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J’aime, donc je suis : Christine de Suède, icône LGBTQ du siècle des Lumières

Portrait d’une reine sans royaume qui a bousculé plus d’une convention.

Par
Marjane Latulippe
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URBANIA et l’Opéra de Montréal s’unissent pour vous offrir le portrait de la reine Christine de Suède, pionnière féministe et queer du 17e siècle!

L’image qu’on se fait d’une reine vacille habituellement entre deux extrêmes : soit on pense à la stoïque et distinguée feue reine Élisabeth II, soit on s’imagine une Daenerys Targaryen sur son dragon réduisant en cendres une ville et ses habitants (et décevant royalement les amateur.trice.s de Game of Thrones dans un cafouillis narratif sans précédent).

On pourrait situer la reine Christine de Suède (Kristina Alexandra Vasa de son nom suédois) quelque part sur le spectre Lizzie-Dany. Figure particulièrement fascinante et controversée de l’histoire européenne, Christine de Suède a décidé qu’elle ne se plierait jamais aux formes austères des boîtes conventionnelles, qu’il s’agisse des bonnes manières ou des conventions de genre, d’orientation sexuelle, de religion ou de politique. Une icône queer qui a joué les girlboss avec les grands du siècle des Lumières et fait friser le poil des oreilles de quelques papes.

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Déjà, sa naissance est marquée par le signe de l’ambiguïté de genre. Peut-être était-ce les émotions, peut-être que la sage-femme avait oublié de mettre ses lunettes, mais on raconte qu’à la naissance de Christine de Suède, le 18 décembre 1626, à Stockholm, il y aurait eu méprise sur le sexe de l’enfant. Dans ses mémoires, Christine raconte que son cri puissant et rauque ainsi que sa pilosité généreuse auraient trompé les témoins de l’accouchement. On aurait donc conclu, sur la base de ces deux critères très médicaux, qu’il s’agissait d’un garçon. (Certaines théories suggèrent que Christine aurait eu des traits intersexes, ce qui aurait provoqué la confusion, mais il est malheureusement impossible de le prouver aujourd’hui.)

Tous les espoirs du couple royal reposent sur cette grossesse, puisque sa mère, Marie-Éléonore de Brandebourg, avait failli à sa tâche et n’avait pas réussi à produire un héritier pour le trône (lire du sarcasme ici). Tout le monde, très excité par la nouvelle, se serait empressé d’annoncer au roi la naissance d’un fils. Puis, au deuxième coup d’œil, on réalise qu’on s’est trompé : c’est une fille! Oups, awkward…

Heureusement, le roi a bien digéré la nouvelle et s’est même assuré de l’accès de Christine au trône ainsi qu’à une éducation normalement réservée aux princes de ce monde. Au programme : entraînement au combat, mathématiques, philosophie, arts – bref, tout ce dont elle aura besoin pour diriger le pays. Ce n’était pas simplement par bonté de cœur, mais pour assurer la stabilité du trône en l’absence d’un héritier masculin.

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Le roi Gustave II Adolphe meurt six ans plus tard sur le champ de bataille, et Christine devient littéralement une enfant-roi. Élevée comme un homme, elle aura le privilège de ne jamais avoir à se plier aux exigences féminines de son époque. En vraie petite tomboy, elle a tendance à rejeter tout ce qui a trait au féminin – ou du moins, tout ce qu’on présume être les traits essentiels du féminin tels que la douceur, la sensibilité et la faiblesse…

Il ne faudrait cependant pas interpréter cette attitude comme étant de la misogynie internalisée puisque dans ses mémoires, Christine explique que ce dédain du féminin découle du constat que si les femmes sont incultes et inaptes à diriger un royaume, c’est parce qu’elles y sont contraintes.

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À sa majorité, en 1644, la cour de Suède s’empresse de vouloir remettre Christine à sa place en lui trouvant un prétendant, parce qu’une reine célibataire, ça n’a pas d’allure! Elle refuse toutes les propositions de mariage de ses cousins et tient son bout : elle ne se mariera pas! Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne croit pas à l’amour, au contraire. Elle aurait eu de nombreux amants et amantes, dont Ebba Sparre, sa dame de compagnie, que plusieurs considèrent comme étant son premier grand amour – nous aussi, compte tenu du fait qu’elle nommera celle-ci son « compagnon de lit ».

