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Jaser de silence et de sexualité positive avec une soeur cloîtrée

Récit d'un vendredi chez les Carmélites.

Par
Jérémie Lachance
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Mes écouteurs sans fil viennent de lâcher. Saint-Denis et Avenue du Carmel. En plein coeur du Mile-End. Plus de batterie. Ça, ça gosse. C’est pas plus grave que ça, parce que j’y suis. Juste là, au bout de la rue sur la droite. Printemps et beau temps. Le soleil fait fondre les stalactites de glace qui s’accroche aux corniches des maisons le long de la rue.

Des gouttes me tombent sur la tête au moment où je traverse l’arcade de pierre qui mène à l’énorme porte de bois du monastère des Carmélites de Montréal. Je cogne. Mes pieds trempent dans une flaque d’eau. Câline, mes Dr. Martens sont pas imperméables. Câline. Est-ce que j’ai le droit de dire ça dans un monastère? Pas le temps de cogiter là-dessus ; une dame m’ouvre. « Je suis venu voir la prieure», que je lui dis avec le plus gentil sourire du plus gentil des garçons, histoire de faire oublier mon anneau dans le nez et mes cheveux longs.

Ici, seulement moi, les murs beiges, les quelques peintures liturgiques accrochées au mur, et, de l’autre côté de la pièce séparée par une barrière, la chaise encore vide de soeur Nicole, la soeur prieure supposée venir me rencontrer d’une minute à l’autre.

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10 minutes et deux couvre-souliers bleu poudre plus tard (faudrait pas que je mette de l’eau partout), me voilà en plein confessionnal. Sauf qu’ici, pas de caméra, pas de Pépito Sangria, et encore moins de maison de l’amour qui m’attendent à la sortie. Ici, seulement moi, les murs beiges, les quelques peintures liturgiques accrochées au mur, et, de l’autre côté de la pièce séparée par une barrière, la chaise encore vide de soeur Nicole, la soeur prieure supposée venir me rencontrer d’une minute à l’autre. J’attends dans le silence. Dehors, de petites bourrasques de vent écrasent les flocons qui tentent de virevolter en paix.

La porte de l’autre côté du confessionnal finit par s’ouvrir. C’est soeur Nicole. J’ai à peine le temps de la saluer qu’elle me lance déjà un sourire capable d’achever toutes les stalactites glacées de l’Avenue du Carmel. Elle étire sa main, je tends la mienne. Elles se serrent à travers les barreaux du confessionnal. «Enchantée», qu’elle me dit, alors que nos mains sont toujours entrelacées. Soeur Nicole remarque un tattoo sur mon bras droit. Elle le trouve beau. Ça me gêne, comme si ma «délinquance» imprégnait les lieux. Elle porte fièrement une robe en bure brune. Va falloir que je dise quelque chose, sinon ça va devenir gênant. Je me lance. « C’est silencieux, ici». Elle rigole. Nos mains se séparent. « Le silence, c’est essentiel dans la vie d’une soeur contemplative, dit-elle en s’assoyant. Il nous permet d’entrer plus facilement en contact avec Dieu». Et ça fait 40 ans que soeur Nicole le vit, ce silence. À l’âge de 23 ans, elle joint les carmélites et 40 ans plus tard, en est devenue la soeur prieure; la personne responsable de faire régner l’harmonie dans le Carmel. «Je suis un peu la gardienne du bonheur», dit-elle entre deux rires.

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Et de ce que j’en comprends, la mission d’une carmélite est d’être en contemplation devant Dieu et tout ce qu’il a créé. Le silence, selon soeur Nicole, permet de toucher le sens profond de la vie. «Comment entrer en communion avec soi-même et avec Dieu si on est confronté à des stimuli qui viennent de partout?» Et selon elle, Dieu est, justement, partout: en nous, dans le silence, dans les stalactites de glace qui se laissent fondre sur la rue du Carmel .Voilà pourquoi le confessionnal est si silencieux. Voilà pourquoi le confessionnal est si beige.

Le silence, selon soeur Nicole, permet de toucher le sens profond de la vie. «Comment entrer en communion avec soi-même et avec Dieu si on est confronté à des stimuli qui viennent de partout?»

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J’avoue ne pas savoir quoi répondre. C’est déjà assez rare que j’entre en communion avec moi-même, alors de là entrer en communion avec Dieu… Elle rit. Faire rire une soeur avec un trait d’esprit au référent religieux, ça doit être dans le top dix de mes bonnes actions à vie. Ça me fait rire à mon tour. Deux rires francs qui brisent le silence du couvent. Et du couvent, on en parle. On parle de sa création en 1896. On parle de la fois où il a presque été vendu, en 2003, à des promoteurs immobiliers pour être remplacé par des tours à condos. Du documentaire sur Jean-Paul II qu’a récemment écouté soeur Nicole. On parle de la vie quotidienne des onze carmélites du monastère qui ont chacune un rôle au sein de ce microcosme pour qu’il fonctionne. Une soeur fait à manger, tandis que l’autre époussette le monastère. Quelques-unes cousent les robes pour le reste de la congrégation, alors que d’autres s’occupent de l’artisanat qui sera vendu à la boutique du Carmel. « On essaie de ne pas vivre sur le dos du monde et de faire notre propre argent », explique soeur Nicole.

