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Je ne me suis jamais protégée

C'est le nouveau Petit manuel des IST de SOS Homophobie qui me le rappelle.

Par
Daisy Le Corre
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C’est une bonne nouvelle : SOS Homophobie a mis en ligne « Sur le bout des lèvres », un petit manuel des infections sexuellement transmissibles entre personnes ayant une vulve. À l’intérieur, on retrouve des infos sur les pratiques contaminantes, les différentes ITSS (en France on utilise IST pour « infections sexuellement transmises », au Québec, c’est plutôt ITS ou ITSS pour « infections transmissibles sexuellement et par le sang »), leurs symptômes, le dépistage, les moyens de prévention pour prendre soin de sa santé et vivre une sexualité sans risque. Il était temps ! Mon « moi » de 15 ans jubile : enfin, ma sexualité est prise au sérieux. Mon « moi » actuel, lui, éprouve un certain malaise face à mes anciennes habitudes en matière de santé sexuelle. Je vous explique.

Mine de rien, ce petit PDF d’une vingtaine de pages m’a rappelé ce que j’avais tenté d’occulter depuis pas mal de temps : je ne me suis jamais protégée avec aucune de mes partenaires sexuelles, d’un soir parfois. La vérité, c’est que je n’ai jamais mis de capotes sur aucun gode ni aucun doigt. J’ai utilisé une digue dentaire une fois dans ma vie, surtout pour raconter ensuite sur un média combien c’était compliqué à trouver.

« “Je me protège donc je suis”. Nous aussi, on sait se transmettre des saloperies de microbes, d’abord. »

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La magie d’internet et des boîtes mails fait que j’ai retrouvé l’article que j’avais écrit à l’époque sur le sujet. Morceau choisi : « Pour ma part, c’est à 16 ans que j’ai prononcé pour la première fois le mot « digue dentaire ». Après une folle nuit d’amour, j’ai été prise d’une méchante crise de jalousie. Une crise de jalousie bien particulière contre celles et ceux qui avaient les moyens de se protéger, sexuellement parlant. Ras les ovaires d’entendre parler de « capotes » à tout va. Dans ma tête d’ado homo, j’avais une folle envie de me protéger ne serait-ce que pour prouver qu’on existait, qu’on ne faisait pas que se frotter approximativement nos baggys trop grands et qu’on ne se touchait pas que les avant-bras. « “Je me protège donc je suis”. Nous aussi, on sait se transmettre des saloperies de microbes, d’abord. »

À l’époque (2004), je me souviens que j’avais utilisé le meilleur moyen au monde pour parvenir à mes fins (= me protéger des ITSS) : internet. Après avoir posé toutes mes questions à Mme Google : « lesbienne protection foufoune » + « maladies lesbiennes clito en feu » + « cunnilingus protection aidez-moi je vous en supplie » + « foufoune de lesbienne en détresse », etc. Et après avoir traqué tous les forums gays et lesbiens, j’avais enfin trouvé ce que je cherchais. J’ai relu trois fois à haute voix : « -Digue dentaire, c’est quoi ce truc ? -Digue dentaire… -Digue dentaiiiiire ». Quelques jours plus tard, pas loin de chez moi en banlieue parisienne, je m’empressais d’aller à la pharmacie du coin.

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A l’époque, je croyais internet sur parole. « Vous pouvez vous procurer des digues dentaires en pharmacie ». Et là… J’aurais demandé un Elixir Cérébral de Baruffio (non, Harry n’est pas gay) à la pharmacienne, elle m’aurait sûrement lancé le même regard déconfit.

-UNE DIGUE DENTAIRE ? Mais ça sert à quoi exactement ? C’est pour les gencives, c’est ça ?

-Heu.. mais… chut (*parle moins fort connasse*)… heu… pfff… bon filez-moi une brosse à dents, ça sera parfait…

-Dure ou molle ?

Au final, je me suis cassée avant qu’elle ne me pose plus de questions et que tout le quartier soit au courant de l’état de mes gencives.

Mais je n’avais pas dit mon dernier mot. Sur internet, encore et toujours, j’avais lu qu’on pouvait aussi se procurer des digues dentaires dans des sex shop. Seul souci, j’avais 16 ans, il en fallait 18 pour acheter quelque chose dans ce genre de boutiques. Après négociation avec une amie cougar (6 mois de plus à cet âge-là, c’est énorme), j’étais partie à l’assaut de Paris à la recherche de mon Graal à moi. « Tu cherches peut-être des abeilles suceuses, ma jolie ? Je suis une très gentille abeille moi tu sais… ». Des phéromones par milliers, des néons jaunâtres qui clignotent pour te faire peur, un vendeur qui sait que tu n’as pas 18 ans et le groupe Kyo qui passe dans la rue d’en face (véridique), MAIS PAS une seule foutue digue dentaire dans les parages.

