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Je pense donc je suis Charlie

Par
David Azencot
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Hier, nous avons marché. Marché pour la liberté d’expression, marché contre l’antisémitisme et les tueurs de flics.

J’étais heureux et ému, comme des millions d’autres, de voir le peuple réagir et se lever. Mais je ne peux m’empêcher de me rappeler la phrase de Clemenceau à propos de Lyautey : « Il a des couilles au cul, même quand ce ne sont pas les siennes ».

En 2007, j’étais au « procès des caricatures de Mahomet » pour soutenir Charlie Hebdo. Nous n’étions pas tant que ça. Beaucoup de gens et d’autres journaux les accusaient de « jeter de l’huile sur le feu ».

Jeter de l’huile sur le feu. Cette expression m’a toujours énervé. Dans les années 90, pendant les massacres de Sarajevo, déjà, on ne voulait pas jeter de l’huile sur le feu, ou « ajouter la guerre à la guerre », pour reprendre les mots de Mitterrand, notre sub-claquant président, qui n’était conscient que quelques heures par jour.

Curieusement, c’est pourtant quand la France, sous la présidence de Jacques Chirac (oui, il est arrivé à Jacques Chirac de prendre quelques initiatives) et le Royaume-Uni ont pilonné les positions des extrémistes Serbes que les massacres ont cessé.

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En 2007, Lors du procès, la gêne des média comme des hommes politiques était palpable, même si François Hollande (oui, il est arrivé à François Hollande de prendre quelques initiatives) et Nicolas Sarkozy avaient témoigné en faveur de Charlie Hebdo.

Ne parlons pas de la gêne des grandes entreprises, qui ont toujours des intérêts à défendre, et qui possèdent souvent nos journaux. Denis Jeambar, directeur de L’Express en 2006, le rappelait, Serge Dassault, actionnaire majoritaire du magazine et marchand de canons, ne voulait-il pas vendre des jets militaires Rafale à quelques dictatures du Golfe Persique ?

Même certains humoristes « officiels », pourtant prompts à donner des leçons d’ouverture d’esprit et de courage politique, ne firent pas preuve de beaucoup de discernement.

Mais je ne jetterai pas d’huile sur le feu.

Aujourd’hui, c’est un autre élément de langage qu’on répète à l’envi : l’« amalgame ». Eh oui, on le sait, il ne faut pas faire d’amalgame.

L’amalgame, c’est ce que les dentistes mettent dans vos caries. Avant, on appelait ça un plombage. Le terme est sans doute mal choisi ces jours-ci. Je préfèrerais qu’on parle de discernement, de recul : oui, les musulmans français sont majoritairement des gens comme moi. Mais il ne suffit pas de brailler « pas d’amalgame » avant toute réflexion – et avant toute manifestation d’empathie pour les victimes – pour empêcher ce qui se passe de se passer.

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On criait aussi « pas d’amalgame » dès le 12 septembre 2001. Et 15 ans plus tard, on crie la même chose. Comme on a crié pendant des années « Front National, F comme Facho, N comme Nazi », pour les retrouver aux portes du pouvoir. C’est dire si cela est efficace.

J’entends ceux qui disent que les Musulmans n’ont pas à se désolidariser des actes des jihadistes. Charb lui-même le disait. Mais les Musulmans doivent se rendre compte de l’effort – oui, de l’effort – que cela demande aux non Musulmans de rester tolérants en toute circonstance. Autant que je le sache, les jihadistes ne crient pas « Vive les dinosaures » ou «Mon appartement est le plus grand ». Mais si c’était les cas, je pense que les paléontologues ou les agents immobiliers se sentiraient un peu concernés.

Que l’Islam soit une religion de paix, moi, je le sais. Ce sont les jihadistes qui ne le savent pas.

La tolérance, pour reprendre les mots de l’autre, est un sport de combat. Les quelques voix fortes de la communauté musulmane qui, inlassablement, parfois au péril de leur vie, condamnent chaque acte terroriste, chaque discours de haine de ceux qui lisent le Coran avec des yeux de myopes sont les bienvenues. C’est pour cela que j’ai été si heureux de découvrir sur twitter le hashtag « #notinmyname ». Et que j’oublie des hashtags moins rassurants.

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Je fais partie d’une génération biberonnée à « Touche Pas à Mon pote », Benetton, Black Blanc Beur… Une génération élevée par des parents ouverts au monde, par des progressistes qui croient toujours à une France moderne et plurielle. Mais qu’en sera-t-il des générations suivantes ? Des enfants d’aujourd’hui ? Seront-ils aussi ouverts que nos parents ou que nous-mêmes? Seront-ils aussi confiants ? Je crains fort que non. Mes amis professeurs, depuis des années, sont en 1e ligne face à l’intolérance, à ces mêmes enfants qui refusent une minute de silence en la mémoire des victimes, parce qu’elles l’avaient soit disant bien cherché.

Toutes les lois et tous les flics de France, toutes les fermetures de frontières ne serviront à rien sans l’éducation. Trop longtemps l’Education Nationale a fermé les yeux, le ministère minimisant ce qui remontait du terrain, les insultes antisémites, le fondamentalisme, le sexisme.

Cabu, Wolinski et les autres ont éduqué depuis des dizaines d’années leurs lecteurs à penser par eux-mêmes – et je ne parle pas de gober n’importe quelle théorie du complot sur internet.

La seule véritable religion qui vaille, c’est l’Éducation.

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On peut tirer des balles sur les jihadistes d’aujourd’hui. Pas sur ceux de demain.

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