À y penser, j’angoisse. Est-ce qu’elle ne trouve pas ça long, parfois? Elle me dit que leurs journées sont trop chargées pour s’ennuyer. Et ce qui les unit, dans ces journées trop chargées pour s’ennuyer, c’est le silence. Dès l’aube, à 5h30, les onze carmélites se rassemblent dans la chapelle du monastère pour l’oraison (la prière matinale). Elles enchaîneront alors les laudes, les liturgies, les psaumes et le travail jusqu’au dîner, vers midi, où une soeur parlera pour la première fois. Et ce qui brisera le silence en premier, c’est la lecture des nouvelles quotidiennes sur l’iPad de la place. «Comment est-ce qu’on peut prier pour les autres si on ne sait pas ce qu’ils vivent?», lance soeur Nicole à travers le grillage de bois alors que nous parlions justement des présidentielles américaines et de Donald Trump. «Ah lui, on prie souvent pour qu’il ne gagne pas ses prochaines élections», laisse-t-elle échapper dans un sourire.

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Une fois le dîner terminé (encore dans le silence), les carmélites retournent à leurs affaires, c’est-à-dire le travail et la prière. Et le moment où le fun pogne, c’est de 19h à 20h, lorsque les soeurs sont en récréation. C’est là qu’elles parleront de leur quotidien, de leur famille, de leur communion avec Dieu et de leurs angoisses, pour fermer les lumières à 20h30.

Ce qui brisera le silence en premier, c’est la lecture des nouvelles quotidiennes sur l’iPad de la place. «Comment est-ce qu’on peut prier pour les autres si on ne sait pas ce qu’ils vivent?», lance soeur Nicole à travers le grillage de bois.

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Quelque chose tracasse soeur Nicole. Elle se replace sur sa chaise, enlève un pli sur sa robe, puis se lance. «J’y pense depuis un petit bout, et j’aimerais te parler de quelque chose, se hasarde-t-elle. J’aimerais te parler de sexualité.» Je m’enfonce dans mon siège. Le grillage de bois qui nous sépare vient de s’épaissir de trois pieds. Parler de sexe avec une nonne. Et au lieu de bafouer une réponse aussi peu convaincante que le plan à long terme de Marc Bergevin, je la laisse poursuivre. «Dieu nous a donné un corps pour qu’on donne de l’amour, commence-t-elle. La sexualité, c’est quelque chose de beau.» On n’est peut-être pas si loin de la maison de l’amour finalement. Et une vie sans sexualité, comment est-ce qu’elle trouve ça? «C’est certain qu’en 40 ans, j’ai vu des soeurs ici qui trouvaient ça plus dur que d’autres, admet la soeur prieure. Nous ne sommes que des humains, c’est normal d’avoir des désirs et il faut en parler.» Elle renchérit. «Ce qui est déplorable, c’est ceux qui se mettent dans des positions délicates, comme les prêtres avec les jeunes enfants». Et elle est là, selon soeur Nicole, la limite. « [C’est] quand il y a un rapport d’autorité entre les individus, et c’est là que ça devient mal. » La sexualité devrait se vivre dans la joie… et le consentement.

Parlant de sexualité joyeuse, selon elle, la diabolisation du sexe ne tire pas ses origines du christianisme. «Ça vient des philosophes de la Grèce antique, comme Platon et Aristote, qui disaient que le corps était mal, affirme la sexagénaire. Après ça, le christianisme se l’est juste approprié».

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Je me dis que si on a parlé de sexe, on peut parler de n’importe quoi. Je me lance. Qu’est-ce qu’elle pense de la laïcité au Québec? Elle prend un temps pour réfléchir, alors que je prends un temps pour gribouiller ses réponses dans mon calepin. «Le fait que la religion n’est plus impliquée dans l’éducation, c’est une bonne chose, comme, à la limite, le fait de décrocher le crucifix du parlement, commence-t-elle. Ce dont j’ai peur, c’est que le monde oublie la contribution de l’Église dans la construction de notre société. Qu’on soit croyant ou non, on ne peut pas nier l’importance qu’a eue le clergé dans son développement ».

«Ce dont j’ai peur, c’est que le monde oublie la contribution de l’Église dans la construction de notre société.»

Elle et son sourire ne me quittent pas des yeux, alors que j’ai les miens plongés dans mon calepin. Elle a dit ce qu’elle avait à dire. Des cloches se font entendre au loin. Midi. C’est l’heure du dîner et des nouvelles quotidiennes. Elle se lève, me tend la main une dernière fois, et se retire par la porte de son côté de la pièce. J’enfile mon manteau, prends une bonne bouffée de sérénité et quitte les murs beiges du confessionnal. Je pousse la grande porte de bois du Carmel, dernière barrière qui me protège de la vraie vie, celle de la rue Saint-Denis, là où le silence se fait prendre de vitesse par les pétarades des voitures trop pressées pour ralentir aux lumières jaunes. Nostalgique et en remontant vers le sud, je repense une dernière fois au sourire de soeur Nicole, le seul sourire capable de mettre Saint-Denis sur mute.

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