Disons que j’aurais pu choper dix fois le papillomavirus entre mon premier orgasme et la sortie du manuel.

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Alors, à force de rentrer bredouille, j’ai développé un sens aigu de la débrouille (aidée par les forums web ô combien instructifs) et du made in moi-même. Au secours. C’est donc à ce moment-là que j’ai utilisé un préservatif pour la première fois. Enfin, « utiliser » est un grand mot. J’ai suivi les instructions pour me tailler une digue dentaire digne de ce nom:

1. Sortez le préservatif de son emballage.
2. Déroulez-le.
3. Coupez les deux extrémités avec les ciseaux.
4. Coupez le tuyau ainsi obtenu dans le sens de la longueur.
5. C’est prêt !

Je vous laisse imaginer la suite. La digue dentaire en mode DIY n’était pas, disons, si simple à utiliser.

Bien entendu, comme ça reste une option accessible pour se protéger, les instructions se retrouvent encore aujourd’hui dans le Petit manuel de SOS Homophobie qui, au passage, a été imprimé pour la première fois en… 2014.

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« Ce petit manuel est une réédition actualisée, complétée et plus inclusive de la brochure Petit manuel sur les infections sexuellement transmissibles entre femmes. A notre connaissance, il n’existe pas d’autre manuel de ce genre à destination spécifiquement des personnes ayant une vulve et ayant des relations sexuelles avec une ou des personnes en disposant également. Ces personnes sont les grandes oubliées des campagnes de prévention et ne disposent que de très peu de ressources d’informations. L’idée reçue d’une absence de risques de contaminations ou de transmission des IST en est une des grandes responsables. Sur le sujet, il y a certaines idées reçues qui sont encore véhiculées par certain.e.s professionnel.le.s de santé », m’ont confié Lucile et Sophie, coordonnatrices du projet. « Beaucoup d’entre elles n’ont pas de suivi médical par peur de faire leur coming out et/ou de subir de l’homophobie ou de la transphobie » Elles m’ont aussi appris que, contrairement à la précédente édition, cette version inclut (enfin) les personnes ayant des organes génitaux dits féminins, mais qui ne se reconnaissent pas comme femmes. Les femmes trans sont, quant à elles, redirigées vers des brochures en adéquation avec les problématiques qu’elles peuvent rencontrer, qu’elles disposent ou non d’un néo-vagin. « Les niveaux de risques, les symptômes attribuables aux IST, ainsi que les pratiques peuvent être différents. Inclure les femmes trans serait leur donner de fausses informations », m’ont expliqué les deux coordonnatrices parfois confrontées aux reproches de la communauté trans à l’égard du manuel. « Voici les deux liens de redirection que nous donnons pour les femmes trans : celui de l’association Chrysalide (Lyon, France) et celui de l’association CATIE (Canada) ».

Si l’objectif final de cette brochure est de faire savoir aux personnes concernées que des moyens de prévention existent (même en 2021, tout le monde n’est pas au courant, loin de là), l’autre ambition est de taille : que les personnes LBT+ se fassent enfin suivre médicalement. « Beaucoup d’entre elles n’ont pas de suivi médical par peur de faire leur coming out et/ou de subir de l’homophobie ou de la transphobie », lance les coordonnatrices qui, sans le savoir, me rafraîchissent la mémoire. Il n’est pas si loin le temps où, prise de démangeaisons là où vous savez, j’ai préféré y remédier moi-même (!) avant de finir aux urgences, l’abricot en sang. « Mais pourquoi tu n’es pas allée voir un médecin avant ?? », m’a lancé ma mère, outrée, incapable de mesurer le poids d’un coming out forcé face à son médecin de famille. Enfin, si jamais ce n’était pas assez clair, ce genre de brochure lancée par SOS Homophobie sert aussi et surtout à rappeler l’importance – parfois vitale – du dépistage. « Un dépistage régulier réduit les complications possibles et a un impact direct sur les risques que l’on fait prendre à sa/son/ses partenaires. »

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Mieux vaut prévenir que guérir. Et c’est nécessaire, encore aujourd’hui, de le répéter.