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Je ne suis personne, moi non plus
Je me rĂ©veille toujours vers 7:00. Il faut se lever tĂŽt pour changer le monde. JâĂ©teins mon alarme, je me lĂšve, je me tire une pisse. Je regarde ensuite ma pile de livres Ă lire. Elle grandit chaque fin de semaine aprĂšs ma virĂ©e hebdomadaire Ă la librairie indĂ©pendante du coin. Jâen ai lu trois dĂ©jĂ ce mois-ci. La connaissance, câest ma passion. En plus, les femmes, les vraies, aiment ça les hommes qui savent entretenir une conversation, pas les innocents qui gĂ©missent autour dâun match de hockey, une main sur la Bud, une main dans les bobettes. Je sors de mon bureau, mais je dĂ©jeune pas tout de suite, je vais arrĂȘter Ă la petite pĂątisserie qui vend des produits bios/Ă©quitables Ă cĂŽtĂ© de chez moi. Je parle Ă personne de mon spot. Câest mon secret le mieux gardĂ©.
Je mâhabille. Jâme casse jamais vraiment la tĂȘte pour ça. Un t-shirt de la friperie, des jeans pis ma calotte Raised by Wolves avec la palette droite. Ăa fait des annĂ©es que jâporte la mĂȘme, mais jâai pas vraiment le goĂ»t dâen acheter une autre, elle est parfaite. Ăa arrive que jâporte une chemise du Frank & Oak quand jâvais Ă une date, un beau carreautĂ© turquoise, quelque chose de tape Ă lâoeil pour impressionner un peu, avec un peu de parfum. Mais Ă part ça, jâgarde ça ben simple.
Jâouvre Le Devoir, le vrai, format papier, avant de partir avec un petit allongĂ© dans mon pot Mason. Ils parlent des injonctions Ă lâUQAM et de la Fondation 1625. Les tabarnaks. Si tu me donnais juste quelques heures avec ces maudits dretistes lĂ , ce serait le supplice de la goutte dâeau. Oh non, misĂšre. LĂ câest Ăric Duhaime. Lui jâsuis juste pas capable. Un autre chroniqueur qui fait des Ă©missions pas Ă©coutables que tous les ignorants Ă©coutent Ă©videmment, un chroniqueur payĂ© par le boss de Genex subventionnĂ© Ă lâos, tout ça avec MES taxes. Lui pis sa gang de retardĂ©s deluxe peuvent ben aller sâĂ©touffer Ă QuĂ©bec. Bon, ENFIN quelquâun qui a de lâallure. Marie-Pierre Arthur. Elle je lâaime. Une chanteuse qui chante des bonnes tounes. DĂ©poser les armes, Pourquoi, ça câest du bon indie classique. Dâhabitude, jâaime mieux du Arcade Fire ou du We are Wolves, du indie sans concession comme Ă CISM, mais elle je lâaime ben dans son genre.
Toute sauf de lâesti de musique rock de douche de rĂ©gion.
En plus Marie-Pierre Arthur, est belle. Une vraie femme qui a lâair indĂ©pendante et prĂȘte Ă sauver le monde, ça câest sexy. Quand mĂȘme un beau cul, aussi.
Je sors de mon 3 et demi sur Laurier et je monte sur mon fixie. Oui, mĂȘme en hiver. Chaque geste compte. Chaque petit choix est important pour faire une diffĂ©rence. Je suis important. Jâai une petite hĂ©sitation Ă cause du froid, tempĂ©rature ressentie -31 ce matin, au mois de mars. Mais je me fie aux faits. 2015 a Ă©tĂ© lâhiver le plus chaud de lâhistoire. De quoi mettre ça dans la pipe des petits emmerdeurs qui nous cassent les oreilles avec leurs maudits doutes au sujet du rĂ©chauffement de la planĂšte⊠Je fais ma part pour laisser un monde meilleur Ă mes enfants.
Bon. Je me dĂ©cide Ă partir. Câest pas trop tĂŽt est dĂ©jĂ commencĂ© sur mon iPhone 6. Ils parlent de Carl Monette Ă lâĂ©mission du matin de CHOI FM. Lui je lâhaĂŻs, il dit de la junk. RĂ©cemment, il sâest fait suspendre une journĂ©e parce quâil avait eu des propos sexistes. Mâas te dire, il Ă©tait temps. Yâa dit que les femmes Ă©taient meilleures que les hommes dans le mĂ©nage. Comme je disais, il dit de la junk. Ma mĂšre a travaillĂ© tous les jours de sa vie. Mon pĂšre et elle se sĂ©paraient les tĂąches Ă la maison, comme des adultes Ă©duquĂ©s.
Câest de mĂȘme que câest, les femmes et les hommes doivent vivre lâĂ©galitĂ© en matiĂšre de tĂąches mĂ©nagĂšres. Lâinverse, câest automatiquement sexiste. RĂ©veillez!
Pis Carl Monette, bien fait pour lui, se fait suspendre parce quâil en parle. Câest un tout croche du cĂąlice. Il Ă©tait temps.
