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« J’ai vu sur TikTok un gars chauffer un Cybertruck avec le casque d’Apple »
Les mains
Il suffit de s’aventurer dans n’importe quelle station de métro pour être témoin de tableaux dignes du cinéaste Roy Andersson. Des âmes errantes, figées dans le flux des wagons en marche, hypnotisées par l’éclat froid de leurs écrans de téléphone, chacune plongée dans son propre monde, étrangement seules au milieu de la foule.
Il ne convient pas de céder à la nostalgie ; le métro n’a jamais été un lieu chaleureux, même avant l’avènement des téléphones dans nos vies. Pourtant, je suis persuadé que chacun d’entre nous a été témoin au moins une fois de ce moment précis où tout semble synchronisé pour susciter l’effroi.
L’arrivée tardive du Wi-Fi dans le réseau ne constituait qu’une barrière négligeable contre sa contamination éventuelle.
Force est de constater que la démocratisation du téléphone portable et sa voracité dans la sphère autant publique que privée ont transformé nos habitudes. Il n’y a rien de plus naturel que de dégainer son téléphone en entrant dans un environnement inconnu. On s’écarte un peu d’une conversation, et hop! on le tire de sa poche. Comme un petit bouclier. Vous avez remarqué ces gestes subtils, devenus des réflexes? Que ce soit dans une file d’attente d’une ou dix personnes, hop, il est sorti.
Je ne m’en cacherai pas, j’appartiens moi-même à cette grande armée anesthésiée, mieux connectée pour se déconnecter de son habitat. Malgré mes nombreuses tentatives de révolte, même en traînant un livre partout, je perçois vite la futilité de ma résistance. Et je ne suis pas le seul qui vit avec cette culpabilité.
Les oreilles
Il en va de même pour l’arrivée des AirPods. Au départ, je les trouvais très peu esthétiques lorsque j’en apercevais une paire dans la rue. Je me disais que c’était juste une mode passagère un peu quétaine. Ces petits pois blancs dans les oreilles semblaient destinés à une disparition rapide.
Au fil du temps, leur présence s’est généralisée, jusqu’à ce que je finisse moi-même par en acquérir une paire. Aujourd’hui, je suis devenu dépendant de cet espace personnel où je peux façonner mes journées au gré de mes envies, loin, très loin de mon environnement immédiat.
Et quel bonheur!
Quelqu’un pourrait hurler au gym que les trois quarts de la salle n’entendraient rien. Le cloisonnement du réel est bien réel.
C’est ainsi que la pomme californienne, grande gourou techno-existentielle de notre époque, entame cette semaine la commercialisation de son casque de réalité virtuelle : l’Apple Vision Pro.
Les yeux
Je n’ai pas encore été témoin d’une première paire à Montréal, mais ça ne devrait plus tarder.
Avez-vous vu ces vidéos (sur votre cellulaire, bien sûr) où l’on voit ses premiers utilisateurs dans la rue en train de pincer le vide ou bien celle-ci, filmée dans le métro new-yorkais? On y voit un usager confortablement installé dans le salon de sa réalité augmentée tandis qu’une femme vend des bonbons à la sauvette derrière lui. Le contraste est troublant.
La dernière capsule de Casey Neistat présente d’ailleurs l’influenceur affublé desdites lunettes de snowboard blanches. On le voit, la bouche béante, semblable à un lutin sous l’emprise de champignons hallucinogènes, observant un faux papillon déguster un vrai beigne Krispy Kreme en plein cœur de Times Square. Cette scène surréaliste mène à une conclusion épiphanique où Neistat exalte les lunettes du futur, dithyrambique à l’endroit de ce qu’il prophétise comme étant l’avenir de l’expérience informatique.
« Vous regardez à travers la pire monture de réalité virtuelle », et c’est vrai, ce n’est que le début. Le temps fera son œuvre.
Le prix, proche de 5000 patates, devrait théoriquement ralentir sa prolifération dans nos rues, mais encore là, pour combien de temps? Les Tesla ne sont-elles pas désormais omniprésentes sur nos routes?
Serait-ce exagéré d’affirmer que du iPhone aux AirPods, et avec l’ajout du Vision Pro, Apple offre des dispositifs qui séduisent les générations et exercent leur propre influence sur un déplacement progressif vers l’isolement social?
Tout porte à croire à ce grand glissement, non?
Chaque avancée technologique semble initialement susciter un mélange de fascination et d’angoisse légitime, mais cette ambivalence est souvent de courte durée. En effet, à mesure qu’elles deviennent courantes, ces innovations tendent à perdre leur caractère exceptionnel, jusqu’à ce que l’indifférence totale s’installe. Même s’il y a une résistance, elles finissent tôt ou tard par se fondre dans la masse de notre enthousiasme.
Et qui seront les perdants dans cette révolution déjà bien en marche? Vous connaissez la réponse. Car, avouons-le, nous sommes des acteurs impuissants face à celle-ci. Nous semblons même chercher à esquiver toute confrontation avec les répercussions profondes que ces mécanismes ont sur la cohésion sociale de notre époque.
Dans quel sens?
Mais pourquoi lever le petit doigt, en sachant que nous évoluons inévitablement vers une société marquée par un individualisme croissant, où les interactions sociales se raréfient et où la solidarité s’affaiblit?
Les preuves sont partout.
Après avoir affronté « ensemble » le défi de la pandémie, nous voilà maintenant plongés dans une incertitude presque plus profonde, où le tissu collectif semble s’effriter un peu plus chaque jour.
Et les jouets d’Apple ne font qu’engourdir et précipiter une chute déjà bien entamée.
Cette nouvelle réalité sociale, on la rencontre dans la rue, au travail, au restaurant. Avant de régler la note, un couple prend une pause l’un de l’autre, chacun soulagé de retrouver son téléphone. Ici, un enfant laissé à lui-même avec un iPad comme seul compagnon. Et il y a bien sûr nous, incapables de s’endormir après avoir scrollé trois kilomètres de reels débiles.
Alors, où allons-nous?
Je l’ignore, mais je sais que j’ai regardé 19 fois mon cell pendant la rédaction de cet article. Au moins, les hoverboards sont tombés dans l’oubli.*
* Ce texte n’a pas été écrit par ChatGPT.