Je l’avoue, j’ai une relation assez complexe avec la mort. J’ai beau être toute de noir vêtue et arborer non pas un, mais bien deux tatouages en lien avec la Grande Faucheuse (un cercueil et une faux, non je ne vous dis pas où), le sujet provoque chez moi une anxiété sourde que je tente d’écarter par l’autodérision. Oui, j’ai récemment dit à une amie que le code vestimentaire de mes funérailles serait « Ton ensemble le plus dévergondé » et demandé à une autre de citer des lignes de RuPaul’s Drag Race en guise d’élégie (« She ate » serait selon moi le meilleur choix étant donné son accord au passé), mais tout de même, disons que l’idée de m’endormir pour toujours provoque chez moi une insomnie d’une ironie douce-amère.
Par contre, si j’ai déjà amplement discuté avec mon entourage de mon combat avec la dépression et l’anxiété, soit des sujets qui se libèrent de plus en plus de l’étiquette de « tabou sociétal », je m’aperçois que la mort, elle, peine à éclore dans mes conversations quotidiennes.
Chaque fois, elle est abordée avec un mélange de retenue et de timidité, la porte s’ouvrant aussi doucement que quand je tente de rentrer chez moi pour m’éviter d’avoir à sprinter derrière mon chat.
C’est donc par le plus beau (morbide?) des hasards qu’est atterri dans ma boîte courriel une invitation à participer à un événement nommé L’Apéro de la mort. Se décrivant comme une opportunité de libérer la parole autour d’un sujet hautement tabou dans un espace dénué de jugement, l’événement semblait taillé sur mesure pour la petite gothique curieuse que je suis.
« Un sujet délicat, mais c’est important d’en parler »
D’abord, il faut savoir que L’Apéro de la mort ne s’adresse pas qu’aux personnes endeuillées. Peu importe que vous ayez récemment dû faire vos adieux à un proche ou que vous soyez hanté par des questions qui risqueraient de gâcher vos 5 à 7 de job, vous serez accueilli et écouté sans que l’on vous demande de quitter parce que vous « scrappez le mood ».
Par contre, petit bémol en terminant mon inscription à l’événement; alors que je m’attendais à un « apéro », je reçois un lien pour un appel sur Zoom. Inquiète, je vérifie pour m’assurer qu’il n’y a pas un nouveau confinement en vigueur. Que nenni ! Bien que je sois une grande introvertie, je m’avoue déçue. L’idée de me rendre dans un bar, buvette branchée, café ou sous-sol d’église pour jaser de la mort en toute légèreté m’apparaissait particulièrement séduisante. Tant pis. En souvenir de ces 5 à 7 où l’on faisait chin, chin avec notre webcam, je saisis un Gin Tonic (sans alcool, mais ça sera un article pour une autre fois), mes vêtements mous favoris et je m’écrase dans la chaise de gamer flambant neuve de mon conjoint.
Ainsi, je fais la connaissance de Charlotte, la quarantaine, qui se demandait comment aborder la question du grand départ avec ses parents, et d’Anne, la cinquantaine, qui souhaite se réorienter vers une carrière de thana-doula après avoir perdu son emploi. Voilà, le groupe est complet. Nouvelle déception. En plus, tout le monde a à la main un verre d’eau ou une tisane alors je me sens un brin déplacée avec mon Gin Tonic à saveur de gin sans arrière-goût de regret. À nouveau, je me dis tant pis et je troque la canette turquoise pour ma emotional support bouteille d’eau.
L’apéro-pas-vraiment-apéro est animé par Sylvie, une intervenante lumineuse qui nous invite à nous présenter et à expliquer les raisons qui nous ont poussées à vouloir prendre part à l’événement.
Malgré les déceptions qui s’enchaînent, je n’ai pas vraiment envie de rebrousser chemin, bien que mon lit et mon iPad soient à quelques mètres de moi. L’ambiance est chaleureuse, les participantes sourient de cette manière qui vous indique que c’est correct. Que vous pouvez répandre vos tripes sur le plancher et qu’on ne vous en voudra pas pour le ménage qui viendra après. D’une voix cassée, j’abandonne ma casquette de chroniqueuse pour enfiler celle d’une fille qui a le cœur barbouillé d’ecchymoses et je raconte au groupe la perte, survenue il y a 3 ans, de ma directrice de maîtrise. L’impression de vide de ne pouvoir partager les accomplissements qui ont suivi avec celle qui m’avait donné les armes pour les conquérir. Le désir de pouvoir la remercier. D’entendre une dernière fois son « yé! » scintillant.
Puis, j’aborde ma difficulté à faire ce deuil, ayant l’impression qu’il ne m’appartient pas. Comme si je n’avais pas été assez proche de ma directrice pour me sentir aussi dévastée.
La main sur le cœur, Sylvie me rassure. « Ici, personne ne s’excuse pour ses émotions », dit-elle alors que j’enfonce mon visage dans les manches oversized de mon hoodie, lui-même vestige d’une personne qui me manque beaucoup. Empathique, elle m’explique qu’il serait faux de croire que le deuil est un processus simple qui se cantonne en 5 étapes au terme desquelles on serait « guéri ». Puis, elle ajoute que peu importe la place qu’occupait une personne dans notre vie, on a le droit de la pleurer. Qu’il n’y a pas de hiérarchie qui détermine qui peut ou ne peut pas être affecté par un départ.
À ce moment, je souris aussi. Seule dans le bureau de mon chum, je sens les premiers bourgeons du réconfort éclore sous mon coton ouaté.
« Ça me permet de partir à la découverte de mes parents »
Par la suite, le groupe se concentre sur le souhait de Charlotte, soit de trouver une manière d’aborder avec ses parents leur mort éventuelle. Rassurez-vous; ceux-ci ne sont pas à la veille de trépasser. Simplement, Charlotte aimerait s’assurer d’être prête à honorer ses parents selon leurs dernières volontés, une fois l’événement arrivé.
