Logo
La reine d’Hochelaga

Jamais sans son chat : le duo improbable qui fait sourire Hochelaga

Les neufs vies d'un homme et sa compagne à quatre pattes.

Par
Salomé Maari
Publicité

Depuis huit ans, elle trône sur son épaule, comme si le monde lui appartenait. Son monde à elle, c’est Hochelaga. Et ici, tout le monde la connaît.

Laura Croff et Jacques Pépin, 64 ans, un personnage aussi coloré qu’attachant, illuminent tous les visages sur leur passage. Et ils ne se quittent jamais.

Jamais, comme dans jamais. Pour de vrai.

UN BAUME SUR LE CŒUR DU QUARTIER

« C’est un baume sur le cœur du monde », confie tendrement le sexagénaire, en parlant de sa chatte qu’il surnomme « Toutoune ». Ensemble, ils arpentent les rues du quartier, faisant tourner les têtes sur leur passage.

Il y a des gens qui ne parlent à personne dans leur journée. « Mais moi, ils viennent me parler, parce que j’ai mon p’tit “mine” avec moi », explique Jacques. Des rencontres qui enrichissent son quotidien.

Jacques Pépin a les yeux d’un bleu éclatant. Derrière ces yeux, un bonheur manifeste et contagieux.

Marginal autoproclamé, il vit modestement dans une maison de chambres — dans ce coin de ville qu’il appelle chez lui depuis bientôt trente ans. « Je vis ma vie comme ça me tente, et non pas d’après les conventions », lance le Lavallois d’origine.

Et ce qui lui tente, lui, c’est de ne jamais quitter sa chatte.

« Quand je suis allé la chercher, c’était clair dans ma tête : “Toi, tu vas me suivre partout” », se remémore-t-il. « Je voulais qu’elle fasse partie intégrante de ma vie. »

Publicité

Depuis cette première rencontre, ils sont inséparables. Même lorsque Jacques travaillait dans un dépanneur, Laura Croff était toujours là, à ses côtés. Le MAPAQ ne s’en est jamais aperçu.

Ils font tout ensemble : marches, emplettes, sorties en vélo, camping.

Le week-end dernier, ils étaient ensemble au Grand Prix, sous les regards émerveillés des touristes. Deux semaines plus tôt, ils sillonnaient la ville pendant le Tour la Nuit. Et chaque été, ils profitent ensemble du spectacle des Feux Loto-Québec.

Où qu’ils aillent, leur complicité ne passe jamais inaperçue.

Photo : Salomé Maari
Publicité

UN DUO PARFAIT

« Synergie », résume Jacques en croisant son index et son majeur, comme pour illustrer son lien avec son animal. Selon lui, c’est le mot qui décrit le mieux leur relation, construite sur la confiance et le respect mutuels.

De quoi inspirer en ces heures sombres. Il y a trois semaines, justement, Jacques a créé une page Facebook : Jamais sans mon chat. Il y partage ses aventures avec sa reine féline. La réponse a été fulgurante : près de 6 000 J’aime en un rien de temps, et une foule de messages de soutien. Et pour cause. Derrière ce duo iconique, il y a une véritable vedette de quartier.

Photo : Salomé Maari
Publicité

Souveraine moustachue

« Elle s’appelle pas Laura Croff pour rien. Elle a du caractère, c’te p’tite bête-là! », rigole Jacques en suivant sa douce, qui, bien souvent, décide elle-même de leur route. C’est elle, la boss.

Nommée d’après l’héroïne des jeux vidéo Tomb Raider, elle a une personnalité tranchée et incontestable. Indépendante, futée et courageuse, Toutoune n’a peur de rien. Ni des bruits forts, ni des feux d’artifice, et encore moins des chiens.

Jacques doit d’ailleurs régulièrement avertir les propriétaires de chiens qui croisent leur chemin : « Attention à ton chien, elle va lui sauter dessus! ». Dans Hochelaga, c’est elle qui fait la loi.

« Dans l’Égypte ancienne, c’est pas pour rien qu’ils ont construit le Sphinx », enchaîne Jacques.

à défaut d’avoir des pyramides, Laura règne sur la rue Ontario.

Sur cette importante artère du quartier, Laura Croff est connue de tous les commerçants. À la boutique de vapotage Vapit, au coin de Chambly, une boîte l’attend dans le backstore. À la Tabagie Dépanneur Rétro, elle grimpe sans hésitation sur le comptoir pendant que Jacques s’achète un gratteux, et au Prestige Jeans, elle est accueillie comme une habituée.

Publicité

Perchée sur les terrasses du Salon Enchanthé ou du bar L’Espace public, elle aime faire son people watching quotidien. Et son paradis sur Terre? La cour avant bien fleurie de l’Église Hochma.

Mais derrière cette souveraine locale moustachue, il y a un homme tout aussi remarquable.

Photo : Salomé Maari

LES NEUF VIES DE JACQUES PÉPIN

« J’ai eu mille vies dans une vie », raconte Jacques.

Mille ou neuf? Tout est une question de perspective.

« J’ai été un freak, un hippie… après ça, j’ai été normal », rit-il. Aujourd’hui, il continue à vivre à contre-courant, flanqué de sa compagne à quatre pattes.

Publicité

« J’ai côtoyé des itinérants comme des millionnaires », lance le sexagénaire pour qui l’argent ne veut rien dire, surtout pas sur la valeur des gens. Il connaît d’ailleurs toutes les personnes en situation d’itinérance du coin, qui affectionnent particulièrement sa chatte.

Au milieu des années 1980, Jacques a eu trois accidents de moto en l’espace de quelques années. Chaque fois, ce sont des chauffeurs en état d’ébriété qui l’ont happé. Le dernier accident lui a laissé le corps en miettes, lui brisant plusieurs os et le forçant à quitter le métier qu’il aimait tant, celui d’émondeur.

Il devient ensuite photographe et se trouve un studio. « À un moment donné, je suis parti à la pêche. Quand je suis revenu, y avait plus rien. »

Après ce cambriolage lui ayant fait perdre des milliers de dollars d’équipement, il est devenu barman, et l’est resté pendant 20 ans. Peut-être vous a-t-il déjà servi au mythique dive bar le Morelli, dans Hochelaga. À l’époque, il avait une pitbull, Panda de son petit nom. Pendant 16 ans, il l’a emmenée partout où il allait, même au travail où la chienne bénéficiait d’un aménagement au sous-sol.

Publicité

« À 2h30, on faisait le last call, je barrais la porte du bar, pis j’ouvrais la porte de la cave. Quand je disais, à 3h : “Bon, ben, c’est fini’’, je peux-tu te dire que le monde partait vite », s’esclaffe Jacques.

Puis, après deux décennies derrière le bar, il tire sa révérence, « plus capable de gérer le monde ». Il trouve alors un emploi dans un dépanneur du quartier. C’est là qu’il rencontre la femme qui l’introduira à celle qui deviendra sa compagne de tous les jours, la petite Laura Croff. Et on connaît la suite.

Aujourd’hui sobre depuis 25 ans, il ne travaille plus et profite de la vie avec sa minette, faisant ce qui lui chante, et propageant le bonheur sur leur passage.

Quand Jacques Pépin dit que sa chatte est un baume sur le cœur des gens, il ne semble pas réaliser qu’il y contribue tout autant.

Fort de sa singularité, il est l’un de ces personnages colorés qui font la richesse du quartier Hochelaga, une petite source de réconfort poilue perchée sur son épaule.

Publicité