Et j’avais aussi une mère très restrictive en matière de vues. Je ne saisis donc pas comment c’est arrivé, mais un beau soir d’août, à la brunante, ma mère a décidé que c’était une fichue de bonne idée d’aller au cinéparc avec ses filles, voir ce bon petit thriller pour enfants-là.
À la seconde où le film a commencé, assise sur ma mère à zieuter l’écran géant à travers le steering (c’est qu’en 88, j’étais semi-brave), j’ai immédiatement su que cette poupée-là allait me suivre longtemps. Et ça s’adonne qu’à cette époque précise, le top du top en matière de catins pour jeunes premières telles que moi, si vous vous souvenez bien, c’était la poupée Cricket. Vous savez, la poupée blonde et bouclée dans le derrière de laquelle vous sacriez un tape à cassette et qui parlait en se faisant aller les sourcils?
Ça vous revient à l’instant.
Eh bien Cricket, c’était la poupée de ma grande sœur. Et comme il n’était pas question que je passe un seul respire sans avoir la même affaire que ma sœur, ma famille avait coupé la poire en deux en m’offrant Corky. Le jeune frère rouquin de Cricket.
Vous faites le rapprochement? Vous faites le rapprochement.
Je n’avais, jusque-là, jamais été à l’aise avec les jouets qui me parlaient. D’abord séduite à l’idée d’avoir un Teddy Ruxpin à cassette (l’ourson en dessin animé qui avait un ami chenille orange), j’avais rapidement saisi le risque potentiellement élevé qu’un beau soir, Teddy se lève de sa chaise, grimpe sur ma maison de luminous et me déchiquette les entrailles en fredonnant des chansons sur la sécurité nautique.
Nul besoin de vous dire que quand Corky est débarqué dans ma chambre, c’est à peine si je respirais. Je m’assoyais sur mon lit, parmi les poupées hollandaises géantes que ma grand-mère m’avait rapportées de voyage (CETTE IDÉE D’OFFRIR DES POUPÉES HOLLANDAISES GÉANTES À UNE ENFANT) et je tâchais de ne pas croiser son regard de débonnaire rouquin.
J’avais beau fixer ma table à dessin, Corky, lui, me fixait.
On avait beau m’avoir offert le suit de l’espace (LE SUIT DE L’ESPACE) qui allait avec, Corky me fixait toujours.
Alors ce soir de cinéparc-là, même à travers les trous du volant, Chucky s’est taillé une place de choix dans mon cervelet, que dis-je, dans mon épiderme et ce, à tout jamais.
Je ne montais pas dans mon lit, je piquais une course à partir de la chambre de ma mère pour sauter dans le litte sans qu’une poupée meurtrière ne m’agrippe les pattes pour me mordre les jarrets au sang avec ses gencives en plastique.
Je ne descendais pas au sous-sol, je défiais la mort.
Chucky était partout. Mais surtout dans mes rêves.
C’est d’ailleurs le seul rêve récurrent que j’ai fait de ma vie.
Je ne rêvais jamais que je me retrouvais nu-fesses pour un exposé oral sur les cristaux ou que je volais comme un moineau. Moi, à sept ans, je rêvais régulièrement que je me faisais tuer par Chucky. Ou plutôt que je « passais proche de ».
Le scénario était le suivant: j’étais assise sur la banquette arrière du char crème de ma mère, elle-même au volant et ma sœur en co-pilote (les petites sœur s’assoient toujours derrière. Et comme j’étais pas futée futée, je m’assoyais toujours sur la petite bosse traître du milieu). Tout à coup, j’entendais du bruit dans la valise et là, je savais. Je savais parce que j’avais vécu le même rêve 12 000 fois avant, tout en ignorant que c’était un rêve.
Parce que quand je rêve, si tu m’annonces que je me prénomme Taffy et que je rentre à St-Arsène pour larcins en série (même si je me sais pertinemment une Catherine de baptistère et que je sais que ma place, dans ce monde, est partout SAUF dans un couloir à dealer du rince-crème à Bouba), je vais peut-être être un peu surprise, mais je vais te croire sur parole. COMME UNE LETTRE À LA POSTE.
J’haïs ben ça, mais quand je dors, je pense que je suis la coucou de service.
Celle qui a juste une dent et qui s’en sert jovialement pour ouvrir ses canisses de fèves de lima. Cette faculté de prendre les commandes de mes rêves, même les plus absurdes, je ne l’ai pas. Je crois tout, tout, mais viscéralement tout ce qui s’y passe et je vis l’émotion façon Actors Studio (mais avec juste une dent). Ça fait que si tu veux m’en passer une petite vite, attends que je m’assoupisse.
Mais revenons à ce cauchemar.
J’entends du bruit dans la valise et je crie à m’en fendre la glotte, mais personne ne m’entend parce que tout le monde ondule aux rythmes latins de John Secada. Je vois alors un petit bras calciné sortir lentement de la valise, longer ma joue, puis se diriger vers le devant de mon faciès crispé (Chucky termine le premier film brûlé comme un rôti. Ce qui ne l’empêchera pas d’avoir une scène de sexe avec une autre catin dans le 4 mais moi, mon rêve, il se passe dans le 1. * NO poupées qui frenchent avec des langues humaines involved in my goddamn rêve récurrent, thank you *).
Ce moment de petite main en plastique brûlé devant mon visage de fillette dure une éternité.
ET ÇA FINIT DE MÊME. Il ne se passe rien d’autre.
Je crie et Chucky se fait aller les moignons en silence jusqu’à ce que je me réveille, jointures fusionnées au drap contour.
Vingt-cinq ans plus tard, je fais encore ce rêve au moins une fois par année. Et chaque fois, le suspense est à son comble, comme si c’était la toute première fois qu’un jouet attentait à ma vie.
Quoi qu’avec le temps, dans mon rêve, je me sens plus calme qu’avant.
Plus apte à me faire tuer sereinement.
Pour l’amour du saint ciel, qu’est-ce que ça signifie?
Dans le dictionnaire des rêves, d’habitude, tu cherches « sécheuse », « agneau » et « poche de grains » et t’es en mesure de comprendre une partie de ce que ton subconscient essaie de te dire.
Mais nulle part n’explique-t-on ce que signifie « se faire tuer sereinement par une poupée qui a passé au feu ».
J’y ai encore rêvé, la nuit dernière.
Ça fait que je vais être prise avec cette enveloppante chansonnette dans la tête pour une couple de jours.
La bise.
PS TENDRESSE :: De rien.