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Je ne suis personne, moi non plus

Une réponse à <a href="http://urbania.ca/202000/je-ne-suis-personne/">Koriass</a>

Par
Charles Dionne
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Je me réveille toujours vers 7:00. Il faut se lever tôt pour changer le monde. J’éteins mon alarme, je me lève, je me tire une pisse. Je regarde ensuite ma pile de livres à lire. Elle grandit chaque fin de semaine après ma virée hebdomadaire à la librairie indépendante du coin. J’en ai lu trois déjà ce mois-ci. La connaissance, c’est ma passion. En plus, les femmes, les vraies, aiment ça les hommes qui savent entretenir une conversation, pas les innocents qui gémissent autour d’un match de hockey, une main sur la Bud, une main dans les bobettes. Je sors de mon bureau, mais je déjeune pas tout de suite, je vais arrêter à la petite pâtisserie qui vend des produits bios/équitables à côté de chez moi. Je parle à personne de mon spot. C’est mon secret le mieux gardé.

Je m’habille. J’me casse jamais vraiment la tête pour ça. Un t-shirt de la friperie, des jeans pis ma calotte Raised by Wolves avec la palette droite. Ça fait des années que j’porte la même, mais j’ai pas vraiment le goût d’en acheter une autre, elle est parfaite. Ça arrive que j’porte une chemise du Frank & Oak quand j’vais à une date, un beau carreauté turquoise, quelque chose de tape à l’oeil pour impressionner un peu, avec un peu de parfum. Mais à part ça, j’garde ça ben simple.

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J’ouvre Le Devoir, le vrai, format papier, avant de partir avec un petit allongé dans mon pot Mason. Ils parlent des injonctions à l’UQAM et de la Fondation 1625. Les tabarnaks. Si tu me donnais juste quelques heures avec ces maudits dretistes là, ce serait le supplice de la goutte d’eau. Oh non, misère. Là c’est Éric Duhaime. Lui j’suis juste pas capable. Un autre chroniqueur qui fait des émissions pas écoutables que tous les ignorants écoutent évidemment, un chroniqueur payé par le boss de Genex subventionné à l’os, tout ça avec MES taxes. Lui pis sa gang de retardés deluxe peuvent ben aller s’étouffer à Québec. Bon, ENFIN quelqu’un qui a de l’allure. Marie-Pierre Arthur. Elle je l’aime. Une chanteuse qui chante des bonnes tounes. Déposer les armes, Pourquoi, ça c’est du bon indie classique. D’habitude, j’aime mieux du Arcade Fire ou du We are Wolves, du indie sans concession comme à CISM, mais elle je l’aime ben dans son genre.

Toute sauf de l’esti de musique rock de douche de région.

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En plus Marie-Pierre Arthur, est belle. Une vraie femme qui a l’air indépendante et prête à sauver le monde, ça c’est sexy. Quand même un beau cul, aussi.

Je sors de mon 3 et demi sur Laurier et je monte sur mon fixie. Oui, même en hiver. Chaque geste compte. Chaque petit choix est important pour faire une différence. Je suis important. J’ai une petite hésitation à cause du froid, température ressentie -31 ce matin, au mois de mars. Mais je me fie aux faits. 2015 a été l’hiver le plus chaud de l’histoire. De quoi mettre ça dans la pipe des petits emmerdeurs qui nous cassent les oreilles avec leurs maudits doutes au sujet du réchauffement de la planète… Je fais ma part pour laisser un monde meilleur à mes enfants.

Bon. Je me décide à partir. C’est pas trop tôt est déjà commencé sur mon iPhone 6. Ils parlent de Carl Monette à l’émission du matin de CHOI FM. Lui je l’haïs, il dit de la junk. Récemment, il s’est fait suspendre une journée parce qu’il avait eu des propos sexistes. M’as te dire, il était temps. Y’a dit que les femmes étaient meilleures que les hommes dans le ménage. Comme je disais, il dit de la junk. Ma mère a travaillé tous les jours de sa vie. Mon père et elle se séparaient les tâches à la maison, comme des adultes éduqués.

C’est de même que c’est, les femmes et les hommes doivent vivre l’égalité en matière de tâches ménagères. L’inverse, c’est automatiquement sexiste. Réveillez!