Les affaires de cœur ne sont pas tout ce qui l’intéresse. N’ayant connu qu’un royaume en guerre, Christine met son pied à terre et force les hommes à s’asseoir et à faire la paix – ce qui mène entre autres au traité de Westphalie, signé en 1648 et mettant fin à la guerre de Trente Ans. Grâce à Christine, la Suède peut se rebâtir et, encore aujourd’hui, le pays doit beaucoup à la fougue de son ancienne reine.

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En même temps, sa curiosité intellectuelle mêlée à ses privilèges royaux la pousse à dépenser sans compter dans les arts et les traités de philosophie. En vraie reine du réseautage, Christine fire up sa plume et correspond avec les grands penseurs de son époque, dont Baruch Spinoza, Blaise Pascal, Leibniz et René Descartes. Impressionné par l’érudition de la souveraine, Descartes se rend à Stockholm pour jaser philosophie et amour avec Christine, ce qu’ils font comme de vrais BFFs.

En tant que reine célibataire défiant les normes de l’époque avec son vocabulaire coloré, ses habits masculins et ses nombreuses toiles de nus féminins exposées fièrement dans le salon où elle reçoit certains de ses invités, Christine ne fait pas l’unanimité dans son pays. En vraie Sagittaire, elle décide alors d’abdiquer le trône en 1654 pour aller se promener en Europe en laissant son cousin, Charles-Gustave, s’occuper de la paperasse.

L’itinéraire comprend un arrêt à Bruxelles, où la reine protestante se convertit secrètement au catholicisme! Une victoire symbolique pour la papauté de l’époque – qui ne devait pas savoir à quoi s’attendre, Christine étant loin d’être aussi sage qu’une toile de la Vierge Marie.

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Après avoir brièvement vécu en France auprès d’un autre personnage en avance sur son temps, le roi Louis XIV, aka le Roi-Soleil, Christine passera l’essentiel de sa vie à Rome, où elle scandalise quelques papes, notamment en finançant l’ouverture d’un théâtre public où les femmes ont le droit de monter sur scène – ce qui était encore interdit à l’époque. En grande mécène, Christine encourage les peintres baroques et de nombreux musiciens en plus de se passionner pour l’astrologie et l’alchimie.

Le 19 avril 1689, Christine de Suède décède dans son palais à Rome. Son ancien amant, le cardinal Decio Azzolino, lui organise des funérailles dignes d’une papesse, et son corps repose dans la crypte de la basilique Saint-Pierre, un privilège qui n’a été accordé qu’à quatre femmes dans l’Histoire. Ce n’est donc pas surprenant que la vie de ce mythique personnage fasse l’objet d’une toute nouvelle création québécoise, l’opéra La Reine-garçon.

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De nombreuses personnes, à l’époque, auraient bien voulu vivre une telle vie de liberté identitaire, sexuelle et intellectuelle. Les privilèges royaux de Christine ainsi que son éducation hors du commun ont fait en sorte que la Reine-garçon est devenue une figure historique : son histoire offre une certaine visibilité à la diversité de genre et d’orientation sexuelle à une époque de renouveau intellectuel. Christine a entretenu des relations libres des liens du mariage avec des hommes et des femmes et naviguait avec fluidité entre les expressions de genre féminin et masculin – en adoptant notamment le deuxième nom « Alexandre », en référence à Alexandre le Grand. Bien que de nombreux détails la concernant soient sujets à spéculation, raviver sa mémoire permet de se projeter dans son histoire pour s’imaginer les passions et les intentions qui l’animaient. Une quête de liberté? De pouvoir? De connaissances? Ou encore une quête d’amour? Christine de Suède avait le désir et les moyens de bousculer les conventions et de choquer les institutions, ce qui en fait une icône queer du siècle des Lumières qui demeure une source d’inspiration encore aujourd’hui.

À une époque où l’on veut taire et effacer l’existence des personnes queers, le roi Christine nous donne le courage de déranger et d’aimer sans restriction.

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Le compositeur Julien Bilodeau et le dramaturge Michel Marc Bouchard s’approprient l’histoire de Christine de Suède dans l’opéra québécois La Reine-garçon, adapté de la pièce de théâtre éponyme. Devenez un.e mécène à petit budget grâce aux tarifs avantageux offerts aux 18-34 ans. La représentation du mardi 6 février est précédée d’un cocktail exclusif et gratuit à L’Idéal!