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Je n’aurai jamais vu les B.B

Plus jeune, Hugo Mudie écoutait les B.B. non-stop dans son Walkman turquoise. Il les trouvais «badass».

Par
Hugo Mudie
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Je n’ai jamais vu les B.B en show. Quand je fréquentais l’école Entramis de Repentigny, j’écoutais le groupe non-stop dans mon walkman turquoise. Je les trouvais badass. J’étais assez précoce en matière de musique et très jeune j’écoutais ma propre musique. Pas celles de mes parents. Mon père m’avait amené au Discus, aux Galeries Rive-Nord et j’avais instinctivement choisi une cassette de Twisted Sister. Les cheveux longs, le logo, le nom des tounes. Le mot « rock » lui-même sonnait cool à mes oreilles. Comme si dans une de mes vies précédentes j’avais déjà vibré au son d’un gros riff de AC/DC. Comme si j’avais déjà frenché dans un sous-sol emboucané dans le noir avec une Marjo. Y’a des choses comme ça qui sont ancrées dans notre ADN.

Je tripais sur Bon Jovi et Poison à l’âge de 7-8 ans. Au Québec c’était plus rough. Y’avait pas grand-chose d’aussi cool. Fallait se ranger derrière les cassettes de nos parents. Claude Barzotti à été mon bouche-trou.

Vers la même époque sont apparus Vilain Pingouin et les B.B. Les premiers étaient un peu plus punk, les deuxièmes un peu plus pop. Mais ça le faisait pour l’enfant de 10 ans que j’étais. Ma plus vieille cousine Sophie disait avec un mélange de fierté et de dégout que j’étais un « poil ». Elle m’a quand même donné mon premier tape des B.B à Noël. Ma tante Chantal, elle, m’a offert celle de Vilain Pingouin.

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Patrick Bourgeois était beau en criss. Des gènes en or. Un sourire à faire fondre n’importe quelle madame. J’aspirais à être beau de même, mais la génétique était pas de mon bord. Au pire, j’allais me rabattre sur les cheveux longs, les boucles d’oreilles qui pendent, les chemises multicolores, les trous dans les jeans. Le style peut tout arranger. Féminin et viril en même temps. La célébration du romantisme. La camaraderie entre les boys d’un groupe de musique.

La future vedette des Flyers de Philadelphie que j’étais à l’époque se disait que si pour une improbable raison, ma carrière de hockeyeur ne marchait pas, j’allais me rabattre sur la musique. J’allais être Patrick Bourgeois ou Rudy Caya. Un mix des deux tiens.

Les B.B sont venus à l’aréna de Repentigny en 1990. L’endroit que j’ai le plus fréquenté entre cinq et dix-sept ans. Mon ami Jonathan y allait avec son frère. On avait onze ans. J’ai demandé à mes parents. Ma mère voulait, mais mon père ne voulait pas. Aucune chance. C’était pas une question d’argent (le show coûtait juste 10 $). J’allais pas aller « bummer » dans un show de musique. La même raison qu’il me donnait pour m’empêcher d’aller chiller au centre d’achats. « Bummer » au centre d’achat qu’il disait.

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Maintenant que je suis parent, je comprends peut-être le fait d’avoir peur qu’il arrive quelque chose à mes enfants en les laissant aller dans un évènement public sans moi, mais un show des B.B à Repentigny devait pas être l’affaire la plus trash qui s’est passée sur la Rive-Nord dans les années 90 mettons. J’ai braillé et j’ai supplié, mais y’avait rien à faire. J’ai dit à Jonathan que j’y allais pas. Mon père ne voulait pas. Il ne voulait pas que j’aille un poncho en genre de tissus de aki non plus. Jonathan en avait un lui. Le soir du show mon père n’était pas chez nous.

Mais quand j’suis rentré de ma pratique de hockey il m’avait laissé un 10 $ sur son bureau et m’a mère m’a dit que je pouvais y aller finalement. Mon père avait changé d’idée.

Le rock était dans mon ADN. La rébellion aussi. Comment faire pour être aussi cool que mes idoles du rock? J’allais pas laisser personne dicter ce que je pouvais et ne pouvais faire (même à dix-onze ans, oui).

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J’ai laissé le 10 $ sur la table et j’ai dit à ma mère que je ne voulais pas y aller finalement. Que ça me tentait pu. J’ai descendu en bas et j’ai réécouté ma cassette VHS de la finale de la Coupe Stanley de 1987 entre les Oilers et les Flyers (la meilleure série de la Coupe Stanley de tout le temps selon moi). Je regrettais, mais j’avais gagné.

Des années plus tard, j’ai eu la chance de voir Vilain Pingouin en show, de devenir ami avec Rudy Caya, de travailler et collaborer avec. Un rêve.

J’aurais vraiment aimé me reprendre avec les B.B. mais j’ai pas eu le temps.

Je regrette profondément ne pas avoir accepté ce 10 $ pour aller au show à Repent et sautiller en écoutant le solo de guit classique de T’es Dans La Lune. J’avais refusé juste parce que j’avais pas pu décider si je pouvais ou pas y aller. Juste parce que je voulais gagner, j’ai perdu au final.

Quand j’ai eu mon premier enfant et que j’avais peur de dire bye à ma vie sociale et de manquer quelque chose, un homme brillant m’a dit :

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« Tu vas voir, ça te dérangera pas de pas sortir, ce sera pas un sacrifice, parce que tu vas mieux aimer rester chez vous avec tes enfants et ta blonde anyway. Tu vas décider de rester. »

Ces mots sont ceux de mon ami Rudy Caya, qui était aussi l’ami de Patrick Bourgeois. En écrivant ces mots, je regrette de pas avoir demandé à Rudy de me le présenter d’ailleurs.

Patrick Bourgeois est parti.

Je ne verrai jamais les B.B.

J’ai perdu.