LĂ ils parlent de la grĂšve Ă©tudiante. Eux autres, câest mes hĂ©ros. Ils dĂ©fendent la dĂ©mocratie mĂȘme les poches vides. Pendant que leurs dĂ©tracteurs se pognent le cul Ă une job que nâimporte quel innocent pourrait faire avec un secondaire 3. Je me fends le cul Ă travailler pour payer leurs factures dâhĂŽpital plus Ă©levĂ©es que celles des diplĂŽmĂ©s universitaires. Câest connu, moins tu es Ă©duquĂ©, plus tu es con, plus tu es con, plus tu te ramasses Ă lâhĂŽpital, plus je paie pour tes habitudes de vie dâignorant. Et eux autres y se payent des belles petites vacances en se plaignant devant leur TV 125 pouces. Ils peuvent toute crever tant quâĂ moi. Pis la petite qui sâest fait tirer du gaz fumigĂšne Ă bout portant dans la face par un policier, câest le sacrifice quâon doit faire quand notre sociĂ©tĂ© est trop conne pour savoir reconnaĂźtre quâon leur vole leurs droits fondamentaux. Câest sĂ»r, EUX, ils se sont pas fait tirer dans la face ce jour lĂ . Pourtant câest EUX aussi qui se font dĂ©valiser leurs services sociaux. Câest beau, laisse les Ă©tudiants dĂ©fendre tes droits. De rien, criss de cave. Pis jâsais mĂȘme pas pourquoi ils chialent de toute façon. Couillard va leur trouver un autre groupe Ă marginaliser avant les Ă©lections. Au moins, câest pas Harper, mais on est pas loin. Quand câĂ©tait Marois par exemple, elle là ⊠au moins elle Ă©tait du bord des Ă©tudiants. On est en train de devenir une belle rĂ©publique de bananes. Les carrĂ©s verts, lâĂ©tat qui disparaĂźt, les emmerdeurs qui sâenfoncent dans leur sofa, PU CAPABLE. Jâsuis Ă veille de dĂ©mĂ©nager en SuĂšde. LĂ bas, au moins, ils ont de la job propre. Câest lĂ quâil est le gros cash propre et intelligent.
Câpas en voyageant en car2go quâon va faire une vraie diffĂ©rence. Faut tout changer en profondeur. Comme dans les pays nordiques.
JâarrĂȘte Ă la pĂątisserie. Je commande deux croissants Ă la farine de kamut avec une confiture bio. Je fais un clin dâoeil Ă la petite caissiĂšre, est cute. Elle ressemble un peu Ă Sofia Copolla, la rĂ©alisatrice qui fait des films critiquant le monde du cinĂ©ma amĂ©ricain et la culture des enfants de riches. Elle, elle a compris comment on peut communiquer avec des attardĂ©s incapables de lire : avec des images en mouvement. Câest ben plus accessible. Câpas en rejouant 45 fois Hamlet au TNM quâon va changer le monde.
Jâarrive Ă ma job. Jâouvre Gmail Ă mon bureau, je vais dire salut Ă la gang dans la salle de rĂ©union. Ils sont en train de te faire une maudite belle job sur un projet dâapplication mobile. Moi jâai choisi le dĂ©veloppement web parce que les projets importants passent inĂ©vitablement par le web aujourdâhui. Jâai toujours trippĂ© sur les missions humanitaires et les inventions simples qui rĂ©volutionnent le fonctionnement des choses. Mais jâsuis trop attachĂ© Ă MontrĂ©al pour partir loin. Je suis restĂ© ici et travaille dans une startup malade.
Lâheure du lunch. On est allĂ© chercher une pizz vĂ©gĂ©e du petit bistrot dâĂ cĂŽtĂ©. Esti quâest dĂ©licieuse. Moi pis la gang on jase dâĂ©conomie du partage, pis de fixie. On a hĂąte en sâil-vous-plait que lâĂ©tĂ© revienne pour ça, mĂȘme si on en fait lâhiver. Pour moi, la vraie vie, câest ça. Une journĂ©e de fixie entre chums, une bonne I.P.A. un peu tiĂšde pis, en soirĂ©e, un bon article du Mouton Noir sur lâĂ©conomie du partage. Je demande pas ben plus que ça pour ĂȘtre heureux honnĂȘtement. Ă part peut-ĂȘtre une femme avec qui avoir des enfants qui poursuivront mes projets de changer le monde, des enfants Ă qui je pourrai dire : âtu vois, cette verdure dans les parcs et dans les rues, câest un peu ta mĂšre et moi qui lâavons sauvĂ©eâ. Mon oncle me disait toujours: âFais pas comme moi, choisis lâamour.â Yâavait toujours des bons conseils. Le dĂźner se termine, jâme branle dans les toilettes en checkant une vidĂ©o de porn sur mon cell avant de recommencer. Je fais ça de temps en temps, je fais semblant dâaller chier pis jâme passe un wellâ en regardant des Suicide Girls. Ăa me dĂ©tend pis jâsuis relax pour le reste de la journĂ©e.
