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Je friendzone, donc je suis
Ici même lors d’une chronique précédente, je vous ai parlé de mes expériences peu fructueuses avec l’infâme Tinder et l’inévitable constat que malgré une aversion affichée pour ces solutions de rencontres, j’ai un désir très fort de ne pas finir mes jours en mangeant mes toasts, seul le matin, en fixant le mur beige d’une cuisine sombre.
Je friendzone, donc je suis?
C’est de même. On choisit le moindre mal et faire des rencontres, de nombreuses rencontres pratiquement à l’aveugle, basées sur quelques photos soigneusement choisies, c’est le versant optimiste d’une quête pour ne pas éternellement se gratter le dos sans aide avec un coin de mur ou un arbre.
La vie est ainsi faite.
Avec ces rencontres, forcément, viennent de nombreuses questions sur ce que l’on recherche, quelle chaussure pour notre pied capricieux. On se perd aussi dans les anecdotes que l’on raconte d’une rencontre à l’autre, celles qu’on écoute, les noms, les lieux, les spécificités de tout un chacun.
Ça devient vite étourdissant.
Face à tout cela, l’instinct d’écarter rapidement le doute et les incertitudes devient presque une question de vie ou de mort. Rapidement, donc, on condamne ces nouvelles rencontres vers la mythique friendzone jusqu’à ce que le temps opère sa magie et établisse une distance saine entre des sentiments non réciproques.
J’ai visité cette friendzone plus souvent qu’à mon tour sans perdre de plume pour autant.
Je friendzone, donc je suis – un triste constat quand on reçoit une notification sur son cellulaire de la part d’une rencontre potentielle.
J’admets qu’il y a une certaine froideur à évoquer le tout de la sorte, parce qu’après tout on parle d’êtres humains avec des envies, des sentiments, un passé et un avenir. J’en suis, bien évidemment, et j’ai visité cette friendzone plus souvent qu’à mon tour sans perdre de plume pour autant.
Les raisons les plus banales deviennent des prétextes pour envoyer quelqu’un dans la friendzone.
Je vous dirais que c’est le contrecoup de faire des rencontres dans un bassin aux possibles illimités. On ne développe plus sur une longue période de temps et on tranche de façon très catégorique.
Malheureusement, les raisons les plus banales deviennent des prétextes pour envoyer quelqu’un dans la friendzone étrange des réseaux sociaux, avec une présence distante en fonction de ce qu’on laisse voir en ligne. On n’attend plus de découvrir une incompatibilité profonde ou un malaise à la suite d’un conflit, que non, on tire un jugement très hâtif sur une mauvaise habitude comme se ronger les ongles ou visionner des films en versions doublées.
C’est superficiel à ce point et c’est ici que je cultive une culpabilité croissante.
Après chaque rencontre, chaque envie de ne pas poursuivre vers une relation amoureuse, je vis le petit deuil de perdre une présence amicale, brève, mais réconfortante. Les rencontres, à l’ère des médias sociaux, deviennent autant le testament d’une amitié éphémère que le possible terreau fertile d’un amour futur.
Je friendzone car j’ose rencontrer et je rencontre parce que je friendzone peut-être trop.
Le hic, c’est qu’on ne sait pas lequel avant de commander sa bière au serveur branché d’une brasserie urbaine qui s’imagine que c’est du luxe avoir un faux panache de chevreuil sur son mur.
Bref, je friendzone car j’ose rencontrer et je rencontre parce que je friendzone peut-être trop. L’œuf ou la poule pis toute.
Il y a aussi la vilaine habitude de sortir la carte de la friendzone quand les choses deviennent trop intimes, trop vite, et que l’envie de rapatrier ses billes dans son sac s’impose avec une autorité troublante. Appelons ça un friendzone préventif, une façon de t’admettre que je vais t’avouer tous mes secrets, mais je risque de te mentir sur mon passé et mes intentions pour paraphraser Tom Waits et sa sublime chanson Tango ‘till they’re sore.
On veut tout, tout le temps, trop vite, avec le beurre, l’argent du beurre.
Je vous déballe tout ça et je me demande s’il y a une solution à ce problème qui n’en est pas un. C’est normal de ne pas tomber en amour avec toutes les personnes qui croisent notre chemin. C’est normal aussi, du moins je crois, d’avoir envie de connaître le gout du sexe d’une amitié éphémère qui traverse notre quotidien sans forcément se projeter dans l’avenir avec cette personne, des enfants, une maison et une petite clôture blanche sur la couronne nord.
Tu es belle, tu me fais sourire, mais je risque de te friendzoner.
Sauf qu’on veut tout, tout le temps, trop vite, avec le beurre, l’argent du beurre, le cul de la laitière et possiblement sa ferme pour la convertir en chalet urbain quatre saisons avec un spa, du plaisir, des amis et peu de responsabilités.
Les envies, ici, deviennent presque un obstacle à la décence, et les rencontres motivées par ces envies, se transforment en tribunal assez intransigeant de l’Autre avec un gros «A» qui se dresse devant nous.
Tu es belle, tu me fais sourire, mais je risque de te friendzoner parce que j’ai l’amour fuyant et des problèmes que je n’ai pas forcément envie de t’expliquer.
Chacun ses raisons, les miennes ne sont pas toujours nobles.
Je te plais, ça clique entre nous deux, mais tu me friendzone parce que je ne suis pas celui avec qui tu te vois construire une maison avec des oreillers le dimanche matin dans le salon avec la marmaille en pyjama.
Chacun ses raisons, les miennes ne sont pas toujours nobles et tu ne risques pas de les savoir. Mais si je te friendzone, c’est probablement parce que dans le fond je t’aime bien et ça me fait de la peine de te perdre même si j’me vois pas te chuchoter des «je t’aime» à toutes les heures du jour et de la nuit.
J’y comprends rien, mais je sais que je friendzone, donc je suis?
Pour lire un autre texte de Stéphane Morneau: «Petit guide d’interprétation des «likes» sur Facebook».