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J’angoisse à l’idée de dormir moins que huit heures
Il est 22h et je suis dans un bar pour 5 à 7 un jeudi soir. Il reste une journée de travail et c’est la fin de semaine. L’alcool coule. L’arrivée du beau temps rend mes amis festifs. Je regarde mon cell aux 30 secondes parce que je dois trouver un moyen de leur dire que « ma tante Jasmine » doit aller se coucher, pis je le sais qu’ils vont passer un commentaire.
Si je n’y vais pas, je vais angoisser, je vais mal dormir et je ne serai pas productive au travail demain. Et comme ma concentration dans les bureaux à aire ouverte laisse à désirer, je dois mettre tous mes autres talents à contribution : mon énergie et mon plein potentiel qui s’obtient grâce à une (longue) nuit reposante.
L’affaire, c’est que mon niveau d’angoisse augmente d’un cran chaque minute que je « perds » à ne pas dormir.
23h, j’entre dans mon appart. Pas de douche ce soir, ça ira à demain matin. Si je m’endors dans la minute qui suit, il me restera exactement huit heures de sommeil avant que l’alarme sonne. C’est une course contre la montre, littéralement. Je dois m’endormir, et vite. Idéalement, sans être obligée de popper une Gravol ou 10mg de mélatonine pour accélérer le processus, parce que ça crée une habitude.
L’affaire, c’est que mon niveau d’angoisse augmente d’un cran chaque minute que je « perds » à ne pas dormir. Si on dit que les adultes devraient dormir entre sept heures et neuf heures par nuit pour se sentir reposés, eh bien je me colle sur la moyenne à la hausse. Ça, c’est si mon sommeil respecte quelques conditions précises : ne pas se coucher après 3h du matin, ne pas se lever avant 7h, ne pas rêver trop, espérer que la canicule ne frappe pas, ne pas se lever pendant la nuit… Sans quoi je serai dans un état second le lendemain. J’ai l’énergie et le sommeil capricieux.
Petit aparté, j’ai fait vérifier mon sang, ma glande thyroïde, mes hormones : aucun problème médical ne semble pouvoir expliquer pourquoi j’ai besoin de dormir autant. J’ai juste hérité des gènes de mon père qui s’endort sur le divan à 19h30 après District 31.
Apprendre à dire non
« Come on Jas, il est juste 23h! »
« Moi, à 23 ans je dormais deux heures par nuit et je m’enfilais des journées de travail de douze heures.»
Pas moi, malheureusement. Je fais de l’anxiété par anticipation. Ce soir ça va bien, mais watch out demain, que je me dis.
Je ne suis pas capable de m’endormir parce que je pense trop à ma journée (sans sommeil) du lendemain.
La perspective du manque de sommeil, en plus de jouer sur mon humeur, me cause les mêmes symptômes qu’un trouble anxieux : je ne suis pas capable de m’endormir parce que je pense trop à ma journée (sans sommeil) du lendemain, j’ai un sentiment de perte de contrôle, j’étouffe et tout ça peut se conclure par une belle crise de panique.
Je dois donc mettre mes limites, qui ne sont pas les mêmes que celles de mes amis. Et si auparavant le FOMO me poussait à les dépasser, j’apprends maintenant à me mettre en priorité.
J’accepte que je ne pourrai pas participer à toutes ces sorties qui me sont proposées par mes amis les soirs de semaine. Je suggère des soupers à 18h au lieu des bières qui s’éternisent. Et je réalise également que mon angoisse liée au sommeil est une forme d’anxiété. Elle est juste cachée sous un costume qui me fait passer pour la fille plate qui se couche à 20h.
Mais pour la santé mentale de tous mes amis, mes collègues et la mienne, c’est mieux que je sois tranquille un jeudi soir plutôt que d’être d’humeur massacrante le lendemain avec les larmes qui me montent aux yeux plusieurs fois pendant la journée. S’il y en a qui stressent en pensant au lundi, moi je stresse en pensant à mes heures de sommeil.
On a tous nos façons de vivre notre anxiété.