D’emblée, Sylvie nous encourage à « créer un espace dans la vie pour parler de la mort ».
Elle déplore également les arrangements funéraires souvent faits en solo, comme dans ces trop nombreux films où l’on voit une personne, sentant sa fin approcher, coucher sur papier son intention de léguer ses DVD de Shrek à ses enfants, sa collection de verres du McDo à l’effigie de Shrek à son conjoint et sa fortune à ses chats. Selon Sylvie, la famille devrait être invitée à participer au processus.
Malgré que j’ai beaucoup apprécié mon expérience en compagnie de femmes à la présence aussi rassurante que ma couverture lestée rose bonbon, je ne peux m’empêcher de souligner la légère ironie que l’on soit encouragées à parler de la mort en groupe alors que nous sommes toutes cantonnées dans nos salons et bureaux. Même si je déteste les intrusions dans ma bulle, j’aurais aimé poser une main sur celle d’Anne. Faire tinter mon verre contre celui de Charlotte. J’aurais aimé transcender la stérilité de Zoom pour la spontanéité des échanges en chair et en os.
Généreuse, Anne explique avoir tenu à transmettre le livre de recettes de sa mère avant le grand départ. Qu’en préparant ces plats perfectionnés par sa mère de son vivant, elle la sentait toujours là, entre l’eau qui nous monte à la bouche et le cœur qui gonfle en voyant son repas préféré dorer au four.
Sylvie acquiesce et ajoute que beaucoup de participants d’éditions passées lui ont dit qu’ils avaient l’impression « de partir à la découverte de leurs parents » lorsqu’ils leur demandaient de quelle manière ils aimeraient être honorés.
Elle nous encourage à parler de musique, d’odeurs, de mets.
Des manières si simples par lesquelles on garde les êtres avec nous. Sans parler de mort, de maladie, de perte, on peut parler de célébration de la vie en choisissant ces miettes qu’ils ont semées sur leur parcours.
Si vous me le demandez, je sais que mon père aimerait entendre du Elvis et avoir sa fidèle raquette de pickleball à la main. Pour ma mère, l’odeur capiteuse du lilas mêlée à son parfum qui a calmé tant d’angoisses enfantines et les notes de Candles in the Wind, le grand classique d’Elton John.
Et comment aborder sa propre mort?
En 2021, ma meilleure amie et moi avons eu la chance de diriger un collectif sur le thème du deuil (le résultat est d’ailleurs disponible en ligne et en librairie, wink, wink). Aux auteurices ayant accepté de se joindre au projet, nous avions proposé, en guise de biographie, qu’ils rédigent leur propre notice nécrologique, convaincues qu’il s’agirait là d’un simple exercice ludique. Malheureusement, l’idée n’a pas été bien reçue et nous avons fait face à des refus obstinés, couronnés de commentaires tels que : « C’est morbide! », ou encore « Mais j’veux pas mourir, voyons donc! » (je ne vous dirai pas quelle était la réaction de Patrick Senécal, je ne m’en rappelle pas, et lui non plus, d’ailleurs).
Je vous raconte cette anecdote, car la conversation a éventuellement atterri sur la question de comment aborder notre propre départ. Une question qui me tient éveillée et m’alourdit l’estomac au point de ressentir le besoin d’enfoncer mes ongles dans mes paumes pour me forcer à sortir des dédales morbides de mon cerveau.
Grâce à sa formation de thana-doula et ayant fait du bénévolat dans des maisons de soins palliatifs, Anne admet se sentir désormais mieux outillée pour accepter ce destin auquel nous ferons tous face éventuellement. Dans le cadre d’un cours, elle a dû penser à ses propres arrangements funéraires et si l’exercice l’avait d’abord ébranlée, elle avoue en avoir beaucoup appris sur elle-même et sur ce qui l’effraie par-dessus tout lorsqu’on évoque la mort.
Pour sa part, Charlotte admet que c’est un sujet auquel elle n’a pas songé. Sans être nécessairement rebutée, l’idée ne lui est simplement jamais venue à l’esprit. À ce moment, Sylvie nous a toutes encouragées à faire l’exercice et d’imaginer notre propre service funéraire. Pas à voix haute, quoique je suis certaine que mes nouvelles bffs de la mort auraient aimé mes idées de RuPaul et de lingerie fine, mais d’entamer la réflexion, par écrit ou dans une conversation avec un proche.
Pour en apprendre plus sur soi, mais aussi pour déconstruire nos peurs et nos croyances par rapport à la mort.
Et quand on accepte qu’un jour on ne sera plus là, on peut mieux vivre en se disant qu’on aura pris le temps de semer des cailloux pour ne jamais vraiment disparaître.
Alors que l’atelier tire à sa fin, mes pensées se tournent vers la grand-mère de mon conjoint. Du haut de ses 92 ans, cette petite dame excentrique à la chevelure fuchsia attend la mort comme j’attends ma meilleure amie dans un café. Fébrile, le sourire aux lèvres. Enfant du milieu d’une famille de 23 enfants, la mort est une limousine qui l’amènera vers cette grande fête où elle retrouvera ses frères, ses sœurs, ses parents et son beau Joseph.
Pour Simone, la mort, c’est aller se coucher au terme d’une journée bien remplie.
J’espère que j’accueillerai la mort comme Simone. Avec un verre de Grand Marnier, du rouge à lèvres fraîchement appliqué et un porte-monnaie bien rempli pour affronter ma famille dans une partie de 500 dans l’au-delà.
À condition que j’aie eu assez de temps pour apprendre les règles du 500.