Journée enfin finie, productive, comme je les aime.
Je mâen vais au gym, question de faire un peu de crossfit light pis de travailler mes intervalles. Je me check dans le miroir du vestiaire aprĂšs, je mâen viens pas pire pantoute. Je me lave, faut que jâme grouille parce que jâai une date ce soir.
Jâme suis fait matcher, jâhaĂŻs ça pour mourir dâhabitude, mais jâfais confiance Ă mon chum Fabrice. Câest une amie de sa blonde, y parait quâelle a de lâallure pas mal. Elle est technicienne en laboratoire (une job qui sonne importante pour lâavancement de la sociĂ©tĂ©) pis elle a une tĂȘte sur les Ă©paules. Ăa fait longtemps que jâsuis cĂ©libataire, me semble quây serait temps de me caser avec une belle femme. De lâamour rĂ©gulier chaque semaine et quelquâun avec qui partager mon panier de lĂ©gumes ce serait pas pire.
Je lâai invitĂ©e au Bouillon Bilk, pour moi câest le top des restos de MontrĂ©al, dans le Quartier des spectacles. Dâla bonne cuisine avant-gardiste pis une pas pire ambiance. Une place ben sharp. Je suis certain que Duhaime a jamais mangĂ©-lĂ . Y doit toujours manger au St-Hubert. Jâai mis ma chemise carreautĂ©e turquoise du Frank & Oak, pis jâai fait un effort, jâme suis mis un peu de pommade faite Ă la main dans les cheveux et de lâhuile spĂ©cialement pour la barbe. Jâai pas mis ma casquette.
Jâai mĂȘme mis mes souliers propres cuivrĂ©s pas trop pointus.
Quand elle arrive, je suis dĂ©jĂ assis. Elle est cute. Elle manque un peu de formes Ă mon goĂ»t, mais est pas pire pareil. Je me lĂšve et jây donne 2 becs, je tire sa chaise. Pour moi, câest naturel dâĂȘtre galant. On commande du vin, je le choisis, je connais tellement ça, ça serait niaiseux de ne pas utiliser mes connaissances. Je ne veux pas trop la prendre en charge. Câest juste que jâaime bien boire. On jase un peu. Elle me parle de sa job, de ses passions, elle commence Ă me parler de romans policiers, de tĂ©lĂ©sĂ©ries, du chalet de sa famille dans le Nord, ouf. Je me rends compte quâelle nâa pas de diplĂŽme universitaire⊠Elle me parle de IMA, de groupes techno quĂ©taines, de ses convictions en matiĂšre de pensĂ©es positives, dâĂ quel point elle mĂ©prise la position hautaine de QuĂ©bec Solidaire, de la valeur sacrĂ©e du mariage entre un homme et une femme, un peu rushante la fille.
Si je voulais une date avec une fille qui Ă©coute La Voix, je serais restĂ© Ă Pointe-aux-Trembles au lieu d’aller au cĂ©gep!
Le souper devient long en esti. Elle semble pas trop intĂ©ressĂ©e par ce que je dis, pis tout ce quâelle ajoute maintenant lui donne lâair dâune innocente enragĂ©e. Je demande la facture, je paye, je lui dis adieu et je dĂ©cĂąlice. Jâvais te dire que Fabrice va entendre parler de moi direct sur Facebook quand je vais arriver chez nous, me matcher avec une folle de mĂȘmeâŠ
Je reviens chez moi, yâest juste 9h30. Jâvais me mettre un petit documentaire avant de me coucher. Citizenfour sur lâaffaire Snowden. Je le check en mangeant des chips de kale. Je check mon film en grignotant, pis jâsuis ben. Je ne pense Ă rien. Je suis juste ben. Jâai pas besoin de remettre quoi que ce soit en question, jamais, parce quâil y a des documentaires pour faire ça Ă ma place.
Mes affaires. Mon fixie. Ma job. Mon appart. Mes économies. Mes produits santé. Mes taxes. Mon abonnement à Nouveau Projet. Mes chums. Mes films. Mon cul. Mon vin. Ma pùtisserie de produits bios/équitables.
Je suis confortablement engourdi, installĂ© dans mes certitudes, comme dans un Ă©norme Lay-Z-Boy duquel je nâai aucunement envie de me lever. Pas question de mâĂ©tirer pour aller chercher la manette, le film de la vie est devant mes yeux, et câest exactement ce que je veux voir. Un film dans lequel je change le monde chaque jour un peu plus, parce que je suis important. Aucune chance que je prenne le moindre vrai risque, que je me mette vraiment Ă la place des autres, que jâenfonce mes mains propres dans la vraie marde, que je trouve le courage de discuter pour vrai, de desserrer les poings et la mĂąchoire deux secondes.
Je ne suis rien. Je nâai pas de visage.
Je ne suis personne.
Et câest ben correct de mĂȘme.
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