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Je baise donc je suis

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La sexualité des Y est plus libre que jamais, dit-on. Du moins, c’est ce qui se dégage du documentaire Y, Génération plaisir, qui sera présenté mercredi le 27 mars sur les ondes de Canal Vie.

Ils n’en ont que pour le plaisir, ces Y. Ils embrassent pleinement leur libido débordante, sans culpabilité.

Selon ce que nous raconte le documentaire Y, Génération plaisir, nous serions tout de sexe faits. Nous vivrions l’amour libre en mieux, à l’ère du Fantasme en réalité augmentée. Le sexe n’est plus encadré par quelconque institution, ni réprimé par quelconque dogme: À la bonne heure!

Ta culotte est ma culotte, enwèye à’ maison, chez nous ou chez vous? — Le sexe enfin décomplexé.

Reste qu’à mon sens, il y a quelque chose de profondément mélancolique, dans la sexualité des Y.

D’abord, cette liberté et ce tout-au-plaisir qu’on vante partout me semblent somme toute assez factices, puisqu’encadrés par des normes informelles parfois déroutantes.

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J’ai souvent l’impression que l’absence d’impératifs pour encadrer la sexualité a été compensée par une mise en scène abusive de celle-ci dans l’espace public, où malheureusement les stéréotypes genrés sont prédominants, et où la mesure de la performance a force de loi.

Le sexe est devenu un spectacle qui implore qu’on le reproduise pour se sentir vivant. Baiser pour être, baiser pour « devenir ».

Cette « libération » tant vantée, c’est plutôt la promesse de lendemains amers. C’est l’exutoire d’une rage d’exister, mais dans un monde qui aplatit et enferme les individus dans les carcans du « paraître ».

On parle du « culte de moi », mais en somme, l’agrégation des « moi » appelle à former une masse bien homogène, lisse et rutilante; dont les données aberrantes sont balayées dans les marges.

Au fond, le pas est dicté de manière aussi stricte que de tout autre temps.

Et le leitmotiv est relativement simple : explorer, consommer, baiser, recommencer.Il faut être sexué, ultra ouvert, performant et (surtout) détaché.

« Vivre mes expériences » – la cause première de rupture en Occident, chez les vingtainards adulescents. Cette assertion n’est fondée sur aucune base empirique, mais il s’agit certainement de la formule la plus galvaudée du XXIe siècle.

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Il y a, à mon sens, une survalorisation de la découverte du sexe débridé et libertin. Tout est au rejet radical des conventions et à leur déconstruction. C’est très bien; nous vivons dans un monde qui gagnerait à ce qu’on le déconstruise davantage.

Mais je soupçonne ce décloisonnement des mœurs d’être parfois forcé, voire de verser carrément dans la négation des besoins profonds, si trop « conventionnels ».

Pas pour tout le monde, évidemment. Il y a bien sûr des courageux qui assument la relative rectitude de leurs mœurs et le caractère monolithique de leurs désirs. Mais je crois qu’il s’agit en fait d’un véritable défi de « tenir son bout » en ce sens, alors que tout incite précisément au contraire.

L’anarchie relationnelle est beaucoup plus « cool » que la monogamie, et les désirs sont « suspects » si trop traditionnels. « Nan mais t’es sûr que tu refoules pas tes désirs de batifolage? Enweye, essaye pour voir… »

Sauf qu’au cœur de cette anomie, de cette frénésie du « j’ai déjà » et du « juste une fois au chalet » règne une grande confusion entre le désir de l’autre et la recherche de soi.

Elle est là, la mélancolie.

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Elle est dans ces soirées floues qui se soldent par une bombarde de textos approximatifs, dans ces nuits qui ne finissent pas, dans ces histoires torrides qu’on se raconte à la machine à café comme on parle d’une game de bridge.

On se cherche dans le regard de l’autre (des autres), en présentant un corps-objet et en espérant l’impossible d’une intimité bricolée. La frontière entre le besoin d’affection, de valorisation et le véritable désir charnel est trouble. On départit difficilement le désir du mal d’amour.

En fait, seul l’amour subsiste comme véritable tabou.

De la sexualité, il n’est qu’un corollaire potentiel sur lequel il vaut mieux ne pas trop compter. Au mieux, on l’espère en secret.

(Mais moi, je l’ai trouvé. Prrrrrt.)

***

Complément: la «féminité spectacle» et l’asservissement déguisé

Ah, en aparté. Vous m’excuserez, mais je dois admettre que j’ai un sérieux problème avec ce discours pernicieux qui consiste à faire croire que les femmes qui s’exhibent de manière suggestive dans l’espace public incarnent un nouveau «girl power», qui passe par une sexualité exacerbée et sa mise en marché sans remords.

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S’approrier les stéréotypes essentiellement basés sur l’objetisation de la femme et son asservissement aux désirs mâles, ce n’est pas les combattre ni les dépasser. C’est y participer bêtement, et les légitimer. Au pire, c’est le symptome une insécurité généralisée déguisée en émancipation; au mieux, celui d’un narcissisme avilissant.

J’assume le radicalisme de ma position.

***

Bref, vous écouterez le documentaire Y, génération plaisir, mercredi, 21h, sur les ondes de Canal vie. (rediffusion le lendemain à 12h00)

Et la photo, en haut, est tirée du magnifique court-métrage d’animation Daisy, d’Agathe Bray-Bourret. À voir juste ici:

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Et moi, sur twitter, c’est @aurelolancti