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Pis Carl Monette, bien fait pour lui, se fait suspendre parce qu’il en parle. C’est un tout croche du câlice. Il était temps.

Là ils parlent de la grève étudiante. Eux autres, c’est mes héros. Ils défendent la démocratie même les poches vides. Pendant que leurs détracteurs se pognent le cul à une job que n’importe quel innocent pourrait faire avec un secondaire 3. Je me fends le cul à travailler pour payer leurs factures d’hôpital plus élevées que celles des diplômés universitaires. C’est connu, moins tu es éduqué, plus tu es con, plus tu es con, plus tu te ramasses à l’hôpital, plus je paie pour tes habitudes de vie d’ignorant. Et eux autres y se payent des belles petites vacances en se plaignant devant leur TV 125 pouces. Ils peuvent toute crever tant qu’à moi. Pis la petite qui s’est fait tirer du gaz fumigène à bout portant dans la face par un policier, c’est le sacrifice qu’on doit faire quand notre société est trop conne pour savoir reconnaître qu’on leur vole leurs droits fondamentaux. C’est sûr, EUX, ils se sont pas fait tirer dans la face ce jour là. Pourtant c’est EUX aussi qui se font dévaliser leurs services sociaux. C’est beau, laisse les étudiants défendre tes droits. De rien, criss de cave. Pis j’sais même pas pourquoi ils chialent de toute façon. Couillard va leur trouver un autre groupe à marginaliser avant les élections. Au moins, c’est pas Harper, mais on est pas loin. Quand c’était Marois par exemple, elle là… au moins elle était du bord des étudiants. On est en train de devenir une belle république de bananes. Les carrés verts, l’état qui disparaît, les emmerdeurs qui s’enfoncent dans leur sofa, PU CAPABLE. J’suis à veille de déménager en Suède. Là bas, au moins, ils ont de la job propre. C’est là qu’il est le gros cash propre et intelligent.

C’pas en voyageant en car2go qu’on va faire une vraie différence. Faut tout changer en profondeur. Comme dans les pays nordiques.

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J’arrête à la pâtisserie. Je commande deux croissants à la farine de kamut avec une confiture bio. Je fais un clin d’oeil à la petite caissière, est cute. Elle ressemble un peu à Sofia Copolla, la réalisatrice qui fait des films critiquant le monde du cinéma américain et la culture des enfants de riches. Elle, elle a compris comment on peut communiquer avec des attardés incapables de lire : avec des images en mouvement. C’est ben plus accessible. C’pas en rejouant 45 fois Hamlet au TNM qu’on va changer le monde.

J’arrive à ma job. J’ouvre Gmail à mon bureau, je vais dire salut à la gang dans la salle de réunion. Ils sont en train de te faire une maudite belle job sur un projet d’application mobile. Moi j’ai choisi le développement web parce que les projets importants passent inévitablement par le web aujourd’hui. J’ai toujours trippé sur les missions humanitaires et les inventions simples qui révolutionnent le fonctionnement des choses. Mais j’suis trop attaché à Montréal pour partir loin. Je suis resté ici et travaille dans une startup malade.

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L’heure du lunch. On est allé chercher une pizz végée du petit bistrot d’à côté. Esti qu’est délicieuse. Moi pis la gang on jase d’économie du partage, pis de fixie. On a hâte en s’il-vous-plait que l’été revienne pour ça, même si on en fait l’hiver. Pour moi, la vraie vie, c’est ça. Une journée de fixie entre chums, une bonne I.P.A. un peu tiède pis, en soirée, un bon article du Mouton Noir sur l’économie du partage. Je demande pas ben plus que ça pour être heureux honnêtement. À part peut-être une femme avec qui avoir des enfants qui poursuivront mes projets de changer le monde, des enfants à qui je pourrai dire : “tu vois, cette verdure dans les parcs et dans les rues, c’est un peu ta mère et moi qui l’avons sauvée”. Mon oncle me disait toujours: “Fais pas comme moi, choisis l’amour.” Y’avait toujours des bons conseils. Le dîner se termine, j’me branle dans les toilettes en checkant une vidéo de porn sur mon cell avant de recommencer. Je fais ça de temps en temps, je fais semblant d’aller chier pis j’me passe un well’ en regardant des Suicide Girls. Ça me détend pis j’suis relax pour le reste de la journée.

Journée enfin finie, productive, comme je les aime.

