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Je brille, donc je suis !

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Dans l’histoire de l’humanité, l’homme a toujours voulu se dépasser. Après avoir réussi à voler et marcher sur la Lune, l’homo sapiens rêve aujourd’hui de devenir une vedette, de se pavaner sur les tapis rouges et de répondre aux questions des Écho Vedettes. Parce que briller, c’est être et qu’être, c’est briller. Autopsie du rapport de l’homme à la célébrité.

Si on s’amusait à jalonner une échelle de célébrités à travers le temps, la première empreinte pourrait être celle laissée par l’australopithèque Lucy, une charmante lolita poilue dont l’existence remonte à quelques trois millions d’années. Le dernier échelon, quant à lui, pourrait mener à Paris Hilton : célébrissime milliardaire, moderne et épilée. Entre ses deux extrêmes, l’échelle serait marquée de dieux, de figures mythologiques, de Jules César, de Jésus, puis d’une pléthore de héros : les réels, les supers et les virtuels. Les étoiles hollywoodiennes de la fin des années 40 éclaireraient les cieux d’après-guerre. Elvis et les Beatles soulèveraient les foules en pleine révolution sexuelle et d’autres rock stars telles David Bowie ou Bono illumineraient la morosité des années 80. Arriveraient finalement les années 2000 avec les Nicole Richie et Britney Spears; superstars du matériel.

La vénération

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Depuis le xviie siècle, le Petit Robert accorde à la célébrité le sens de «notoriété, éclat, popularité ou renommée». Si cette définition est vieille de 400 ans, le besoin d’admirer un être plus grand que soi remonte quant à lui à la nuit des temps. «Ce besoin naît d’une quête de la beauté dans ce qu’elle peut avoir de plus pure et d’absolue», indique l’éthicien et philosophe, Patrick Snyder. En effet, qu’elle soit divine, onirique ou humaine, l’homme a toujours admiré la beauté. «Tendre vers elle le pousse à se dépasser, à s’élever pour s’approcher de ce qui est plus grand que lui», poursuit-il. Cette forme de foi est qualifiée de foi verticale: l’homme vénère ce qui est au-dessus de lui et qui répond de l’au-delà. Les dieux, par exemple.

L’auto-célébration

«Aujourd’hui, en raison d’un vide de foi verticale, le fait d’idolâtrer des célébrités est devenu une forme de quête spirituelle en Occident», explique Patrick Snyder. «L’homme qui vénère un semblable s’auto-célèbre: son rapport à la célébrité est intimement lié au culte de son propre corps.» C’est le star-système qui inspire cette forme d’adoration dite horizontale. L’homme vénère les célébrités vivant dans un monde qui lui est accessible : il célèbre ses «égaux» et, par extension, son ego.
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La popularité de l’actrice américaine Jennifer Aniston illustre bien cette théorie. La publication Forbes divulguait récemment que c’est l’ex de Brad qui, jouée en couverture, a fait vendre cette année le plus de magazines. Elle supplante ainsi Angelina Jolie et Scarlett Johansson. Parce qu’en plus d’être belle, riche et célèbre, «Jennifer semble être vachement sympa», relate le très sérieux journal Madame Figaro. «Elle aussi a le cœur brisé, et elle pourrait être notre amie. En somme, elle est comme nous.»

L’envie

Ce n’est pas parce que l’homme admire des célébrités qui lui ressemblent qu’il ne les envie pas. Bien au contraire. Un fan qui s’émerveille devant une vedette peut jalouser sa position sociale et la reconnaissance dont elle jouit : il convoite ses avoirs son jet, son spa et ses voyages à Bora Bora et aspire à devenir à son tour, l’icône admirée. La célébration de nos stars obéit donc à un élan matériel, superficiel et égocentrique. Le dramaturge Olivier Choinière questionne la notion de célébrité dans sa plus récente création, Félicité. Dans cette pièce, des personnages tantôt ordinaires, tantôt démunis se projettent en Céline Dion par pur fanatisme ou d’un point de vue salvateur. «Aujourd’hui, admirer des célébrités permet de se projeter dans un monde meilleur», soutient l’auteur. «Le danger se situe dans la porosité : l’individu en vient à vivre l’existence de la célébrité admirée totalement par procuration. L’admirateur devient en symbiose avec l’être vénéré au risque de perdre sa propre identité.»

L’effet miroir

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Les médias de masse sont les vecteurs de la célébrité actuelle ; ils contribuent à faire des stars de purs produits de consommation. Elles stimulent les cotes d’écoute des talk-shows, font vendre des tonnes de revues à potins et naître chez leurs fans le désir d’obtenir les mêmes voitures qu’elles, les mêmes parfums et les mêmes montres de luxe. «La célébrité est devenue l’apothéose de l’hyper-consommation», souligne Patrick Snyder. En fait, l’arrivée des médias de masse est peut-être un aussi grand choc pour l’homme que l’invention du miroir. Les médias actuels sont des miroirs infinis qui transportent massivement et instantanément l’image aux quatre coins du globe en quelques secondes, ce qui peut franchement ébranler l’équilibre mental. On n’a qu’à penser aux récents déboires de Britney. Étrangement, malgré ce prix à payer, l’homme semble prêt à troquer sa liberté et sa santé au profit de la gloire. «Le besoin de reconnaissance demeure plus fort que la dépossession de soi», explique l’éthicien. À preuve, les jeunes en Occident n’aspirent plus à être médecins, avocats ou artistes: ils veulent d’abord et avant tout être connus.

Polythéisme

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D’un point de vue dramatique, Olivier Choinière soutient que le vedettariat a carrément remplacé le Panthéon. «Le star-système propose un modèle de sujets adorés qui se rapproche du polythéisme», remarque-t-il. Mais puisque la relation à la célébrité est totalement subjective, impossible d’imaginer une star universelle qui ferait l’unanimité, tel un seul dieu. L’amateur de boxe se prosterne devant Muhammad Ali, mais peut rester de glace devant Gwen Stefani.
D’ailleurs, peut-on mettre toutes les célébrités sur un même pied d’égalité? Certaines ne se rapprochent-elles pas davantage du héros que de la vedette? Si oui, quelle frontière tracer entre les deux? «Un héros peut être une célébrité, mais une célébrité n’est pas nécessairement un héros», répond Olivier Choinière. Comme le dit l’historien Daniel Boorstin : «Aujourd’hui, une célébrité est une personne connue pour être bien connue : célèbre pour sa célébrité.» Devant la liberté de choisir ses idoles, l’homme ne pourrait-il pas alors adorer davantage des héros au détriment des stars du vide : moins de Paris Hilton au profit des Gandhi et Mandela? Ainsi, en attendant une révolution ou une révélation, il resterait toujours ces étoiles plus brillantes que clinquantes à contempler… sur la terre comme au ciel.
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