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Je m’en vais au gym, question de faire un peu de crossfit light pis de travailler mes intervalles. Je me check dans le miroir du vestiaire après, je m’en viens pas pire pantoute. Je me lave, faut que j’me grouille parce que j’ai une date ce soir.

J’me suis fait matcher, j’haïs ça pour mourir d’habitude, mais j’fais confiance à mon chum Fabrice. C’est une amie de sa blonde, y parait qu’elle a de l’allure pas mal. Elle est technicienne en laboratoire (une job qui sonne importante pour l’avancement de la société) pis elle a une tête sur les épaules. Ça fait longtemps que j’suis célibataire, me semble qu’y serait temps de me caser avec une belle femme. De l’amour régulier chaque semaine et quelqu’un avec qui partager mon panier de légumes ce serait pas pire.

Je l’ai invitée au Bouillon Bilk, pour moi c’est le top des restos de Montréal, dans le Quartier des spectacles. D’la bonne cuisine avant-gardiste pis une pas pire ambiance. Une place ben sharp. Je suis certain que Duhaime a jamais mangé-là. Y doit toujours manger au St-Hubert. J’ai mis ma chemise carreautée turquoise du Frank & Oak, pis j’ai fait un effort, j’me suis mis un peu de pommade faite à la main dans les cheveux et de l’huile spécialement pour la barbe. J’ai pas mis ma casquette.

J’ai même mis mes souliers propres cuivrés pas trop pointus.

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Quand elle arrive, je suis déjà assis. Elle est cute. Elle manque un peu de formes à mon goût, mais est pas pire pareil. Je me lève et j’y donne 2 becs, je tire sa chaise. Pour moi, c’est naturel d’être galant. On commande du vin, je le choisis, je connais tellement ça, ça serait niaiseux de ne pas utiliser mes connaissances. Je ne veux pas trop la prendre en charge. C’est juste que j’aime bien boire. On jase un peu. Elle me parle de sa job, de ses passions, elle commence à me parler de romans policiers, de téléséries, du chalet de sa famille dans le Nord, ouf. Je me rends compte qu’elle n’a pas de diplôme universitaire… Elle me parle de IMA, de groupes techno quétaines, de ses convictions en matière de pensées positives, d’à quel point elle méprise la position hautaine de Québec Solidaire, de la valeur sacrée du mariage entre un homme et une femme, un peu rushante la fille.

Si je voulais une date avec une fille qui écoute La Voix, je serais resté à Pointe-aux-Trembles au lieu d’aller au cégep!

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Le souper devient long en esti. Elle semble pas trop intéressée par ce que je dis, pis tout ce qu’elle ajoute maintenant lui donne l’air d’une innocente enragée. Je demande la facture, je paye, je lui dis adieu et je décâlice. J’vais te dire que Fabrice va entendre parler de moi direct sur Facebook quand je vais arriver chez nous, me matcher avec une folle de même…

Je reviens chez moi, y’est juste 9h30. J’vais me mettre un petit documentaire avant de me coucher. Citizenfour sur l’affaire Snowden. Je le check en mangeant des chips de kale. Je check mon film en grignotant, pis j’suis ben. Je ne pense à rien. Je suis juste ben. J’ai pas besoin de remettre quoi que ce soit en question, jamais, parce qu’il y a des documentaires pour faire ça à ma place.

Mes affaires. Mon fixie. Ma job. Mon appart. Mes économies. Mes produits santé. Mes taxes. Mon abonnement à Nouveau Projet. Mes chums. Mes films. Mon cul. Mon vin. Ma pâtisserie de produits bios/équitables.

Je suis confortablement engourdi, installé dans mes certitudes, comme dans un énorme Lay-Z-Boy duquel je n’ai aucunement envie de me lever. Pas question de m’étirer pour aller chercher la manette, le film de la vie est devant mes yeux, et c’est exactement ce que je veux voir. Un film dans lequel je change le monde chaque jour un peu plus, parce que je suis important. Aucune chance que je prenne le moindre vrai risque, que je me mette vraiment à la place des autres, que j’enfonce mes mains propres dans la vraie marde, que je trouve le courage de discuter pour vrai, de desserrer les poings et la mâchoire deux secondes.

Je ne suis rien. Je n’ai pas de visage.

Je ne suis personne.

Et c’est ben correct de même.

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